Un Maestro pour Fukushima

Un Maestro pour Fukushima, le robot capable d’affronter la radioactivité

Loïc Chauveau

Ce 10 avril débute le premier forum international pour le démantèlement de la centrale nucléaire de Fukushima. Le CEA y présente Maestro, un robot autonome pouvant travailler sous de fortes radioactivités.

Maestro équipé de sa tête laser. CEAMaestro équipé de sa tête laser. CEA
CORIUMS. Il a fallu la catastrophe du 11 mars 2011, pour que se déroule cinq ans plus tard le premier Forum international consacré exclusivement aux techniques de démantèlement des zones fortement ou moyennement irradiéesdes sites nucléaires civils et militaires. La centrale de Fukushima constitue certes un défi incommensurable. Comment accéder à des cœurs radioactifs fondus, les « coriums », au sein de bâtiments détruits? Le « concours Lépine » mondial du robot qui s’ouvre ne devrait cependant pas servir uniquement à Tepco, l’entreprise d’énergie propriétaire de la centrale. Derrière le sinistre japonais, se profile le marché mondial de traitement des zones irradiées des centrales nucléaires en fin de vie. Soit, des décennies de travail.

Le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) sera présent à Fukushima à la demande du ministère de l’Economie et de l’Industrie japonais (le METI) pour présenter le robot Maestro. Cependant le CEA ne pourra y exposer ce bras robotisé téléopéré fruit de 20 ans de R&D entre le CEA et Cybernetix, une entreprise marseillaise de niveau mondial dans les applications robotiques pour les secteurs industriels. Les deux exemplaires existants sont en effet en train de travailler sous atmosphère radioactive sur le site du CEA de Marcoule (Gard). Mais l’organisme pourra montrer des films du robot en action. Car il est le premier opérateur au monde à pouvoir découper des appareils irradiés sur site.

Un bras maître et un bras esclave

Maestro est un « bras » articulé terminé par une « main » multifonction. «Toutes les « articulations » utilisent des moteurs hydrauliques asservis à des commandes informatiques encapsulées dans des enveloppes de titane « durci », c’est-à-dire résistant à une radioactivité de 10 000 grays (unité de dose radioactive absorbée, une exposition d’une demi-heure à moins de 1 gray provoque la mort d’un homme) », précise Didier Leterq, chef du département de technologie au CEA. Le titane a l’avantage de pouvoir être lavé de sa radioactivité absorbée une fois sa tâche accomplie.

MaestroMaestro équipé d’une disqueuse à l’assaut d’un tuyau. © CEA

Le robot est composé d’un esclave et d’un maître. Le maître, c’est la salle de commande où atterrissent les images des caméras vidéo et d’où partent les commandes des ingénieurs sur les moteurs. L’esclave, c’est le bras travaillant en zone radioactive. Entre les deux, un seul câble coaxial par où passent les signaux d’énergie, de données et d’images. Maestro peut être installé sur un pont roulant, un monte-charge ou un véhicule à chenillette selon la configuration du chantier à traiter. Le bras peut être équipé de scies, de perceuses, de meuleuse ou de cisailles et il porte une charge de 100 kilos.

C’est donc une sorte de couteau suisse que teste le CEA sur le site de Marcoule (Gard) ouvert à la presse le 30 mars dernier. Maestro y opère sur deux sites hautement radioactifs aux configurations extrêmement différentes. «Nous avons ainsi l’occasion de tester le robot mais aussi d’entraîner les équipes qui le manipulent, explique Philippe Guiberteau, directeur du centre CEA de Marcoule. Il faut en effet inventer des procédures à suivre permettant de faire face à toute difficulté survenant sur un chantier où toute présence humaine est impossible ».

