…. ne pas avoir de Fukushima en France

« Je vous souhaite de ne pas avoir de Fukushima en France »

Dominique Leglu

Sciences et Avenir a rencontré à Paris Yayoi Hitomi, militante anti-nucléaire qui vit toujours à 60 km à l’ouest de la centrale de Fukushima.

Mme Yayoi Hitomi vient témoigner depuis Fukushima. Lundi 16 mars 2016, à 19h, à l'espace Jean Dame (75002). © Dominique Leglu/Sciences et AvenirMme Yayoi Hitomi vient témoigner depuis Fukushima. Lundi 16 mars 2016, à 19h, à l’espace Jean Dame (75002). © Dominique Leglu/Sciences et Avenir

INTERVIEW. Quel est le vœu de Mme Yayoi Hitomi, cinq ans après les débuts de la catastrophe nucléaire de Fukushima, le 11 mars 2011, à l’occasion d’une tournée de conférences en France et, plus largement, en Europe ? « Que les Français disent au Japon d’arrêter le nucléaire, et de ne pas en exporter. Il y a beaucoup de séismes dans notre pays, le danger existe toujours », insiste-t-elle. Sciences et Avenir a rencontré à Paris cette militante anti-nucléaire, au visage étonnamment jeune pour ses 54 ans, qui vit toujours à Koriyama, à 60 km à l’ouest de la centrale de Fukushima. Des lieux qu’elle n’a pas quittés car elle y prenait soin de son père malade (décédé depuis) et de sa mère, près de qui elle réside toujours.

Sciences et Avenir : Si vous étiez au pouvoir, que feriez-vous aujourd’hui à Fukushima ?

Yayoi Hitomi :  Je dirais qu’il ne faut pas retourner dans les zones contaminées. Avec l’argent de l’Etat, il faudrait reconstruire ailleurs, sur des terres non contaminées, l’équivalent des villages et des communes d’origine. En fait, c’est ce qu’il aurait fallu faire tout de suite, il y a cinq ans, maintenant c’est trop tard. Lors d’une évacuation, il faut prévoir où on va installer les gens. Il faut penser à cette destination finale avant une catastrophe, car il est terrible pour une communauté de se disloquer. Il ne faut pas évacuer de façon individuelle, mais préserver les groupes qui se connaissent. Car les gens sont très attachés à leur communauté.

Comme on le sait depuis Tchernobyl, vivre en subissant en permanence des faibles doses de radioactivité pendant des années peut provoquer toutes sortes de maladies. »

Aujourd’hui, le gouvernement japonais incite les habitants à retourner chez eux. Qu’en pensez-vous?

C’est dangereux ! Actuellement, est menée une véritable propagande, affirmant que les gens sont en sécurité, qu’il n’y a pas eu beaucoup de dégâts à Fukushima, que tout ce qui se dit d’inquiétant n’est en fait que de l’ordre de la rumeur (Fû hyô)… Alors qu’au contraire, comme on le sait depuis Tchernobyl, vivre en subissant en permanence des faibles doses de radioactivité pendant des années peut provoquer toutes sortes de maladies, pas seulement des cancers de la thyroïde (lire l’encadré). Autour de moi, j’entends parler de plus en plus de leucémies et de maladies cardio-vasculaires.


Les gens ne sont pourtant pas obligés de revenir ?

Le gouvernement n’y oblige pas. Mais s’il annule la notion de zone interdite et qu’il n’y a plus d’indemnisation, les gens n’ont plus de quoi vivre. Ils n’ont pas d’autre choix que de retourner chez eux.

Qui veut revenir alors ?

Ceux qui reviennent sont les personnes âgées, mais elles gardent en poche la clé de leur logement provisoire. Car, pour pouvoir vivre dans les zones qui ont été évacuées, il faudrait des infrastructures, des magasins de ravitaillement, des hôpitaux… Et ceux qui ne veulent pas revenir, ce sont les jeunes couples, les familles avec des enfants. Sans hôpital, sans moyen de faire ses courses, on ne peut pas avoir une vie normale.

Pensez-vous cependant que des jeunes vont finir par revenir ?

C’est possible que certains finissent par y aller. Surtout qu’actuellement, il y a donc cette propagande pour montrer que tout peut être normal. Le mois dernier, en février 2016, une chaîne de télévision locale a ainsi présenté, comme un exemple positif, l’installation d’une supérette, une « konbini » ouverte 24h/24 sur le site même de la centrale de Fukushima. Avec fréquentation par des travailleurs, sans masques, sans protection particulière, les vendeurs arborant l’uniforme de cette chaîne de supérettes et non une combinaison de protection contre les rayonnements. La chaîne insistait sur le fait que les travailleurs du site pouvaient maintenant s’y acheter des repas chauds. Autrement dit, que la situation redevient normale.

