Fukushima, cataclysme mondial

Et si la centrale de Tchernobyl n’avait pas explosé en 1986 ? Est-ce que la catastrophe aurait été pire quelques années plus tard ? Ou au contraire est-ce que cela aurait été le début d’une prise de conscience des dangers du nucléaire ? Les énergies alternatives se seraient-elles imposées sous l’impulsion de Gorbatchev ? Vous avez proposé vos scénarios les plus fous et nous avons retenu celui de Guillaume.

Prochaine proposition d’uchronie vendredi 05 juin. Et en attendant regardez la série interactive diffusée par France Télévisions et Libération.

Il y eut d’abord «chudo» ou «miracle» en russe. Ce fut l’un des plus graves incidents nucléaires après celui de Three Mile Island. Suite à un exercice malencontreux, un des réacteurs nucléaires de la centrale de Tchernobyl s’emballa. Heureusement, il restait dans le réacteur lors du test assez de barres de contrôle et le système d’arrêt automatique avait bien fonctionné.

Mais les 30 secondes d’emballement du réacteur avaient suffi pour entraîner une fusion partielle du cœur et rendu l’ensemble du système totalement inexploitable. Alors que l’enceinte de confinement avait correctement joué son rôle pour la centrale de Three Mile Island, la centrale de Tchernobyl en était totalement dépourvue et une petite quantité de radiations s’était échappée dans l’atmosphère.

Cylindre d’acier

Bien entendu, les médias russes n’avaient pas relayé l’information concernant ce nouvel incident nucléaire. C’est seulement après que les Finlandais et Suédois avaient remarqué une augmentation d’isotopes artificiels dans leur atmosphère que la Russie et l’Ukraine s’étaient résolus à annoncer la nouvelle et avaient accepté les visites des agences nucléaires internationales. Une photo de la première visite avait d’ailleurs fait sensation car elle montrait que le cylindre d’acier contenant le cœur du réacteur était complètement boursouflé par le phénomène de surpuissance comme une boîte de conserve mal pasteurisée. Des mesures par échographies avaient aussi révélé qu’à certains endroits il ne restait que quelques millimètres de la carapace d’acier du réacteur.

Dans son rapport publié en 1987, l’Agence internationale de l’énergie atomique indiqua qu’on avait effectivement frôlé la catastrophe. Il suffisait de quelques secondes de plus pour que la réaction devienne incontrôlable avec un dégagement massif de particules radioactives dans l’atmosphère.

Suite à cet accident et avec la chute de l’empire soviétique, l’Allemagne réunifiée s’empressa de demander à l’Ukraine d’arrêter ses centrales nucléaires sans enceinte de confinement. Avec l’aide économique de l’Union européenne, depuis 2010, les réacteurs de Tchernobyl ont été progressivement démantelés. Mais, malgré l’intense lobbying des écologistes allemands, le gouvernement allemand a refusé de remettre en cause son programme nucléaire et la France a continué sa marche vers le tout-nucléaire en construisant plusieurs centrales de nouvelle génération. Lors des accidents précédents, il n’y avait jamais eu de fuite radioactive majeure. La cuve d’acier et l’enceinte de confinement avaient correctement fonctionné et il y avait une certaine complaisance, notamment dans les pays très nucléarisés comme la France ou le Japon, par rapport aux risques nucléaires.

Balafre

Bien entendu, tout cela changea avec «saigai» ou «désastre» en japonais. Après le tsunami lié au tremblement de terre du 11 mars 2011, les six réacteurs de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi explosèrent et une quantité massive de radiations fut dégagée dans l’atmosphère. La perte totale du système de refroidissement n’avait jamais été envisagée et les autorités de contrôle avaient trop confiance dans les capacités de limitation des dégâts de l’enceinte de confinement. Ni le pot d’acier, ni le pot de béton n’avaient su résister au déchaînement de la force nucléaire. Seul l’intervention de courageux techniciens japonais, hibakusha (1) des temps modernes, permit de maîtriser cette catastrophe.

Pendant plusieurs semaines, les six réacteurs diffusèrent un nuage radioactif mortel sur une vaste partie du monde asiatique et créèrent une immense balafre nucléaire dont on continue de mesurer les conséquences néfastes. La centrale déversa d’abord son poison en Corée et en Chine avant de changer d’avis et de contaminer plus faiblement l’Alaska, l’ouest du Canada et des Etats-Unis. Sur une bande rouge d’une largeur d’environ 100 km, il était maintenant impossible de vivre normalement.

Le nord du Japon, Pyongyang, ainsi que Tianjin en Chine étaient dans cette zone mortelle. La seconde zone de contamination, sur 300 km, concernait Tokyo, Séoul ainsi que Pékin. Après les 20 000 morts du tsunami, près de 200 000 personnes souffraient d’irradiation sévère et plus de 2 000 000 étaient contaminées. Les autorités japonaises décidèrent que Kyoto serait désormais leur capitale. Les Sud-Coréens choisirent, eux, Busan. Et Shanghai se porta candidate pour le renouveau patriotique chinois. Cette migration massive de population, faisant suite à un accident technologique majeur, engendra un nouveau type de réfugiés et préfigura des situations qui devraient survenir demain avec les réfugiés climatiques.

Crise financière

Désormais, les principaux moteurs de la croissance asiatique sont stoppés net et le monde est entré dans la plus terrible des crises financières. Le pays le plus touché reste bien entendu le Japon, qui doit non seulement faire face aux coûts astronomiques de la reconstruction de son économie mais aussi aux demandes de réparation financière émanant des deux Corées et de la Chine, qui se chiffrent déjà en centaines de milliards de dollars, sans parler de la désorganisation des échanges mondiaux.

Suite à ce désastre d’une ampleur sans précédente, tous les projets de nouvelles centrales furent gelés et les cotations boursières des principaux acteurs du nucléaire comme le fleuron français Areva dégringolèrent. En intégrant un volet plus social, l’ensemble des partis écologiques avaient maintenant le vent en poupe. Le groupe vert est devenu le troisième groupe au sein du Parlement européen lors les élections de 2014 avec 125 députés dont 20 Français. Les écologistes sont devenus la principale force de contestation des partis traditionnels et se sont insurgés contre l’austérité et la marche forcée vers le progrès qui écartent des pans entiers de la société. Lors de sa première intervention au Parlement européen, José Bové énonça cette prophétie :

«Après saigai, il ne manque plus qu’un désastre génétique majeur avec la diffusion d’OGM qui détruisent tout notre environnement. Et contrairement aux radiations, cela ne s’arrêtera pas aux portes de l’Europe.»

(1) Les hibakusha sont les survivants des bombardements atomiques d’Hiroshima et Nagasaki.

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