Voyage à Fukushima, …

Voyage à Fukushima, dans une région optimiste et pleine d’espoir

Voyage à Fukushima, dans une région optimiste et pleine d’espoir – © Tous droits réservés

Felice Gasperoni – Alors on change

Un projet citoyen redonne confiance aux japonais traumatisés par la catastrophe de 2011.

Dans notre émission « Alors, on change ! », nous dressons des portraits de citoyens à la fois ordinaires dans leurs profils socio-économiques et extraordinaire dans leur prise de conscience et leur démarche de changement.

Il y a quelques mois, nous avons décidé d’organiser un grand voyage au Japon afin d’aller à la rencontre de citoyens et d’entreprises engagés, là-bas aussi, dans le changement et la transition énergétique, en espérant qu’ils puissent en inspirer plus d’un ici, en Belgique.

Durant les nombreuses semaines de préparation, il nous paraissait impensable de ne pas évoquer la catastrophe nucléaire de Fukushima. D’autant qu’elle a provoqué un véritable électrochoc, et pas seulement au Japon, quant à la nécessité de changer de paradigme en termes de production énergétique…

Notre périple devait donc forcément passer à travers la région sinistrée par la vague géante et par les radiations. Nous pensions très honnêtement nous retrouver face à un paysage post-apocalyptique… Nous avons finalement traversé une région pleine d’espoir, organisée et optimiste.

En route vers le nord, à 280 km de Tokyo

La Route 6 est la nationale qui remonte la côte ouest du Japon et qui passe à moins de deux kilomètres de la centrale Fukushima Daiichi. De nombreux immeubles résidentiels et commerciaux qui la longent sont encore abandonnées.

Des voitures d’occasion recouvertes de plusieurs centimètres de poussière et d’une épaisse couche de lierre sont toujours stationnées dans le parking d’un concessionnaire. Les portes et fenêtres grandes ouvertes d’une maison permettent d’y entrapercevoir des meubles déglingués et des électroménagers encore couchés à même le sol.

A certains endroits, le temps semble s’être arrêté. Même s’ils n’ont pas dû encaisser la vague géante, ces bâtiments ont vu leurs occupants fuir le tsunami radioactif qui a déferlé quelques jours après le tremblement de terre.

Des sacs de terre contaminée, à perte de vue

Notre regard se pose ensuite sur les milliers de grands sacs en plastique noir qui s’entassent à perte de vue, mais de manière ordonnée, le long des routes et dans les champs de la région. Ils contiennent des millions de tonnes de terre contaminée, stockée là en attente d’être traitée.

Parce que le gouvernement japonais a mis en place un processus assez prodigieux, dont l’objectif est de racler plusieurs mètres d’épaisseur de sol, sur des centaines de mètres à l’intérieur des terres, afin de les rendre à nouveau saines pour les habitants et leurs activités économiques. Une belle preuve de résilience, diamétralement opposée à la politique d’abandon total subie par la région de Tchernobyl suite à l’accident nucléaire de 1986…

Mais malgré tous leurs efforts, les instances officielles n’arrivent pas à gagner la confiance des japonais. Trop d’opacité dans la communication, pas assez d’implication des citoyens. Parallèlement, de nombreuses initiatives citoyennes sont nées spontanément, pour apporter des solutions concrètes et transparentes là où la machine gouvernementale ne sait même pas par où commencer.

Une initiative citoyenne pour monitorer les taux de radiations

Joe est le plus japonais des californiens. Ingénieur talentueux (c’est à lui qu’on doit la technologie laser qui permet de graver les informations présentes au dos des smartphones de l’entreprise à la pomme…), il habite à Tokyo depuis presque 30 ans. Avec sa femme et ses enfants tout aussi américains que lui, ils sont néanmoins complètement intégrés dans la société nippone, pourtant réputée pour être très fermée aux allochtones. Pour Joe comme pour de nombreux autres citoyens japonais, il était impensable de rester les bras croisés dans l’attente que le gouvernement prenne en main la reconstruction de la région sinistrée du Tohoku. Il fallait agir rapidement, et de manière transparente et participative.

Avec un groupe d’amis ingénieurs, il a eu l’idée de fabriquer une sorte de compteur Geiger portable, muni d’une puce GPS et d’une connexion Bluetooth. Il a nommé ce boîtier Safecast. Son objectif : permettre à n’importe quel citoyen motivé d’embarquer ce boîtier durant tous ses déplacements dans la région et d’alimenter ainsi en temps réel une carte de la radioactivité visible par tout un chacun via un site web. De quoi préparer sereinement le retour des habitants dans les villes abandonnées de la région.

Une carte pour connaître notre exposition à la radioactivité

A vrai dire, le gouvernement a, lui aussi, installé des capteurs de radioactivité à des endroits stratégiques, comme devant la gare d’Odaka, petite ville située à 20km au nord de la centrale éventrée. « Le problème, c’est que nous ne savons pas pourquoi ces capteurs sont là, qui gère les données, et à quoi elles peuvent servir, nous racontait Joe lors de notre tournage devant la gare d’Odaka. Notre système Safecast, lui, est ouvert et transparent, et est géré par des citoyens bénévoles, comme moi « .

Le bureau de Joe se trouve à Tokyo, dans le fameux quartier de Shibuya. C’est là qu’on peut assister au ballet incessant de piétons qui traversent le croisement le plus dense de la planète… plus de mille personnes à chaque feu vert, parait-il.

Lors de notre première rencontre, quelques jours avant le tournage à Odaka, Joe a accepté de nous prêter l’un de ses boîtiers connectés Safecast, afin de monitorer notre exposition aux radiations tout au long de notre périple vers le nord du Japon.

« Il n’y a aucune inquiétude à avoir. Pendant votre traversée des zones les plus contaminées, au final vous n’allez être exposés qu’à un tiers des radiations que vous avez subies pendant votre voyage en avion Paris-Tokyo !« . Et oui, quelle ne fut notre surprise en apprenant que quand on prend l’avion, on monte à des altitudes où l’atmosphère est tellement raréfiée qu’elle ne nous protège presque plus des rayonnements solaires néfastes. Et nous ne parlons pas ici des rayons UV, mais de radiations bien plus puissantes comme les rayons X, bêta ou gamma.

Plus de radiations chez nous que là-bas ?

Au plus proche de la centrale de Fukushima Daiichi, la radioactivité était 45x supérieure à celle relevée à Tokyo. Par contre, dans la petite ville d’Odaka, située à une vingtaine de kilomètres au nord de la centrale, elle tombe à des valeurs semblables à celles mesurées dans la capitale… et même inférieures à la radioactivité présente à Paris, Rome ou Bruxelles !

A titre de comparaison, lors du vol Paris-Tokyo qui nous a amené au Japon, nous avons été exposés à 10 fois plus de radiations que lors de notre bref passage à côté de la centrale…

De fait, les mesures citoyennes publiées par Safecast, plutôt rassurantes, ont redonné confiance et espoir aux anciens habitants d’Odaka. Un petit magasin de quartier (kombini en japonais, de l’anglais convenience store) a rouvert depuis peu près de la gare, c’est d’ailleurs là que nous avons déjeuné sur le pouce pendant le tournage.

Et même si les rues d’Odaka sont encore assez désertes, nous avons assisté au retour d’un petit groupe d’enfants à la maison après l’école, en apparente insouciance.

Safecast, un bel exemple d’initiative citoyenne bénévole qui a donné du sens à la vie des habitants de la région de Fukushima et redonné espoir à des populations traumatisées par la catastrophe nucléaire de 2011.

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