Redémarrer la centrale de Fukushima II

Le Japon laisse entendre qu’il pourrait redémarrer la centrale de Fukushima II

Vue satellite de la centrale de Fukushima Daini Vue satellite de la centrale de Fukushima Daini

Jusqu’où ira le Japon ? Pour les JO de 2020, Tokyo aura besoin de plus d’électricité, et pour cela, il envisage de remettre en route une centrale nucléaire, soit celle de Nigata, soit celle de Fukushima Daini, située à 12 km au sud de celle de Fukushima Daiichi. Cela provoque une grande inquiétude dans cette préfecture où les habitants sont encore traumatisés et contaminés. « Jusqu’aux Jeux Olympiques, le pouvoir va tenter de faire plier Nīgata ou Fukushima par la menace, par l’argent, et par l’intrigue », écrit notre rapporteur HORI Yasuo.

PF

Réunion du 10 février 2016 à Iwaki
Réunion du 10 février 2016 à Iwaki

Rapport de HORI Yasuo

traduit de l’espéranto par Paul SIGNORET et Ginette MARTIN

Le 10 février 2016

Réunion pour exiger l’abandon des dix réacteurs de Fukushima

Le 10 février a eu lieu dans Iwaki, ville du département de Fukushima, une « Réunion pour exiger l’abandon des dix réacteurs de Fukushima ». Il y a, dans Fukushima, deux centrales nucléaires. Dans la première se trouvaient – se trouvent encore – six réacteurs nucléaires, dont quatre ont été endommagés par le tsunami et dont les deux autres ont été épargnés de justesse. TEPCO a déjà décidé de les mettre tous les six au rebut, mais pour finaliser cette opération quarante années ou davantage seront nécessaires, et jusqu’à la fin ils seront dangereux, donc je ne peux utiliser les mots « se trouvaient » et « ont été abandonnés », mais je dois continuer à écrire  » se trouvent » et « seront abandonnés ». Dans la deuxième centrale, il y a quatre réacteurs, dont à la fois la préfecture, toutes les villes et tous les villages de Fukushima exigent l’abandon, or TEPCO et le gouvernement n’ont répondu à cette exigence que de façon nébuleuse. Au cours de cette réunion, M. Koizumi Junichirō, ancien premier ministre, et d’autres personnes avec lui ont réclamé un changement de la politique énergétique du Japon.

Ma femme et moi, accompagnés de monsieur et madame Tanji, des réfugiés qui habitaient Iwaki, avons assisté à la réunion. Mille-cinq-cent personnes y étaient venues des diverses villes du département. La plupart étaient âgées. Le 10 février étant jour ouvré, les gens pourvus d’un emploi ne pouvaient y prendre part, de ce fait les participants étaient trop vieux.

Le Japon laisse entendre qu’il pourrait redémarrer la centrale de Fukushima II

Conférence de Koizumi Junichirō

Koizumi est né le 8 janvier 1941. Il a été premier ministre entre avril 2001 et septembre 2006. Il a donc occupé le poste pendant plus de cinq ans, durée très longue en comparaison de celles d’autres premiers ministres. Il était très populaire. Durant son ministère, il a envoyé des soldats du Corps de Défense japonais prendre part à la guerre en Irak, conformément aux exigences des États-Unis, et il était partisan de la politique énergétique nucléaire.

Cependant, après l’accident nucléaire de 2011, il a changé d’attitude face à cette politique et il a commencé à agir contre elle. Lors de l’élection du président du département de Tokyo, en février 2014, il a soutenu la candidature de l’ex-premier ministre Hosokawa. Ensemble, ils ont combattu une politique énergétique basée sur l’atome, car Tokyo était le principal consommateur du courant produit à Fukushima. Malheureusement ils ont perdu, mais Koizumi continue à se battre, en donnant des conférences en divers endroits du Japon. Voici un résumé de son exposé :

« On me fait souvent la critique d’être à présent opposé à une politique énergétique nucléaire, à laquelle j’étais favorable quand j’étais premier ministre. C’est qu’alors, je me fiais aux assertions des scientifiques en charge du nucléaire, mais quand l’accident s’est produit, je me suis mis à étudier la chose par moi-même et j’ai constaté que j’avais été trompé par ces gens-là. Le sage chinois Confucius a dit : « N’hésitez pas à corriger votre erreur. » Suivant son conseil, j’ai donc commencé à me mobiliser contre l’énergie atomique.

