FUKUSHIMA: Le Japon pousse les évacués

Toru Takeda (photo Michael Holtz / CSM)

La levée des ordres d’évacuation dans les zones contaminées par la radioactivité suite à la catastrophe nucléaire à la centrale de Fukushima Daiichi, qui a commencé le 31 mars dernier, est l’une des décisions gouvernementales qui ont marqué l’année fiscale 2017 au Japon, et mobilisé les protestations des victimes, car à bientôt un an, il faut noter que cette “politique du retour” a concerné des zones se rapprochant de plus en plus de la centrale, présentant un niveau de dose de radioactivité allant jusqu’à 50 mSv/an ! en outre, le débit de dose jusqu’à 20 mSv/an a été déclaré “sans risque sanitaire”! Rappelons que c’est le maximum autorisé en France pour les travailleurs du nucléaire.

A l’approche de la date des Olympiades, les autorités veulent maintenant supprimer les aides au logement pour certains évacués, qui n’auront d’autre alternative que de rentrer vivre en zone contaminée…

Mais la résistance s’organise, comme à Yonezawa.

Evelyne Genoulaz

 

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Source : article de Michael Holtz, avec la collaboration de Takehito Kambayashi. Japan wants Fukushima evacuees to go home. They’re not so sure. Paru le 21 février 2018 in “Christian Science Monitor” – YONEZAWA, JAPAN.

Traduction : Evelyne Genoulaz

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160 000 résidents environ ont quitté leur foyer en 2011, après qu’un séisme puis un tsunami causèrent la pire catastrophe nucléaire depuis Tchernobyl. Aujourd’hui, le gouvernement prétend que beaucoup d’entre eux ne risquent rien à retourner vivre chez eux. Mais il va devoir regagner la confiance des résidents.

 

Toru Takeda n’a qu’un mot à la bouche pour évoquer les avantages comme les inconvénients de la vie à Yonezawa : la neige. Cette ville, située en montagne à 150 miles au nord de Tokyo, se retrouve tous les hivers engloutie sous plusieurs mètres de neige. Il y neige tant, que plusieurs rues sont équipées de systèmes qui projettent sous le sol de l’eau chaude afin de les maintenir praticables.

 

Monsieur Takeda a fini par s’habituer à ces monceaux de neige et aux embarras qui vont avec. Les retards des trains. Le ralentissement du trafic routier. Le pelletage. Il ne neige pas autant dans la ville de Fukushima, d’où il vient, qui se trouve à une heure de route de là par beau temps.

 

Mais la neige présente des avantages certains quand elle fond. « Ici la terre est riche parce que la neige fond petit-à-petit » m’a dit un jour Takeda au cours d’un dîner au centre-ville de Yonezawa. Il est persuadé que ce dégel perlé inscrit les fruits et les légumes qu’on cultive dans la région au nombre des plus savoureux du Japon. Puis il boit une gorgée de café et ajoute d’un ton solennel : « dans le département de Fukushima, l’eau comme la terre demeurent toujours contaminées ».

 

Voilà bientôt sept ans, « le séisme et tsunami dans la région du Tohoku » ont frappé la côte nord-est du Japon, et provoqué des fusions à la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, c’est la pire catastrophe nucléaire qu’on ait connue depuis Tchernobyl. Le démantèlement devrait coûter 200 millions d’euros et prendra plus de 40 ans. Malgré tout, un certain nombre des quelque 160 000 évacués de la région ont entamé leur retour.

 

D’après le gouvernement japonais, il n’y a plus de danger, mais Takeda n’en est pas convaincu. Sa confiance dans les autorités a été ébranlée par la réponse hasardeuse qui a été donnée aux suites des fusions. Il accueille désormais avec circonspection les informations émanant des agences de régulation ou des compagnies d’exploitation, sans parler de tout ce qu’on entend de l’état prétendument « sain » des aliments ou, bien évidemment, à propos des centrales nucléaires. Savoir si le gouvernement sera capable de restaurer la confiance de Takeda_ et avec lui, celle de milliers d’autres_ c’est l’enjeu préalable à la revitalisation des bourgs et des villes du département de Fukushima.

 

« Nous ne croyons plus ce que nous dit le gouvernement » affirme Takeda, en parlant pour lui mais aussi au nom de sa femme, de sa fille et d’une vingtaine d’autres évacués dont il sait qu’ils ont refusé de quitter la ville de Yonezawa. « Je ferai tout ce qu’il sera possible de faire et tout mon possible pour y rester » déclare-t-il. Y compris aller devant les tribunaux.

 

Un homme investi d’une mission

 

Tout a commencé en mars dernier, lorsque le gouvernement de la Préfecture de Fukushima a mis fin aux aides inconditionnelles au relogement dont bénéficiaient pas moins de 27 000 personnes qui avaient quitté des zones non désignées comme zones d’évacuation forcée _ au nombre desquelles il y avait Takeda et beaucoup d’autres réfugiés à Yonezawa. Placés devant cette alternative : ou bien le retour dans un lieu dont ils craignaient qu’il fût toujours dangereux d’y vivre ; ou alors, le paiement du loyer, alors que beaucoup d’entre eux n‘en avaient pas les moyens, ils n’ont choisi ni l’un ni l’autre. Ils sont restés dans leur appartement tout en refusant d’en payer le loyer. L’agence du logement public a toléré cette situation quelque temps. Puis en septembre, elle a engagé une poursuite d’expulsion à l’encontre de ceux qu’on appelle les évacués volontaires (1), qui ont aussitôt réagi en levant pour réponse, un bataillon d’avocats.