Combien de temps tout cela va-t-il durer ?

Indéfiniment ! Vous savez que selon Tepco (l’opérateur de la centrale de Fukushima), il faudra au moins quarante ans pour démanteler les réacteurs. Ils vont avoir besoin de main d’œuvre et les premiers emplois dans le secteur viendront de la centrale. Au collège-lycée de la communauté de Futaba, les jeunes commencent à apprendre les techniques de décontamination et la manipulation des robots pour le démantèlement. Au collège de Koriyama, Tepco et Hitachi (co-constructeur de la centrale) sont venus donner un cours intitulé « Réfléchir à ce qu’on peut faire contre la rumeur et pour la reconstruction ». En faisant vibrer la corde sensible – amour de la terre natale, appel à la générosité et au cœur des enfants…

Il y a évidemment une raison financière à ces appels au retour : c’est arrêter les indemnisations. »

Dès octobre 2011, vous protestiez avec 200 personnes à Tokyo pendant au moins trois jours devant le grand ministère de l’Industrie. Que réclamiez-vous à l’époque ? Et que faites-vous maintenant ?

Nous avions 4 grandes revendications : arrêter et démanteler toutes les centrales ; ne jamais les redémarrer ; faire évacuer les enfants des zones contaminées ; indemniser toutes les évacuations. Depuis, nous continuons. En 2012, nous avons protesté contre le redémarrage des réacteurs de la centrale de Oi (aujourd’hui ré-arrêtés); Aujourd’hui, nous protestons contre les directives concernant les zones d’évacuation…
Il y a évidemment une raison financière à ces appels au retour: c’est arrêter les indemnisations. Mais, encore plus important, il y a la volonté de montrer que Fukushima est devenu propre avant les Jeux Olympiques (prévus pour 2020) ! Il est même question de faire passer la flamme sur la route nationale (parallèle à la côte et passant devant la centrale, NDLR) qui fut fermée au début de la catastrophe. Tout un symbole.

Comment se fait-il qu’on parle toujours des « mouvements de femmes au Japon » et pas de « mouvements d’hommes » ?

Les femmes sont si peu considérées… Moi, je n’ai rien à perdre. Les hommes, eux, avec beaucoup de devoirs et accablés de responsabilités, ont beaucoup à perdre. Mais certains s’engagent quand même. Surtout les retraités qui ont du temps à consacrer à cet engagement.

Auriez-vous un conseil à donner aux Français ?

Qu’ils disent au Japon d’arrêter le nucléaire et de ne pas en exporter. Il y a beaucoup de séismes dans notre pays, le danger existe toujours. Surtout, ce que je vous souhaite, c’est que vous n’ayez pas de Fukushima  en France!
Propos recueillis par Dominique Leglu

 

116 cancers de la thyroïde avérés
Le 15 février 2016, les responsables de la santé de Fukushima ont donné les derniers chiffres officiels (actés au 31 décembre 2015) des conséquences sanitaires de la catastrophe. Après une deuxième série d’examens (d’avril 2014 à mars 2016, donc encore en cours) de la thyroïde chez les mineurs de la région (*), ce sont aujourd’hui 166 cas présentant des cellules malignes ou suspectées telles qui ont été constatés. Dont 116 cas de cancer avérés. « Or, au Japon, dans la tranche d’âge de 0 à 18 ans, fait remarquer Yomosono-net, l’incidence du cancer de la thyroïde n’est que de 0,9 pour 100 000 personnes ». Soit quarante à cinquante fois moins environ… Officiellement, il n’est cependant toujours pas admis qu’il y ait un rapport direct entre les rayonnements post-catastrophe nucléaire et ces cas de cancers de la thyroïde. C’est « peu  probable » affirme même le docteur Hokuto Hoshi, qui préside le comité procédant à l’enquête sur la santé autour de Fukushima. Une affirmation contestée par tous ceux qui insistent, justement, sur le fait que « les cas de  cancer de la thyroïde ne cessent d’augmenter ».

(*) 300 000 mineurs de 0 à 18 ans lors d’une première série d’examens, menée de façon systématique dans les écoles, seulement 236 000 lors de la deuxième série, faite sur une base individuelle et volontaire.

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