Les leçons de Fukushima…

Les leçons de Fukushima et de Tchernobyl

Yann Verdo / Journaliste |
L’accident nucléaire 11 mars 2011 Fukushima déplacé seul 160.000 personnes. Il tôt contamination traduira hausse cancers, notamment thyroïde.
L’accident nucléaire du 11 mars 2011 à Fukushima aura déplacé à lui seul 160.000 personnes. Il est encore trop tôt pour dire si la contamination se traduira par une hausse des cancers, notamment de la thyroïde.

Trente ans après la catastrophe de Tchernobyl, cinq ans après celle de Fukushima, nombre d’études scientifiques ont cherché à mesurer l’impact d’un accident nucléaire.

Vendredi, cela fera cinq ans jour pour jour que le tsunami consécutif à un séisme au large provoquait l’emballement et l’explosion de trois réacteurs de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi. Un « anniversaire » qui, hasard du calendrier, se doublera le 26 avril de celui des trente ans de Tchernobyl. Avec le recul, que peut-on dire de l’impact d’un accident nucléaire majeur sur les plans écologique, sanitaire et social ? Passage en revue des principales conclusions.

. Des populations animales décimées

Les deux courtes vidéos d’Anders Moller, du laboratoire Ecologie systématique et Evolution (université Paris-Sud), sont saisissantes. Chacune montre un coin de campagne de la région de Fukushima. Les images sont quasi les mêmes. Seule la bande-son ­diffère : dans la vidéo tournée en zone non contaminée, on entend des chants d’oiseaux ; dans l’autre, un silence assourdissant. Un silence de mort.

De fait, une étude réalisée à Fukushima sur les oiseaux a montré que la quinzaine d’espèces présentes dans une zone contaminée avait un taux de survie de 30 %, bien inférieur à celui prévalant dans une zone saine. Même dans les cas où l’irradiation ne provoque pas de maladies mortelles, les populations de diverses espèces animales (oiseaux ou autres) peuvent s’amenuiser rapidement, jusqu’à disparaître tout à fait. Qu’un petit rongeur souffre par exemple de cataracte, l’une des maladies radio-induites constatées chez les liquidateurs de Tchernobyl, et ses chances de trouver un(e) partenaire pour se reproduire diminuent considérablement.

Cependant, l’impact d’un accident nucléaire sur la faune et la flore reste difficile à évaluer. Un point, notamment, fait polémique. Les études de terrain conduites à Tchernobyl ont montré une sensibilité de la faune et de la flore aux radiations de 5 à 10 fois plus forte que ne l’indiquaient les expériences en laboratoire. Pourquoi ce décalage ? La raison en est probablement, explique Jean-Christophe Gariel, directeur de l’environnement à l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), que les études de terrain sous-estiment la dose réellement absorbée. En particulier, seule la contamination externe, liée à l’exposition aux rayons ionisants, est prise en compte. La contamination interne provoquée par l’inhalation ou l’ingestion de substances contaminées est ignorée. A Fukushima, une nouvelle étude, réalisée l’an dernier par l’IRSN et le laboratoire d’Anders Moller, s’est attachée à évaluer la dose totale (interne et externe). Portant encore une fois sur les oiseaux, elle a montré que 90 % des 57 espèces passées au crible avaient été exposées à un débit de dose supérieur à 40 micrograys par heure, seuil au-delà duquel la reproduction peut-être altérée.

. Des Cancers thyroïdiens en hausse

De toutes les maladies radio-induites – cancers endocriniens, leucémies, troubles cardio-vasculaires, cataractes… –, Elisabeth Cardis (du Centre de recherche en épidémiologie environnementale de Barcelone) et Jean-René Jourdain (de l’IRSN) se sont attachés au cancer de la thyroïde chez l’enfant. La thyroïde, tout particulièrement au très jeune âge, est en effet l’un des organes humains les plus radiosensibles.

S’agissant de Tchernobyl, leurs conclusions ne laissent guère de doute. Il suffit de superposer les cartes relatives à la distribution géographique des doses et à l’incidence des cancers de la thyroïde pour constater que l’explosion du 26 avril 1986 a provoqué dans les années qui ont suivi une montée en flèche de cette pathologie. Entre 1986 et 2005, plus de 6.800 cas de cancer de la thyroïde ont été recensés dans les trois ­ex-Républiques soviétiques (Biélorussie, Ukraine et Russie) les plus touchées. Ce cancer ­présentant un très bon taux de survie, ces 6.800 cas n’ont heureusement débouché sur presque aucun décès.

Mais le bilan sanitaire de Tchernobyl n’en est pas moins lourd. Il a été certainement aggravé par l’état de délabrement et l’impéritie des dirigeants de l’Union soviétique d’alors. Aucun dépistage systématique n’a été mis en place ; surtout, on n’a pas fait distribuer aux petits Biélorusses et Ukrainiens des comprimés d’iode pour saturer leur thyroïde et l’empêcher ainsi de s’intoxiquer : dans nombre de cas, les cancers ont été provoqués par l’ingestion de lait contenant de l’iode radioactif.

Le Japon des années 2010 n’est pas l’Union soviétique des années 1980, et le bilan sanitaire de Fukushima sera sans doute moins lourd. Le Japon a notamment pris toutes les mesures nécessaires (restrictions à la commercialisation, entre autres) pour éliminer un maximum de sources de contamination interne. Il a aussi mis en place un dépistage systématique, les 360.000 enfants de 0 à 18 ans de la préfecture de Fukushima devant subir des radiographies régulières. Les premières données, portant sur la période 2011-2014, ne sont pas conclusives. Le cancer de la thyroïde ayant un délai de latence très long (au moins 3 ans), il faut attendre, avant de se prononcer, que les phases ultérieures de la campagne de dépistage aient mis en lumière, ou pas, une hausse de l’incidence.

. Des déplacés inégalement traités

La « triple catastrophe » du 11 mars 2011 (séisme/tsunami/accident nucléaire) a déplacé au total 340.000 personnes, dont 160.000 pour le seul accident nucléaire qui a contaminé près de 1.800 km2 de terrains. Mais celui-ci a eu des conséquences sociales plus lourdes que le tsunami, analyse Reiko Hasegawa, chercheuse associée au Medialab de Sciences po Paris. Ce déséquilibre se lit notamment dans le nombre de décès indirects – suicides, maladies aggravées par l’absence de soins… – imputables à l’un et l’autre : il est 1,5 fois plus élevé pour l’accident nucléaire. 90 % des presque 2.000 décès indirects qui lui sont liés concernaient des personnes âgées de plus de 65 ans. Ce sont également elles, en très grande majorité, qui ont accepté de revenir dans les trois villes pour lesquelles l’ordre d’évacuation a été levé. Une forme de retour non durable puisque ces seniors, d’ici à quelques années, auront besoin des soins de jeunes actifs (médecins, infirmiers, etc.) qui, eux, n’ont pas souhaité revenir.

Pour la chercheuse de Sciences po, cette différence d’impact tient à la façon dont les déplacés ont été gérés par les pouvoirs publics. Alors que les victimes du tsunami ont eu le choix entre reconstruire leur maison sur les ruines de l’ancienne ou refaire leur vie ailleurs, celles de l’accident nucléaire ne se sont pas vu offrir d’autre possibilité que de revenir dans leur lieu d’origine, une fois la zone décontaminée. Mais les polémiques anxiogènes liées à la question des seuils de décontamination (lire ci-dessous) ont divisé les personnes concernées par un possible retour, ce qui a aggravé la destruction des solidarités familiales ou communautaires observée dans toute catastrophe.

Yann Verdo

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