1.  Mensonges au sujet d’une énergie atomique « bon marché, sûre et pure »

Vraiment bon marché ? Aujourd’hui encore le gouvernement dit que l’électricité d’origine nucléaire est la moins chère, mais c’est faux. Le gouvernement verse des sommes considérables aux communes dans lesquelles sont installées des centrales nucléaires et, lorsqu’arrive un accident, il doit payer de lourdes indemnités. Construire des centrales nucléaires coûte cher, aussi les banques ne prêtent-elles pas  aux compagnies d’électricité sans une garantie du gouvernement. En avril  prendra fin leur monopole de production et de vente du courant, et des compagnies concurrentes arriveront alors sur ce marché. Craignant de le perdre, les compagnies demandent que l’État les subventionne. Les centrales nucléaires sont des gouffres financiers.

Vraiment sûre ? Quand des accidents ont eu lieu à Three Mile Island et à Tchernobyl, les spécialistes japonais et les compagnies d’électricité ont assuré que jamais il n’y en aurait d’aussi graves dans nos centrales, car celles-ci sont très sévèrement contrôlées, or j’ai appris que de très nombreux accidents s’y étaient produits. Le haut responsable de l’Autorité de Régulation Nucléaire déclare à présent : « Je n’ai jamais dit que les réacteurs approuvés sont sûrs« , mais le premier ministre Abe répète, de façon infondée, que ces réacteurs ont été approuvés selon les normes les plus rigoureuses du monde.

Vraiment pure ? Les réacteurs japonais sont situés en bord de mer afin qu’on puisse en utiliser l’eau pour les refroidir. Cette eau contient divers êtres vivants qui à la longue pourraient boucher les canalisations. Pour nettoyer celles-ci, on emploie un produit chloré. Ce produit et la chaleur tuent la mer. Les réacteurs nucléaires polluent beaucoup le milieu.

2. Nulle part, au Japon, n’existe un dépotoir pour déchets nucléaires

J’ai visité Onkalo, le dépôt définitif pour déchets nucléaires de Finlande. On a construit en cet endroit un lieu de stockage de deux kilomètres carrés, sur une couche rocheuse stable, à quatre-cent mètres de profondeur. La Finlande a quatre réacteurs, mais on ne peut y stocker les déchets que de deux réacteurs seulement, et pour les deux autres on n’a pas de lieu de stockage. Le Japon est un pays volcanique, c’est pourquoi il ne s’y trouve aucun endroit aussi stable qu’en Finlande, de plus notre pays est si densément logé qu’il est impossible d’y avoir un lieu convenant au stockage.

3. Le Japon peut progresser sans énergie atomique

L’Allemagne a déclaré qu’elle devait se débarrasser de ses centrales nucléaires, mais elle n’en est pas encore débarrassée; le Japon, au contraire, n’a rien déclaré de pareil mais il a été, de fait, complètement débarrassé d’elles pendant deux ans, et presque complètement durant trois ans, avec d’abord un, puis à présent trois réacteurs en marche. Il est clair que le Japon peut progresser sans centrales nucléaires. S’il utilise désormais davantage d’énergie renouvelable, notre économie progressera. Le Japon a toujours surmonté les difficultés au cours de son histoire. Par exemple, nous avons été vaincus lors de la dernière guerre et nous avons perdu tous les territoires hors de l’archipel, et pourtant le pays progresse. Les Japonais sont capables de transformer leurs infortunes en bonnes fortunes. Supprimer les centrales nucléaires est un grand rêve, mais ce rêve n’est nullement irréalisable. Attelons-nous ensemble à la tâche ! »

(fin du résumé)

Corriger ses erreurs est une bonne chose, mais pourquoi donc Koizumi n’a-t-il prêté l’oreille qu’à de mauvais conseillers ? Depuis longtemps déjà des savants honnêtes s’opposaient à l’énergie atomique et mettaient en garde contre la dangerosité des réacteurs nucléaires. Il s’est réveillé et, désormais, il agit. C’est tout à fait louable, mais je regrette qu’il ait dormi lorsqu’il était premier ministre. Il s’est démis, depuis, de ses mandats, même de celui de parlementaire. Résultat : aux yeux du mauvais premier ministre Abe, il est devenu quantité négligeable.

