Fukushima : Tepco dans le viseur de la justice

Fukushima : Tepco dans le viseur de la justice

Par Arnaud Vaulerin, correspondant au Japon
698183-workers-wearing-radiation-protective-gear-rest-on-a-road-at-tepco-s-tsunami-crippled-fukushima-daiicDes ouvriers de Tepco sur le site de Fukukshima, en novembre 2014. Photo Shizuo Kambayashi.Reuters

Trois anciens dirigeants de la compagnie électrique japonaise doivent être inculpés lundi pour n’avoir pas pris les mesures adéquates en mars 2011.

Cinq ans après l’accident nucléaire de Fukushima, Tepco devrait être rattrapé par la justice japonaise. Trois anciens dirigeants de la compagnie Tokyo Electric Power Company, qui gère la centrale de Fukushima Daichi, pourraient être inculpés lundi pour négligence professionnelle ayant provoqué des morts et des blessures en mars 2011. Jusqu’à ce jour, personne n’a été pénalement reconnu responsable de la pire catastrophe nucléaire depuis l’accident de Tchernobyl en avril 1986. Cette information intervient à un moment délicat pour la compagnie électrique. Mercredi, elle avait dû présenter ses excuses pour avoir minimisé la gravité de l’état du cœur des réacteurs qui avait fondu.

L’acte d’accusation formé par un groupe de citoyens sera déposé à la Cour du district de Tokyo par les juristes siégeant en tant que procureurs. Il vise Tsunehisa Katsumata, 75 ans, ancien président de Tepco, et ses deux anciens vice-présidents, Sakae Muto, 65 ans, et Ichiro Takekuro, 69 ans. Le trio dirigeait Tepco au moment où le site de Fukushima Daichi a été frappé par le séisme de magnitude 9 et la vague du tsunami qui ont provoqué une panne électrique générale entraînant la fusion des cœurs des réacteurs 1, 2 et 3 et des explosions en série.

Nuages radioactifs et explosions

Selon l’avocat qui s’est entretenu avec la presse, l’acte d’accusation indiquera que les dirigeants étaient informés qu’un puissant tsunami était susceptible de frapper la côte du Tohoku où sont installés les six réacteurs de Fukushima Daichi. Mais ils n’auraient pas pris les mesures adéquates pour protéger la centrale. Les plaignants comptent par ailleurs faire valoir que les agissements de la direction de Tepco ont conduit à la mort de 44 patients d’hôpitaux, notamment à Futaba, une commune qui héberge les réacteurs 5 et 6 de Fukushima-daiichi. Ils auraient également provoqué de nombreuses blessures lors de l’évacuation des habitants des zones menacées par les nuages radioactifs et les explosions d’hydrogène.

Cette inculpation serait une étape décisive dans un feuilleton judiciaire qui a démarré en 2012. Cette année-là, un groupe de citoyens de Fukushima a décidé de poursuivre de nombreux dirigeants de Tepco et du gouvernement. Après avoir essuyé un refus de la justice, les plaignants ont resserré leurs poursuites contre les responsables de la compagnie électrique. En septembre 2013, les procureurs avaient décidé de ne pas inculper les trois dirigeants de Tepco. Mais cette décision a été annulée en juillet dernier quand un comité indépendant de citoyens a obtenu le droit d’entamer des poursuites en justice au motif que les dirigeants étaient en mesure de prévoir les risques d’un tsunami majeur avant la catastrophe.

Une étude gouvernementale de 2008 indiquait que le scénario d’une vague de 15,7 mètres frappant les Fukushima Daichi était crédible au vu des puissants tsunamis ayant ravagé la région dans le passé. Ce n’est qu’en juin dernier que Tepco a rendu public ce document envisageant des mesures «indispensables». Le texte indiquait qu’il était «difficile de nier complètement» les résultats de l’étude. Et ajoutait que Tepco n’avait pas «d’autres choix» que d’élever la hauteur maximale dans ces estimations pour le tsunami. Que s’est-il passé après la lecture de l’étude ? Rien. La compagnie électrique a demandé de ne pas divulguer la teneur des discussions et du mémo. Et rien n’a été entrepris. Le 11 mars 2011, la vague culminait à 15 mètres.

Passif d’omissions et de falsifications

Une nouvelle fois, Tepco est rattrapé par sa culture de la dissimulation. La compagnie a un passif documenté d’omissions, de falsifications et de graves violations des règles de sécurité depuis les années 70.

Le dernier mea culpa en date vient illustrer les méfaits de la compagnie électrique. Mercredi, elle a avoué avoir minimisé la gravité des réacteurs de la centrale au pire de la crise nucléaire de mars-avril 2011. Elle aurait dû reconnaître dans les heures qui ont suivi le début de l’accident nucléaire, dès le 11 mars, qu’une fusion du cœur des réacteurs était en cours. Dans les manuels de «lutte contre les catastrophes nucléaires» de Tepco, mis à jour onze mois plus tôt, il était écrit que si «l’endommagement d’un cœur de réacteur dépasse 5 %, on peut en déduire que la fusion du cœur est en cours». Mais ces critères n’ont pas été appliqués sur le moment alors que la dégradation du combustible dépassait largement ce niveau. Il a fallu attendre deux mois avant que Tepco emploie l’expression «fusion du cœur». Si Tepco, qui travaillait dans des conditions périlleuses et pénibles, avait reconnu plus tôt l’état de ses installations, il aurait pu agir en conséquence et informer les populations d’une manière plus adéquate.

Après ce rare mea culpa et les excuses d’usage de Tepco, le gouverneur de Niigata, Hirohiko Izumida, a exhorté Tepco à mener une enquête interne approfondie pour découvrir la «vérité derrière la dissimulation de la fusion» des cœurs des réacteurs. La vérité surgira peut-être lors du procès des dirigeants qui ne devrait pas commencer avant un an.

Ce contenu a été publié dans Japon 2016. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *