Fukushima – Tchernobyl …

…même combat pour les revenants dans les zones interdites

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L’exposition de photos  titrée « Samossioly » du Pr Shinzo Kimura (ici à l’espace culturel Bertin Poirée, Paris) doit permettre de « montrer les difficultés des vieilles personnes qui vivent près de Tchernobyl aux Japonais près de Fukushima, qui veulent revivre dans leurs maisons abandonnées ».

 

« J’ai eu l’intuition que, dans vingt-cinq ans, les problèmes seraient les mêmes. Je voudrais leur montrer ce qui les attend ». Le professeur japonais Shinzo Kimura a décidé de mener une lutte d’un nouveau genre : faire savoir à ceux qui veulent revenir, autour de Fukushima, dans leurs villages et leurs maisons, ce que vivent aujourd’hui ceux qui résident à nouveau dans la zone interdite de Tchernobyl. Fukushima-Tchernobyl, même combat… Une situation qui peut devenir extrêmement difficile, voire un enfer, pour les vieilles personnes prêtes à retourner (ou déjà revenues) dans les zones « interdites », contaminées après les catastrophes des centrales japonaise et ukrainienne (ex-soviétique). Il nomme son projet Samossioly (Les revenants de la zone interdite ; l’avenir de Fukushima au prisme de Tchernobyl)

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Pr Shinzo Kimura, devant la photo de Maria, 89 ans, près de Tchernobyl

Il a fait un passage plus qu’éclair à Paris, arrivé lundi 10 octobre jusqu’à ce mercredi 12 octobre, où il sera encore possible d’entendre une de ses conférences dans le sous-sol d’une belle cave parisienne, le tout au milieu de ses photographies (1). Et puis, il repartira pour l’Ukraine.

Shinzo Kimura, professeur associé à l’Université de médecine de Dokkyô depuis août 2011, inlassablement s’engage pour la défense des droits et du bien-être des populations affectées par les catastrophes de Fukushima, mais aussi de Tchernobyl. Il y a gagné leur confiance (2). Au Japon, son pays, « où il a démissionné de de son poste au JNIOSH (Institut national de recherche sur la sécurité et la santé au travail) pour pouvoir enquêter dans les zones contaminées », rappelle-t-il. Et aussi en Ukraine, où « il s’est rendu plus de 50 fois pour ses enquêtes », en tant que chercheur en sciences radiologiques.  Et inlassablement, il veut témoigner, notamment en France, aidé par des associations japonaises (3).

Ayant longtemps envisagé la carrière de photographe, mais devenu scientifique « son rêve d’enfant », il revient à ses premières amours. Car il présente aujourd’hui, à l’intention des visiteurs de son exposition, mais aussi à celle des populations concernées, des portraits et paysages qui racontent une nouvelle histoire. Celle de la difficulté de vivre dans des zones interdites, voire l’enfer que cela peut devenir. Il le raconte ainsi, après avoir interviewé les gens qu’il connaît et qui ont accepté de parler, à lui et à son guide ukrainien avec qui il collabore depuis des années :

‘’ Voici Maria, 89 ans. Jadis « aidée par le gouvernement qui lui avait fourni des vêtements, un logement, elle n’avait pas le droit de travailler. » Les voisins ou d’autres l’ont traitée de « paresseuse ». Ce qu’elle n’a pas supporté, décidant alors de revenir dans la zone interdite. « Trois nuits pour retourner chez elle » (de nuit, pour éviter les contrôles de l’armée). Elle cultive des pommes de terre. « Elle nous a accueillis avec du poulet et des pommes de terre, elle pleurait de joie. »’’

Shinzo Kimura avoue que ce plat n’était pas bon, « très acide, un peu pourri ». Mais c’était « un geste gentil », dans un village où jadis vivaient « 1000 personnes et maintenant 162. Où passait une épicerie ambulante toutes les semaines mais maintenant, elle ne passe qu’une ou deux fois par mois. Les gens sont obligés de manger des choses pas très fraîches ».

Mais le pire est encore ailleurs, quand les vieilles personnes succombent à ce qui leur arrive le plus souvent – une chute. Sciences et Avenir a rappelé combien, dans un pays comme la France, ces accidents de la plus grande banalité sont meurtriers 

On imagine sans peine le sort de personnes isolées, devant affronter de longues périodes de froid, où le sol est enneigé ou verglacé.

Shinzo Kimura nous montre Maria, qui semblait réjouie le 7 janvier 2016, pour le Noël orthodoxe. Mais, patatras, « à Pâques, le 2 mai, elle était grabataire, après s’être cassé le col du fémur. Mal-entendante, elle a commencé de sombrer dans la démence. Un de ses fils, qui vit à Odessa, à 600 km de là, est venu la retrouver, mais il est à bout, car sa femme et ses enfants ne sont venus qu’une fois et ne comptent pas habiter là (dans la zone interdite) ». Sur les murs de l’exposition, d’autres vieilles dames, une autre Maria, mais aussi Julia, Sophia… revenues dans leur village doivent affronter des heures difficiles. Sur la chaîne Arte, le réalisateur Jean-Yves Huchet qui s’est également rendu sur place et dont le documentaire avait été diffusé lors du 30ème anniversaire  de la catastrophe, en avril 2016, avait constaté la même grande précarité.

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Shinzo Kimura a constaté que Maria (à droite sur la photo), en forme à Noël (en haut) était devenue grabataire à Pâques (en bas) et sur la voie d’une démence.

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Le professeur japonais veut, lui, alerter ceux qui pourraient vouloir retourner vivre dans des villages aujourd’hui abandonnés, au Japon : « Je vois déjà que seulement les vieilles personnes veulent y retourner. Mais quelle va être leur vie demain ? Je les mets en garde : ne vous décidez pas à partir de la situation que vous vivez aujourd’hui. Pensez à long terme, ce qui se passera dans dix ans, vingt ans, trente ans. »

Déjà, il commence à constater que le même genre de problèmes surgit… « Une vieille dame japonaise de 90 ans, travaillant dans la serre où elle fait pousser des légumes, a voulu déplacer un mortier très lourd. Elle s’est cassé la hanche, a été opérée. Mais elle a chuté à nouveau pendant sa rééducation et a dû être ré-opérée. Comment va-t-elle faire maintenant ? ». Rien que de très banal et que tous les médecins connaissent. Beaucoup moins banal quand il s’agit d’aller revivre en zone contaminée, largement abandonnée par une majorité d’habitants, dont les plus jeunes ne reviendront pas.

Shinzo Kimura a un souhait : pouvoir publier en France ces témoignages et ces photos qui n’ont pas l’heur d’intéresser les éditeurs japonais, affirme-t-il. « Au Japon, on préfère les vedettes jeunes, pas voir ces vieilles personnes grabataires. Mais je suis persuadé qu’en France, c’est possible ». S’il en tire quelque revenu, il sera intégralement reversé à celles et ceux qu’il va revoir dans quelques jours en Ukraine, assure-t-il.

1) A 15h15 à l’association franco-japonaise de Tenri, Espace culturel Bertin Poirée, 8-12 rue Bertin Poirée, 75001 Paris. Rens : 01 44 76 06 06

2)Lire le reportage de Sciences et Avenir, en mars 2014. . Nous avons rencontré le Pr Kimura lors de deux autres passages à Paris, où nous lui avions demandé d’expliquer ses actions de cartographie de la radioactivité sur le terrain (juillet 2014)  ou ce qu’il pensait de l’entreprise de décontamination des sols (juin 2015)

3) Ici, traduction de Mme Yuki Takahata, que nous remercions de son aide.

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