Fukushima, le stress va tuer

A Fukushima, le stress va tuer plus que la radioactivité

Yann Rousseau

 

Des habitants se recueillent sur les tombes de victimes de Fukushima à Namie, le 11 mars 2017. – AFP

La hausse de la découverte de cancers de la thyroïde chez les enfants est une anomalie statistique liée au surdiagnostic. Les médecins redoutent, par contre, une progression des maladies cardio-vasculaires.

Six ans après la destruction de la centrale de Fukushima Daiichi le 11 mars 2011, les médecins japonais tentent toujours de dresser un bilan sanitaire précis de la catastrophe nucléaire qui alimente tous les fantasmes. Avant la commémoration ce samedi du drame , ils ont présenté cette semaine, à Tokyo, plusieurs études montrant que les populations évacuées dans l’urgence des environs de la centrale ravagée souffrent d’une détérioration de leur santé physique et mentale mais que ces maux ne sont pas liés à la radioactivité. « L’impact des radiations sur la santé des évacués va rester extrêmement limité », assure le professeur Koichi Tanigawa, de l’Université de médecine de Fukushima.

Pour identifier l’évolution de la santé des habitants des 13 municipalités évacuées dans les journées qui ont suivi la destruction des quatre réacteurs par un tsunami gigantesque, les médecins ont suivi l’évolution des dizaines de milliers d’habitants dont ils avaient déjà les bilans de santé établis avant la catastrophe. Au Japon, la sécurité sociale propose, en effet, des visites médicales régulières et gratuites à toutes les personnes de plus de 40 ans pour, notamment, dépister d’éventuels cancers.

Surpoids chez les évacués

Les chercheurs ont ainsi pu traquer l’évolution de près de 42.000 personnes sur les 160.000 ayant quitté leur foyer dans la précipitation et ont comparé leur état de santé à celui des habitants de la préfecture n’ayant pas souffert de ce traumatisme du déracinement. Chez les évacués, le surpoids concerne, après la catastrophe, 39% des patients, contre 31% chez les « non-évacués ».

L’hypertension touche 60% des gens déplacés alors que le même échantillon ne montrait qu’un taux de 54% avant le 11 mars 2011. Ils souffrent plus de diabète et de dyslipidémie qu’avant et sont beaucoup plus touchés que les habitants situés hors du périmètre d’évacuation. « Nous pensons que cette détérioration chez les gens déplacés est lié à un moindre exercice, aux arrêts de travail pour beaucoup et à une détérioration du sommeil », explique le docteur Tetsuya Ohira, de l’Université de Fukushima, qui dit craindre, dans le futur, une poussée des maladies cardiovasculaires dans cette communauté du fait de ces évolutions. Il redoute notamment plus de crises cardiaques.

Dépression

Cette détérioration physique s’accompagne aussi d’une recrudescence des problèmes psychologiques. Dans les enquêtes, 40% des évacués affirment ressentir un stress depuis la crise. Dans d’autres études menées loin de la région et de la centrale, ce taux n’est que de 16%. Près de 40% des évacués disent encore souffrir d’insomnie, contre 13% des Japonais interrogés dans d’autres préfectures. La dépression touche 19% des déplacés, contre 5% dans le pays. « La hausse du taux de suicide est même plus forte dans la préfecture de Fukushima que dans les deux autres préfectures aussi touchées par le tsunami mais par la catastrophe nucléaire », remarque d’ailleurs Koichi Tanigawa.

Au fil des interviews, les familles évacuées évoquent leurs angoisses et expliquent notamment qu’elles s’inquiètent pour leurs enfants, peut-être exposés à la menace de la radioactivité. Les études réalisées sur place ne montrent pourtant pas, pour l’instant, de poussée anormale des cas de cancer de la thyroïde chez les jeunes habitants de la zone.

Pour rassurer la population de l’ensemble de la préfecture de Fukushima, les autorités publiques ont organisé une gigantesque campagne de contrôle depuis la catastrophe. « Il y avait une forte demande sociale », reconnaît Akira Ohtsuru, un spécialiste de l’Université de médecine de Fukushima. Les chercheurs ont ainsi testé de manière systématique plus de 300.000 enfants de la zone et ont découvert 145 cas de cancers de la thyroïde.

Surdiagnostic

Si le chiffre peut choquer, il est en ligne avec les données récupérées, en cas de test systématique, dans d’autres régions du pays très éloignées de la centrale de Fukushima. « Ce nombre est lié au phénomène de surdiagnostic que l’on constate aussi dans d’autres pays lorsque l’on commence soudain à tester tout le monde », explique Akira Ohtsuru, qui rappelle que la plupart de ces cancers n’aurait probablement jamais été repérés sans cette campagne systématique, du fait de l’évolution très lente de cette maladie. « Partout dans le monde, lorsque l’on mène des autopsies, on découvre que 11% des personnes mortes des suites d’accidents ou d’autres maladies avaient, sans le savoir, un cancer de la thyroïde », note le professeur.

Selon les chercheurs, aucun élément ne permet dès lors de relier ces cas aux rejets radioactifs provoqués par la catastrophe de Fukushima. « Nos tests ne montrent d’ailleurs aucune différence géographique entre les enfants vivant près ou loin de la centrale », remarque le médecin, qui rappelle que tous ces enfants avaient été évacués très rapidement des zones contaminés et n’ont dès lors jamais été exposés à de fortes doses de radiation. « Il n’y a pas de danger à vivre aujourd’hui dans la préfecture de Fukushima », martèle Koichi Tanigawa. Au fil des séminaires dans le pays, il tente ainsi de dissiper la méfiance de l’opinion publique qui alimente toujours, six ans après le drame, les discriminations contre la région et ses habitants.

Yann Rousseau, correspondant à Tokyo
@yannsan
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