Je me suis aperçu qu’il était du même âge que moi : il est né en janvier 1942 et moi, en décembre 1941. Il s’implique vigoureusement dans l’action, donc il faut que moi aussi j’agisse vigoureusement pour sauver le Japon.

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Discours du maire de Minami-Sōma, M. Sakurai Katsunobu

« La ville de Minami-Sōma compte aujourd’hui encore vingt-sept-mille réfugiés. De toutes les villes victimes du tsunami, elle est celle dont le nombre de réfugiés est le plus important. Sur ces 27 000, 9300 sont déjà sont partis loger dans d’autres villes et ne sont donc plus au nombre de nos concitoyens; mille habitent hors de la ville et les huit-mille autres habitent bien dans la ville, mais pas dans leur maison.

La ville a subi l’assaut du tsunami et 2 500 personnes ont disparu*, que nous avons dû rechercher, et ensuite s’est produit l’accident nucléaire. Cependant, ni la préfecture ni le gouvernement n’ont donné d’informations sur la situation. Ils ont considéré nos vies comme négligeables. Ils nous ont abandonnés. Nous étions tous furieux.

 * Sur ces 2500, 997 ont été retrouvées mortes.

Plus tard, le 15 mars, j’ai entendu à la télévision que le réacteur n° 3 était en danger. Je savais qu’il fonctionnait au combustible mox. Si un grave accident se produisait, il s’en écoulerait du plutonium, le plus dangereux des produits radioactifs, et j’ai donc pris seul la décision d’évacuer 14 000 citadins vers la préfecture de Nīgata. Son président m’avait promis qu’il les accueillerait, car dans le Nīgata aussi se trouve une centrale de TEPCO, et il nous plaignait donc, pensant que le sort qui aujourd’hui était le mien, serait le sien demain peut-être.

Avant l’accident, le gouvernement avait donné consigne aux villes dans lesquelles se trouvent des centrales nucléaires de ne pas faire de plan d’évacuation des habitants dans un rayon de dix kilomètres, car cela les inquièterait. Le pouvoir croyait et faisait croire aux gens, qu’au Japon jamais il n’y aurait d’accident sérieux.

À cause de l’accident, le territoire de notre ville est divisé en trois catégories en fonction de la distance à la centrale nucléaire endommagée n° 1 de Fukushima, à savoir : une zone comprise dans un rayon de vingt kilomètres, une zone entre vingt et trente kilomètres et une zone au-delà de trente. Dans ce cadre, certains habitants devaient partir tout de suite, d’autres devaient attendre et d’autres encore n’avaient pas à partir, et selon ces catégories TEPCO payait – ou paie encore – une indemnité. Ce système a été la cause de grandes difficultés pour les habitants, engendrant la discorde entre eux, car la chute de matières radioactives ne se faisait pas forcément en fonction des distances. Il est arrivé que des points situés dans la zone d’au-delà de trente kilomètres étaient si pollués que les gens devaient fuir, mais TEPCO ne leur a versé aucune indemnité.

Le 11 août 2015 le réacteur nucléaire de la centrale de Sendai, dans l’île méridionale de Kyushu a été réactivé. Le premier ministre Abe a bien dit : « Tant que Fukushima ne sera pas tiré d’affaire, le Japon ne sera pas tiré d’affaire. », mais s’il le croit vraiment, pourquoi a-t-il approuvé la remise en marche de ce réacteur? La préfecture de Fukushima et ses 59 villes et villages exigent l’abandon des quatre réacteurs de la centrale nucléaire n° 2. Or le gouvernement ne leur a jamais répondu clairement. La compagnie TEPCO dit que, le pouvoir ne se prononçant pas nettement, elle ne peut pas, elle, prendre de décision. Je les soupçonne, l’une et l’autre, de vouloir remettre en route ces quatre réacteurs.

