Fukushima, un «mikado» atomique

Nucléaire : décontaminer Fukushima, un «mikado» atomique

Frédéric Mouchon | | MAJ :
Fukushima Daiichi (Japon), le 9 juillet 2014. Pour limiter la pollution de l’océan par des eaux contaminées s’écoulant de la centrale nucléaire accidentée, la firme Tepco, chargée du démantèlement du site, a entrepris la construction d’un mur souterrain imperméable. Fukushima Daiichi (Japon), le 9 juillet 2014. Pour limiter la pollution de l’océan par des eaux contaminées s’écoulant de la centrale nucléaire accidentée, la firme Tepco, chargée du démantèlement du site, a entrepris la construction d’un mur souterrain imperméable. (AP/Kimimasa Mayama.)

20 millions de tonnes de terre et de déchets radioactifs entassés dans des sacs, un millier de cuves remplies d’eau contaminée, une armée d’ouvriers dont le nombre a doublé sur place depuis le 11 mars 2011 et des centaines de milliers d’habitants qui ne sont toujours pas retournés chez eux…presque cinq ans après la catastrophe nucléaire survenue au Japon, la centrale nucléaire de Fukushima et le no man’s land qui l’entoure ressemblent aujourd’hui à une «zone de guerre». C’est la formule choisie par le nouveau responsable des opérations de décontamination de la centrale, Naohiro Masuda, pour décrire l’ampleur de la tâche qui l’attend. Les opérations de démantèlement du site, dont le coût est impossible à évaluer, prendront selon lui près d’un demi-siècle et nécessiteront d’«inventer une nouvelle science».

Des piscines encore remplies de combustibles nucléaires

Alors que les bâtiments ont été durement ébranlés par le tremblement de terre et les explosions d’hydrogène, 1500 barres de combustible de 100 tonnes chacune étaient entreposées depuis 2011 au coeur de la piscine de refroidissement du réacteur N°4. Méticuleusement, les ouvriers de Tepco (Tockyo Electric Power Company) ont fini par les évacuer il y a un an. Un jeu de mikado à haut risque où l’on ne peut pas se permettre de laisser tomber la moindre barre au risque de provoquer de nouvelles fuites radioactives. «Il reste encore 1673 barres de combustibles à retirer des piscines 1, 2 et 3 où des gravats sont tombés sur les rails d’entreposage, explique le directeur général adjoint de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire Thierry Charles. Ils doivent d’abord démonter les superstructures des bâtiments endommagés, remettre en place des moyens de manutention et ensuite retirer les barres, ce qui ne pourra pas se faire avant 2017 pour la piscine 3 et 2020 pour les deux autres».

Des «robots décontaminateurs» pour pénétrer au coeur des réacteurs

Trois des six coeurs des réacteurs de Fukushima sont entrés en fusion et la radioactivité dans cette partie des bâtiments est telle que l’homme ne peut y pénétrer. Pour récupérer le corium, le magma métallique radioactif fondu, Tepco envisage d’utiliser des robots. «Cela n’a jamais été fait auparavant et ces opérations pourraient prendre à elles seuls dix ou quinze ans» estime Thierry Charles. «Cinq ans après la catastrophe, on ne sait même pas encore où se situent exactement les coeurs fondus et même des robots, qui sont équipés de capteurs électroniques sensibles aux radiations, ne peuvent rester qu’un certain temps en milieu très radioactif» souligne Christophe Behar. Directeur de l’énergie nucléaire au CEA, il fait partie des quatre experts étrangers appelés par les autorités nippones à donner leur avis sur les opérations de démantèlement en cours.

Difficile retour à la vie dans les anciens villages contaminés

Sur les 127 000 personnes évacuées de la préfecture de Fukushima au lendemain de la catastrophe, très peu sont revenus vivre dans leurs maisons. «A Nahara, un village situé au sud de la centrale où les travaux de décontamination ont été achevés, l’ordre d’évacuation a été levé en septembre mais seulement 10% de la population est revenue, a constaté sur place Jean-Christophe Gariel, directeur de l’environnnement à l’IRSN. Seuls les anciens, attachés à leurs terres, se sont réinstallés mais les familles avec enfants appréhendent de retourner sur ce territoire et certains sont partis refaire leur vie ailleurs». Dans les villes où le retour a été autorisé, les habitants disposent de dosimètres pour évaluer le niveau de radioactivité ambiant. Mais les forêts alentour, très contaminées, ont été désertées. Et dans les zones les plus contaminées, classées rouges, où 24 000 personnes avaient été évacuées, le retour ne sera pas possible avant au moins dix ans.

Déjà 1 865 décès
Quel bilan sanitaire cinq ans après la catastrophe ? Le tableau reste flou en raison du « suivi » des populations, peu transparent. L’explosion de la centrale a suivi de peu le tsunami et a semé la panique et l’évacuation de plus de 146 000 personnes vivant autour. Le 4 mars dernier, un premier bilan a toutefois été officiellement donné : 1 865 décès liés à l’évacuation et pour lesquels les familles ont reçu une indemnisation. Aucun chiffre n’a été donné pour les irradiations directes. Il y a quinze jours toutefois, un premier cas de cancer lié à la catastrophe a été reconnu : il concerne un ouvrier de 41 ans. Les enfants de Fukushima risquent aussi de payer un lourd tribut : 385 000 d’entre eux ont fait l’objet d’analyses. Et, parmi eux, au moins 86 avait déjà déclaré un cancer de la thyroïde. Le bilan va donc s’alourdir.
A.G.
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