A Fukushima, Tepco rattrapé par le tabou…

A Fukushima, Tepco rattrapé par le tabou de la fusion des réacteurs

Par Arnaud Vaulerin, Correspondant au Japon
858912-wider-image-radioactive-fukushima-four-years-onUn bateau et des déchets abandonnés, à Namie, en février 2015. Au loin, la centrale de Fukushima-Daiichi. Photo Toru Hanai. Reuters

La compagnie électrique a admis avoir minimisé la crise et banni en mars 2011 l’utilisation de l’expression sur ordre du Premier ministre d’alors, qui a démenti.

L’expression était taboue, mais peu à peu la vérité fait surface. Dans les premiers jours de la catastrophe à la centrale nucléaire de Fukushima-daiichi en mars 2011 au Japon, le PDG de la compagnie électrique Tepco a fait passer la consigne à ses employés de ne pas utiliser l’expression «fusion du cœur du réacteur» pour décrire la situation sur le site ravagé par le séisme, le tsunami et les explosions en série. Cette dernière information, qui lève un peu plus le voile sur les jours cruciaux qui ont suivi le 11 mars 2011, éclaire à nouveau le passif documenté d’omissions, de falsifications et de graves violations des règles de sécurité commises par la compagnie depuis les années 70.

Le président de Tokyo Electric Power Co. Masataka Shimizu a agi sous la pression du bureau de Naoto Kan, alors Premier ministre du Japon, selon une enquête de trois juristes mandatés par Tepco, diffusée jeudi. «Nous ne savons pas en quels termes et dans quel contexte précis le PDG a reçu ces ordres», a ajouté jeudi Yasuhisa Tanaka en présentant le fruit de trois mois d’investigation. «Nous n’avons pas pu découvrir d’éléments plus précis» pour déterminer qui a donné ces instructions dans l’entourage de Naoto Kan. Jeudi, l’ex-chef du gouvernement, qui est devenu l’un des militants antinucléaires les plus en vue du pays, a fait savoir dans un communiqué qu’il n’avait transmis aucun ordre pour bannir l’utilisation du mot «fusion». Yukio Edano, secrétaire général et porte-parole du gouvernement au pire de la crise nucléaire, a également nié les allégations du rapport. Qui dit vrai ? Rien ne permet donc d’affirmer d’où vient cet ordre et qui l’a donné.

Selon l’enquête, Masataka Shimizu, le PDG d’alors de Tepco, a demandé au vice-président de la compagnie, Sakae Muto de ne pas employer l’expression «fusion du cœur» du réacteur. Lors d’une conférence de presse le 14 mars 2011, organisée après une explosion à l’hydrogène au niveau du réacteur 3, Muto reçoit l’ordre en direct comme le rappelle une vidéo diffusée par la chaîne NHK (à la 55e seconde). Après avoir interviewé 70 responsables de Tepco, l’enquêteur Yasuhisa Tanaka qui a dirigé l’enquête, a déclaré jeudi que Sakae Muto avait prévu d’utiliser le mot «fusion» jusqu’à ce qu’il voie le mémo qui n’a pas été retrouvé. «Pour l’heure, nous ne pouvons pas clairement expliquer ce qu’il a pu arriver au combustible», finit par dire à la presse le numéro 2 de Tepco.

55 % des barres de combustible abîmées

«L’idée que l’emploi de ce mot devait être évité était répandue dans toute l’entreprise, a expliqué hier Tanaka. Mais nous ne pensons pas que ce soit pour dissimuler les choses.» Le quotidien Asahi Shimbun rappelait ce matin que la Nisa, l’ancienne agence de régulation du nucléaire démantelée en 2012 à la suite de ses nombreuses collusions avec les lobbys industriels et politiques pro atome, avait remplacé les 12 et 13 mars 2011 deux porte-parole qui avaient suggéré que la fusion était intervenue à la centrale.

Dès le 14 mars, Tepco était en possession de données attestant de la fusion en cours des réacteurs 1 et 3 avec des barres de combustibles endommagées à 55 et à 30 %, respectivement. Mais ce n’est qu’à la mi-mai 2011 que la compagnie a finalement accepté de parler «fusion des cœurs» des réacteurs. Aujourd’hui, elle ne sait pas quel est l’état réel de ces cœurs qui ont fondu, formant un magma extrêmement radioactif que l’on appelle le corium, et peine à les localiser avec précision.

En février dernier, alors que l’archipel se préparait à célébrer le cinquième anniversaire de la triple catastrophe (séisme, tsunami et accident nucléaire), l’opérateur de Fukushima-daiichi avait fini par reconnaître qu’il avait minimisé l’ampleur de la crise, notamment la gravité de la situation des réacteurs. Il avait notamment précisé que selon son manuel de procédure de gestion de crise la fusion intervenait quand 5 % ou plus des barres de combustibles sont endommagées. Mais le 14 mars 2011, malgré les évidences, il était difficile pour Tepco d’appeler un chat un chat. Et l’admettre aujourd’hui a demandé du temps et des efforts.

Arnaud Vaulerin Correspondant au Japon

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