TEPCO n’a pas le droit, ni le pouvoir de faire refonctionner ces réacteurs. Dix jours après la survenue de l’accident, l’un de ses responsables nous a rendu visite. Pourquoi ne sont-ils pas venus tout de suite dans notre ville? Quand nous sommes allés voir le président de la compagnie, à Tokyo, pour lui poser des questions, il nous a salués dans le couloir mais ne nous a pas fait entrer dans son bureau. Pourquoi ne nous a-t-il pas demandé pardon en personne pour l’accident ? TEPCO a dit qu’aucune des victimes n’a trouvé la mort. Cette compagnie n’a ni compétence, ni honnêteté, ni capacité, en tant que future productrice d’électricité par réacteurs nucléaires.

La ville de Minami-Sōma s’est déclarée, en mars 2015, ville sans centrale nucléaire, plaçant son espoir dans un monde fondé sur une énergie renouvelable. Ensemble, faisons naître un tel monde ! »

(Fin du disours)

J’ai été très ému par le discours du maire. À plusieurs reprises déjà, j’avais visité cette ville. Elle souffre vraiment des suites du séisme, du tsunami, de l’accident nucléaire et du discrédit qui s’attache au nom de Fukushima. En voyant l’état misérable de la ville et de ses habitants, ma fureur à l’égard de l’accident nucléaire et de la politique énergétique du gouvernement actuel s’est accrue jusqu’à l’exaspération.  C’est pourquoi j’ai écouté son discours avec une telle émotion.

Au sujet de la centrale n°2, l’intervenant suivant a dit : « Le gouvernement redoute que l’électricité ne manque lors des Jeux Olympiques de 2020. C’est pourquoi il veut disposer du courant de la centrale nucléaire n°2 de Fukushima. »

Auparavant, 32% de l’électricité qu’utilisait Tokyo provenait du département de Fukushima et 20%, du département de Nīgata. C’est dans ce dernier que se trouve la centrale nucléaire Kashiwazaki-Kariwa de TEPCO, qui a sept réacteurs et dont la capacité totale de production était de 8,21 millions de kilowatts. C’était alors la quantité la plus grande du monde, mais en juillet 2007 il y eut dans la mer de Nīgata un grand  séisme et la centrale fut sinistrée et s’arrêta. Le président du département, Izumida, n’a pas confiance dans TEPCO à cause de fréquents agissements déloyaux de la compagnie, si bien qu’il n’autorise pas le redémarrage, exigeant qu’auparavant elle  recherche les causes de l’accident de Fukushima. Il est sûr que les dirigeants font pression sur le gouverneur de la préfecture, mais jusqu’à présent ils n’ont pas réussi à le convaincre. Il se peut qu’en 2020 également il leur soit difficile d’obtenir du courant de Nīgata.

Ils veulent donc garder Fukushima comme solution de rechange. Jusqu’aux Jeux Olympiques, le pouvoir va tenter de faire plier Nīgata ou Fukushima par la menace, par l’argent, et par l’intrigue.

En fin de réunion, nous avons adopté une résolution dans laquelle étaient mentionnés les points suivants :

1.  D’après le recensement, le nombre d’habitants dans les villes proches de la centrale nucléaire n°1 mentionnées ci-dessous est :

Namie: 0                 Ōkuma: 0             Fukata: 0

Tomioka: 0              Ītate: 41                Katsurao: 18

Dans l’histoire moderne du Japon, jamais une telle situation ne s’était présentée, même lors de la deuxième guerre mondiale, au cours de laquelle périrent 62 000 habitants de Fukushima.

2. Cinq lycées de la région côtière seront temporairement fermés (pendant de nombreuses années, peut-être).

La résolution s’achevait sur ces mots :

Nous tous, ayant été évacués ou non, réfugiés ou non, étant revenus ou non, tâchons de nous comprendre les uns les autres, main dans la main, et renforçons-nous dans notre volonté de ne plus voir jamais se produire d’accidents nucléaire.

Publié par Ginette Martin dans Au Japon
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