Ryôichi Wagô, habitant de Fukushima…

Ryôichi Wagô, habitant de Fukushima et poète, a twitté des vers dans la nuit, après le tsunami

Quand la terre tremble, que l’air empoisonne, seuls les mots offrent encore un abri et la poésie devient nécessaire

Un petit autel dans le Sendai, en mémoire du Tsunami de mars 2011. © Ken Ishii

«Où es-tu? Moi je suis assis seul devant les mots, seul dans une pièce obscure. Je veux devenir tes mots.»

C’est un tweet. C’est un court poème, traduit du japonais par Corinne Atlan, envoyé pour la première fois sur la toile le 18 mars 2011, quelques jours après le tsunami et la catastrophe de Fukushima. Celui qui a tapé ces mots sur le clavier de son ordinateur, s’appelle Ryôichi Wagô. Il est né en 1968 à Fukushima. Il y est resté, seul, après la catastrophe, tandis que sa famille le quittait, s’éloignait pour se mettre à l’abri.

Son histoire, que l’on découvre sur le site voué à la poésie contemporaine Terre à ciel, est étonnante. Saisissante même, par ce qu’elle dit du pouvoir des mots.

A quoi s’accrocher quand tout se délite, que la terre se dérobe, que l’air qu’on respire se charge de poisons? A quoi s’accrocher quand tout ce qu’on a cru jusqu’ici s’avère soudain piégé, incertain, faux?

Ryôichi Wagô a trouvé sa réponse: «Je ne pensais à rien. Dans ma cellule solitaire, ma seule pensée était que ma propre vérité se trouvait dans les mots, et uniquement dans les mots. Nulle part ailleurs. Je m’efforçais de ne penser à rien d’autre, alors que la société s’écroulait, que la vie pouvait m’être arrachée à tout moment», explique-t-il dans l’introduction du premier recueil de ses vers d’après la catastrophe Jets de poèmes, qui doit paraître en français, traduit par Corinne Atlan, le 7 avril prochain aux éditions Erès, dans la collection Po&Psy.

Ryôichi Wagô n’a pas découvert sa vocation avec le tsunami et le cataclysme nucléaire. Il était un poète reconnu avant le printemps 2011. Mais, jamais, dit-il, jamais il n’avait ressenti un tel besoin d’écrire.

Ses poèmes ne disparaîtront pas dans la nuit. Ce désarroi, cette panique, cette confiance aussi qui le ramène vers les mots, vers la langue, vers les signes du japonais, d’autres vont y répondre. Sur son compte twitter, les abonnements affluent, les uns après les autres. Si Ryôichi Wagô a besoin d’écrire de la poésie, d’autres Japonais, inconnus, ont à ce moment besoin d’en lire. Et c’est toute une communauté qui se dessine peu à peu, reliée au solitaire de Fukushima par un fil invisible tissé de mots. En mai 2011, 14 000 personnes au Japon suivent régulièrement ses tweets. Et les trois recueils de poésie qu’il en a tirés sont devenus des succès de librairie.

Eléonore Sulser – Publié vendredi 18 mars 2016 à 21:32.

 

Ce contenu a été publié dans Japon 2016. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *