[#Nuit debout] Tchernobyl, Fukushima,

[#Nuit debout] Tchernobyl, Fukushima, nos élites, et le sens de la vie

L’être humain – c’est un truisme me direz-vous – est un drôle d’animal. Capable, insouciant, en une frénésie euphorique, de danser sur le bord des volcans, il peut tout aussi bien se plonger dans une réflexion mélancolique ou austère. Par l’une et l’autre expression il est cet être étrange et pénétrant que nous avons tous un peu en nous d’une manière ou d’une autre. Et en réalité, plus qu’un être, peut-être est-il avant tout, à l’origine même, une question : Qui suis-je ?, ou, Qui sommes-nous ?

Qui donc sont par exemple ces humains, ces personnalités auxquelles on peut donner un nom, et qui nous questionnent, tant leur comportement laisse pantois ? Qu’ont-ils de plus que nous, nous le commun des mortels, que connaissent-ils de la vie que nous ignorons, pour, eux, pouvoir se comporter de la manière dont il sera question dans la suite de ce texte ? En cette période anniversaire de catastrophes nucléaires, ma pensée va à quelques-uns d’entre eux.

L’un, Günther Oettinger, est Commissaire européen. De février 2010 à novembre 2014 il s’occupait d’énergie et à ce titre il eut à gérer la crise de Fukushima. Depuis il officie à l’économie et à la société numérique. Je ne le connais pratiquement qu’au travers du mot qu’il utilisa pour qualifier la catastrophe de Fukushima : « apocalypse« . Mot on ne peut moins banal, profondément lourd de sens, et qui pourtant n’eut pas de suite. Du moins en termes de traduction médiatique. Ni de sanction politique : il est toujours Commissaire européen et vaque à ses occupations. Mais que pense-t-il désormais ? Pense-t-il seulement ? Forcément, me direz-vous. Oui, mais alors que sont devenues ses pensées ? De quelle manière le nom de Fukushima les impriment-elles désormais ? De part son silence médiatique on a le sentiment qu’il ne les a pas et qu’il ne les imprime toujours pas. Car si, nous, nous avions prononcé un tel mot, nous, nous ne resterions pas silencieux, cela nous parait impossible. Et bien lui… apparemment si.

Je pense aussi à Jacques Attali. Quelques jours après la catastrophe il poussa un grand cri angoissé de mobilisation : « Branle bas de combat » ! Fallait impérativement se bouger les fesses, nous harangua-t-il, sinon ce serait la fin des haricots ! : « L’heure est très grave. Un scenario mettant en cause l’intégrité à moyen terme de l’humanité ne peut plus être exclu ». On attendit donc de voir comment se bouger vu qu’il est, tout de même, omniscient. On a vu. Une semaine plus tard il remballait son étendard : « La dictature de l’insouciance« . Je lui écrivis un mail (puisqu’il nous offre élégamment, du moins en apparence, cette possibilité sur son blog de l’Express) : « Cher monsieur Attali, lui écrivais-je en substance, pourriez-vous m’expliquer le hiatus existant entre votre premier article et le suivant ? ». Il me répondit abruptement, de façon pour le moins concise : « Il n’y a aucun hiatus, l’un est la continuité de l’autre » ! Magnifique Attali… Et le grand Attali m’ayant concéder une réponse, sans « bonjour », ou « monsieur », ni formule de séparation, je devais me contenter de ces seuls mots. J’en suis resté abasourdi. Du moins un temps, mais bref. Je réagis par une réponse indignée et offensive qui affronta son silence. Rapidement je décidai de me foutre de ce sombre crétin (pas si crétin que ça bien entendu, mais ça fait tellement de bien de se le dire… Juste peut-être un peu lâche quand même. Ou alors possédant ce quelque chose de plus que, nous, nous n’avons pas. En tout cas, de toute façon, pas très poli), et dans la foulée je m’activais les fesses, et aussi les neurones (à mon modeste niveau).