Objectif du robot : faire baisser la radioactivité pour autoriser l’accès des salles à des travailleurs

GAMMA. Bâti en 1962, fermé en 1997, l’atelier pilote de Marcoule (APM) est un laboratoire de chimie où étaient testés les procédés de retraitement des combustibles irradiés. Physiquement, cela ressemble à une forêt de tuyaux encapsulés dans des cellules de béton percées de vitres au plomb. «La radioactivité y est d’environ un gray et donc interdit toute présence humaine », poursuit Jean-Michel Bart en charge de ce chantier. En tout, chacune des 20 cellules à démanteler compte 5 kilomètres de tuyau qu’il faut débiter en tronçon de 30cm maximum pour qu’ils entrent dans les containers formatés de l’Andra, l’organisme chargé de stocker ces déchets sur son site de Soulaines dans l’Aube. Débuté mi-2015, le chantier est prévu pour durer 7 ans. Pour réduire les délais, les ateliers ont été préalablement scannés par des caméras gamma qui révèlent les « points chauds » où s’accumule la radioactivité. En focalisant le robot sur l’enlèvement de ces points, les opérateurs espèrent faire baisser rapidement la radioactivité ambiante et ainsi autoriser l’accès des salles à des travailleurs.

cuveLa cuve d’UP1 découpée au laser, vue de la salle de contrôle. © CEA

L’autre chantier est celui de l’usine UP1, première usine française de retraitement de combustible irradié produits par les réacteurs pilotes construits à la fin des années 1950. UP1 représente 500 locaux et cases répartis dans 14 ateliers sur 20 000m² et 500 kilomètres de tuyauteries. C’est une cuve de dissolution de barres de combustibles dans de l’acide nitrique qui est en cours de découpage. Première mondiale : ici Maestro utilise un procédé de découpe laser pour réduire en morceaux de 30 centimètres de côté une cuve de 4m de haut et de 2m de diamètre construite en acier et inox. Le démantèlement d’UP1 est prévu pour durer 20 ans.

TÉLÉOPÉRATION. Comme pour l’APM, la conduite du robot se fait dans une salle extérieure. Les opérateurs dirigent les opérations grâce aux images vidéo mais aussi à la simulation en trois dimensions de la pièce à découper. Le chantier ne peut ainsi s’opérer sans une longue et très précise préparation. « Il faut d’abord filmer en détail tout le matériel présent dans la cellule à traiter, détaille Caroline Chabal, ingénieure au laboratoire de simulation des techniques de démantèlement. Puis il faut croiser ces images avec celles des points chauds de radioactivité. Cette base d’imagerie 3D sert ensuite d’entraînement virtuel des opérateurs à distance qui doivent répéter les gestes qu’ils devront faire pour piloter le robot. Ce n’est qu’après ces protocoles que l’on peut concrètement entamer le chantier de démantèlement ». Un entraînement qui se rapproche de ce qui est pratiqué dans le domaine spatial.

salle immersiveEntraînement en salle immersive du pilotage de Maestro dans une cellule. © CEA

Maestro engrange aujourd’hui une expérience qui fait prendre au CEA une longueur d’avance sur les techniques de démantèlement. Après le forum de Fukushima, le METI a d’ores et déjà programmé une démonstration de la faisabilité de la découpe laser pour la récupération des cœurs fondus des réacteurs de la centrale accidentée. Les études sont prévues pour durer jusqu’au printemps 2017 avant les premières interventions sur site.

 

Un immense marché
Le CEA a actuellement 22 installations nucléaires à démanteler sur ses sites de Marcoule, Fontenay-aux-Roses, Saclay, Cadarache. Il s’agit de laboratoires de chimie, d’usines de traitement, de réacteurs expérimentaux issus de 60 ans de recherche nucléaire en France. Ces chantiers très différents permettent au CEA de tester une très large palette de technologies. En la matière, tout reste à inventer, du matériel spécifique aux méthodes et procédures de traitement et d’enlèvement de matériau irradié. Le marché mondial du démantèlement est estimé à 220 milliards d’euros pour les 20 prochaines années.

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