Fukushima: 30 ans pour se relever

Il faudra 30 ans à Fukushima pour se relever

Par Jean-Christophe LALAY
Six ans après la catastrophe, la centrale de Fukushima est un immense chantier. Plus de 6 000 personnes y travaillent pour préparer le démantèlement des quatre réacteurs accidentés.

« En face de nous apparaît le réacteur n° 1. » Dans le bus qui mène les visiteurs sur les différents points stratégiques de la centrale nucléaire, l’attention se fait plus forte. La masse du bâtiment du réacteur se dessine dans le flou. Il pleut sur la région de Fukushima ce mardi 14 mars. Le plafond est bas. La buée envahit les vitres du bus. Décor gris pour un retour sur un scénario catastrophe.

Au plus près du réacteur n° 1 de la centrale de Fukushima Daïchi (1 en japonais), les stigmates de l’explosion d’hydrogène du 12 mars 2011 sautent aux yeux. 24 heures après le tsunami, toute la partie supérieure du bâtiment réacteur a été soufflée. Six ans après, un enchevêtrement de ferrailles domine toujours au sommet de l’enceinte du réacteur.

Des gants et des sur chaussures

Aucun livre, aucun documentaire ne remplacera la visite de terrain pour comprendre les effets du tremblement de terre et du tsunami du 11 mars 2011. À droite du réacteur n° 1, l’enceinte bleue tachée de blanc du réacteur n° 2 s’impose aux regards. Bleu et blanc, ces couleurs font resurgir les images qui ont tourné en boucle sur toutes les télés du monde en 2011.

Une photo aérienne de la centrale Fukushima Daïchi prise en mars 2011 après le tsunami. (Photo : Reuters)

Une marque symbolique sur le mur du réacteur n° 2, le trait des 17 mètres montre la hauteur atteinte par la vague du tsunami. Les images fortes s’enchaînent. Parmi elles, ces cuves géantes coincées entre le Pacifique et les réacteurs. Elles sont complètement cabossées et semblent avoir été passées au shaker. Pas besoin de discours pour comprendre la force du raz de marée.

Pour les Normands des Commissions locales d’information (Cli) des installations nucléaires du Cotentin, la visite a débuté une heure avant. À Tomioka à 10 km de la centrale, Tepco, l’exploitant a ouvert un musée de l’énergie. Il y accueille les groupes avant la visite. Une foule d’employés, tous en uniformes bleus, guide pas à pas les visiteurs.

Pendant deux heures, pas question de sortir du chemin tracé. « Amenez le moins possible de choses sur le site, conseille un employé de Tepco. Si un objet tombe, nous serons dans l’obligation de le garder.» Un dosimètre personnel pour mesurer les radiations, une paire de gants, des surchaussures, le visiteur est équipé pour aller sur les lieux du drame.

Une classe d’une école de Namie, laissée à l’abandon. (Photo : Toru Hanai/Reuters)

Des plantes envahissent le trottoir

Avant le départ, Yosmiyuki Ishizaki, de Tepco, le vice-président chargé de la revitalisation du secteur de Fukushima fait passer son message : « Une de mes missions est de reconstruire des relations de confiance entre les habitants de la région et Tepco.» Un sacré challenge au regard du traumatisme créé par l’accident nucléaire. Rien que le trajet entre Tomioka et l’entrée de la centrale montre l’ampleur de la tâche.

Dans ce secteur, l’ordre d’évacuation sera levé à partir du 1er avril. Difficile de croire à un retour des habitants. Derrière les vitres du bus de Tepco, le paysage défile. Des bâtiments laissés à l’abandon depuis six ans, les plantes de la jardinerie qui envahissent le trottoir, des champs à perte de vue réquisitionnés pour entreposer les sacs de terre contaminée.

Des champs ont été réquisitionnés pour entreposer les sacs de terre contaminée. (Photo : Toshifumi Kitamura/AFP)

L’entrée de la centrale est à moins d’un kilomètre. Une noria de camions défile en sens inverse. L’enseigne verte du Night Pub a perdu beaucoup de ses couleurs. « Au prochain virage, nous entrons dans la centrale, prévient le guide. La colline à votre droite est un hotspot. Là où les radiations sont très fortes. » À Fukushima Daïchi, quatre des six réacteurs ont subi les conséquences du tsunami. Seuls le 2 et le 6 ont été sauvés par l’unique générateur de secours qui restait opérationnel.

Dans le bus, l’un des nombreux employés de Tepco tient un appareil en hauteur. Il mesure les doses de radiation. Record battu à proximité du réacteur n° 4 avec 51,6 microsieverts. Quelques mètres plus loin, ça tombe rapidement à moins de 10 microsieverts. « En deux heures sur la centrale, nous avons subi deux fois plus de radiations qu’au cours des trois premiers jours dans la région de Fukushima», note Yannick Rousselet, de Greenpeace.

Pas de rejets en mer

Selon les sensibilités des passagers du bus, les réactions divergent. Conseillère régionale EELV, Caroline Amiel est bouleversée : « D’accord il y a le drame de la catastrophe naturelle mais après l’accident nucléaire, c’est l’homme qui l’a créé. Comment peut-on encore défendre cette énergie? »

Les containers remplis d’eau contaminée. (Photo : Tomohiro Ohsumi/AFP)

Syndicaliste CGT à l’usine Areva la Hague qui traite les combustibles nucléaires usagés, Jean-Paul Vaultier pose un regard plus clinique : « Je m’attache toujours à regarder les conditions de travail. Je constate qu’ici les doses de radiation ne sont pas supérieures à celles reçues par les salariés de la Hague.»

Les explications techniques se succèdent au micro. L’une des questions majeures est le traitement des eaux contaminées utilisées pour refroidir le cœur des réacteurs accidentés. Des millions de m3 d’eau traités sur place pour évacuer le maximum de nucléides. Avec un problème, celui du tritium, un composant généralement dilué dans l’eau de mer. Mais, à Fukushima, après l’accident, il n’est plus possible de procéder à des rejets en mer. « Notre rejet serait 10 fois moins important que celui qu’Areva réalise au large de la Hague, lance Naohiro Masuda, patron de chantier de démantèlement de la centrale de Fukushima. Mais pour Tepco, il n’est pas possible d’aller à l’encontre des habitants en faisant de nouveaux rejets dans l’océan Pacifique. »

Valérie Nouvel, vice-présidente du conseil départemental de la Manche reçu ici par Yosmiyuki Ishizaki, de Tepco, vice-président chargé de la revitalisation du secteur de Fukushima. (Photo : Ouest-France)

Un mur de terre congelée

Après le drame de l’accident nucléaire, l’exploitant doit faire preuve de beaucoup d’imagination pour faire avancer le démantèlement des réacteurs endommagés. Comme ce mur de terre congelée construit pour empêcher le ruissellement des radionucléides vers le Pacifique.

Tepco imagine des solutions high-tech pour un retour à la normale dans sa centrale de Fukushima. Mais sa mission risque d’être longue, au moins 30 ou 40 ans pour trouver la solution pour récupérer le combustible nucléaire fondu dans les réacteurs.

À 10 km de la centrale, un paysage de ville fantôme. (Photo : Ouest-France)

De retour vers la sortie, un pylône électrique est couché dans un champ. Un bref stop du bus. Le guide de Tepco, un brin fataliste : « C’est ici que tout a commencé. Le tremblement de terre a fait tomber ces pylônes privant la centrale de ses sources d’électricité extérieures. Et rendant ensuite impossible le refroidissement du cœur du réacteur. » Le symbole d’un drame au détour d’un champ abandonné au beau milieu de la

 

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