Puis de son coté, après un long silence (hormis un très bref « Au G20, ne pas oublier Fukushima« de novembre 2011), en mai 2013 il parvint encore à écrire : « Fukushima : sont ils tous fous ? » : « une mobilisation générale de la planète est nécessaire ; si on ne veut pas que les conséquences soient terrifiantes pour l’humanité. Le prochain G8, à Londres, en juin, doit décider que Fukushima n’est plus un problème japonais, mais un problème mondial ». Puis il est encore passé à autre chose. L’avez-vous entendu un jour à l’occasion de ses nombreuses prestations audio-visuelles aborder la question du nucléaire ?

Il y a aussi Nathalie Kosciusko-Morizet, ci-devant candidate à l’élection présidentielle, et à l’époque ministre de l’écologie sous Sarkozy 1er l’amoral, lui qui alla expliquer aux japonais dans les jours qui suivirent la catastrophe que le nucléaire était sûr… Je la vois encore sur cette photo prise dans les environs de Fukushima, seule, avançant vers le photographe, le visage ravagé, les cheveux presque hirsutes. C’est l’impression que j’en ai conservé. Elle était bouleversée. Ca ne dura que quelques jours. Depuis je n’ai jamais rien lu d’elle évoquant la catastrophe qu’elle avait affrontée. Phénoménale résilience ? Amnésie ? Terrible inanité ? Choix délibéré maternaliste de protéger ses concitoyens de ce qu’elle avait découvert, mais ignorant de tirer une conclusion politique minimale sur les suites à donner à la filière nucléaire ?

 

Mikhaïl Gorbatchev avait expliqué que la chute du mur de Berlin en 1989 et l’effondrement de l’URSS en 91 n’auraient sans doute pas eu lieu sans la catastrophe de Tchernobyl trois et cinq ans plus tôt. Nous sommes à cinq ans de Fukushima. Dans les suites immédiates de cette catastrophe ayant généré une grande angoisse mondiale, lors de cette même année 2011 apparurent brutalement le mouvement 15M des Indignados de la Puerta del Sol à Madrid nourri des effets de la crise des subprimes de 2008, qui produisit bien des vagues, nocturnes chez nous aujourd’hui, et les révolutions arabes… Un jour de 2011 ou 2012 recherchant sur le web des articles analysant les conséquences économiques de Fukushima je n’en trouvai pas. J’explorai le blog des Economistes attérés persuadé d’en découvrir là. Il n’y avait rien. J’interrogeai, et une femme dont je n’ai conservé ni le nom ni le mail me répondit que ce n’était pas un sujet qui était abordé par le groupe. J’en fus fort étonné. Aujourd’hui encore vous mettez « Fukushima » dans leur moteur de recherche, on n’obtient aucun résultat. Etonnant, non ?

 

Voilà donc trois personnages qui furent tous atteints au plus profond d’eux-mêmes par le constat de cette apocalypse. Et que sont-ils devenus ? Comment ont-ils traduit leur angoisse née de la tragédie ? Unis dans un front commun de dénonciation d’une folie trop humaine, n’ayant plus jamais lâché le combat visant à conserver un espoir si ténu en faveur de l’avenir de notre humanité ? Que nenni. Ils vaquent, apparemment insouciants (en tout cas les jours et les années n’atteignent pas leur visage autant qu’une angoisse ou une anxiété permanente le ferait), à leurs occupations passionnantes et destinées, n’en doutons pas, au bien-être de leurs concitoyens.

Tandis que l’espoir, lui, essence indispensable à la vie, et plus encore à la survie, s’effiloche…

Ainsi soit-il…

 

 

Ceci est un texte destiné à la réflexion commune, telle une « Nuit debout » numérique. Et si possible pas à de succinctes éructations de frontistes décérébrés [pléonasme]. Tout en n’oubliant pas qu’il ne s’agit bien que d’une Agora numérique, qui n’a rien à voir avec une Agora physique tel qu’elles se déroulent actuellement sur des places. (A cette occasion j’adresse un salut de sympathie à l’un des créateurs de cette Agora dans laquelle il n’écrit plus, Carlo Revelli, et aux salariés qui se trouvent derrière le rideau et dont ne nous savons rien [c’est le jeu], car cette Agora, elle, a le grand mérite d’exister depuis 2005)

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