 

« Les auteurs de la catastrophe, ce sont le gouvernement japonais et TEPCO, observe Takeda, en faisant référence à la Compagnie d’Electricité de Tokyo, l’opérateur de la centrale de Fukushima Daiichi. Ils doivent avoir l’obligation de payer ».

 

Takeda, un retraité de 77 ans, était professeur d’anglais dans un lycée et dès son arrivée à Yonezawa en avril 2011, il est devenu de facto le représentant de la communauté des évacués dans cette ville. Il organise des rencontres à caractère social et rencontre régulièrement les autorités municipales. Sa femme et lui ont même monté un centre d’apprentissage pour les enfants des évacués, dans leur modeste trois-pièces. Il a fermé au bout de deux ans et désormais Takeda consacre tout son temps libre à la bataille judiciaire. Il se démène pour lever les fonds nécessaires à la mobilisation de divers avocats.

 

« Le gouvernement m’a dans le nez, dit-il. Si ce n’était pas pour me suivre, les évacués seraient déjà retournés au pays ».

 

Tandis que la procédure suit son cours à Yonezawa, d’autres victimes ont déjà obtenu gain de cause. C’est ainsi qu’en octobre, une cour de district de Fukushima a condamné le gouvernement japonais et TEPCO à dédommager d’un montant global de 4,4 millions de dollars, un groupe d’environ 2 900 personnes. C’est la troisième fois qu’une cour condamne la Compagnie pour avoir négligé de prendre les mesures utiles à la prévention des fusions.

 

« Ce qui alimente la défiance »

 

La ville de Yonezawa, située à 60 miles au nord-ouest de la centrale de Fukushima Daiichi, accueillit jusqu’à près de 3 900 évacués du département de Fukushima. Il n’y demeure aujourd’hui qu’à peine 500 d’entre eux, selon les registres officiels. D’aucuns sont retournés chez eux suite à des difficultés d’ordre pécuniaire, d’autres parce qu’ils pensent qu’on ne court plus aucun risque, mais beaucoup d’entre eux ont renoncé au retour. Dans une enquête conduite en avril dernier par la préfecture de Fukushima, 80% des évacués volontaires qui vivent dans d’autres départements du Japon ont indiqué qu’ils n’avaient pas l’intention de retourner chez eux.

 

Le gouvernement a fait une grosse campagne pour dissiper les dernières réticences. Mais de l’avis de Shaun Bernie, un senior spécialisé en nucléaire chez Greenpeace, les autorités ont minimisé le potentiel risque sanitaire en raison de la pression qui s’exerçait sur elles, pour présenter la situation sous un jour favorable. A la veille en effet des Olympiades 2020, le Premier Ministre Shinzo Abe tient à tenir sa promesse que la restauration de Fukushima est « sous contrôle ». (2)

 

« Il n’est pas politiquement recevable pour le gouvernement d’avoir des zones qui demeurent inhabitables, commente Monsieur Burnie. Cela crée l’impression qu’une catastrophe nucléaire est susceptible de détruire des communautés entières pour longtemps”.(3)

Etant donné l’empressement du gouvernement à revitaliser Fukushima, il prend le risque d’amplifier encore la défiance de ses concitoyens, et de fragiliser le respect de l’autorité qui est, comme on sait, une particularité profondément ancrée dans la société japonaise. Une enquête de Pew a montré en 2017 que si 57% des Japonais ont toute confiance dans leur gouvernement pour travailler au mieux des intérêts de la nation, 6% tout au plus d’entre eux prêtent attention aux propositions des chefs de file des partis politiques.

 

[…]

 

Pour l’heure, le gouvernement semble déterminé à supprimer bientôt les aides au logement pour les évacués. Il prévoit de les retirer à 5 000 foyers d’ici mars 2019. Des groupes de défense sont en train de faire pression pour qu’il fasse marche arrière. Dans une motion écrite qu’ils ont portée devant le Conseil des Droits de l’Homme auprès des Nations Unies le 2 février, Greenpeace et Human Rights Now – une organisation tokyoïte non gouvernementale – ont appelé le gouvernement à « procurer à tous les évacués de Fukushima les aides au logement qui leur sont nécessaires, y compris à ceux qui ont évacué depuis d’autres zones que celles désignées par le gouvernement, aussi longtemps que de besoin, afin de leur permettre de choisir en toute liberté l’endroit où ils souhaitent résider, sans devoir céder à la pression et retourner vivre malgré eux dans des zones qui mettent en danger leur santé ou leur vie ».

 

Si le gouvernement du Japon en venait à suivre cette recommandation, l’affaire portée devant les tribunaux à Yonezawa resterait sans suite. Takeda dit que ce serait une belle fin mais pour l’heure et sans attendre de savoir si le gouvernement révisera son plan, il s’affaire à préparer sa prochaine audience à la cour le 20 mars prochain.

 

« Je n’ai plus beaucoup de temps devant moi » dit Takeda. « Je ne peux pas retourner chez moi ».

 

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