Fukushima, l’ignorance, c’est la force

Fukushima, l’ignorance, c’est la force

Cette expression, empruntée à George Orwell, a été reprise récemment lors du COIN (COllège International du Nucléaire) qui s’est tenu à Paris, en novembre 2015, puisque c’était l’intitulé d’une de ses conférences.

C’est dans le célèbre roman d’Orwell, « 1984 », que l’on pouvait trouver cette phrase : « la guerre, c’est la paix, La liberté c’est l’esclavage, l’ignorance, c’est la force  ». lien

C’est aussi ce que reprennait Cécile Asanuma-Brice, chercheur au CNRS, l’une des invitées de l’émission « Terre à Terre », de Ruth Stégassy du 19 décembre 2015, en rappelant que ce concept avait un nom : l’agnotologie, la science de l’ignorance, science régulièrement utilisée par les lobbys, qu’il s’agisse du tabac, de l’amiante, de la chimie, voire du nucléaire, notamment à Fukushima.

Il s’agit donc de « fabriquer de l’ignorance » soit en masquant la vérité, soit en freinant l’enquête.

C’est aussi ce qu’évoque Stéphane Foucart, dans son livre « la fabrique du mensonge », comment les industriels manipulent la science et nous mettent en danger. (Édition Denoël). lien

Dès 1953, des liens avaient été établis entre le tabac et le cancer du poumon, mais les cigarettiers dans l’ombre, avaient préparé une stratégie afin de retarder le mieux possible la communication sur ce sujet, acceptant finalement en 1998 de dévoiler l’ensemble de leurs archives afin de clore les poursuites engagées contre eux par 46 états américains.

Documents passionnants démontrant avec quel machiavélisme, les cigarettiers ont instrumentalisé la science, en produisant du doute, de façon à ralentir les procédures, et à empêcher une communication objective.

Mais le tabac n’est pas seul en cause, les mêmes pratiques ont été développées pour l’amiante, et aujourd’hui pour le nucléaire. lien

Annie Thébaud-Mony, sociologue et directrice de recherches honoraires à l’Inserm (institut national de la santé et de la recherche médicale), expliquait entre autres dans l’émission « Terre à Terre », pour quelles raison, on n’avait pas trouvé de plutonium autour de la centrale de Fukushima  : tout simplement parce qu’on ne l’a pas cherché…alors que chacun sait que d’importantes quantités de ce dangereux élément radioactif ont été relâchées après la catastrophe nucléaire, puisque le réacteur n° 3 dont le cœur à fondu, fonctionnait au mox, (lien) produit dont la base est du plutonium. lien 27’00’’

Quant à la documentation que produit l’IRSN, elle est seulement la traduction des documents émanant de TEPCO sans qu’une contre-expertise puisse être conduite.

On peut découvrir cette « culture de l’ignorance » dans un document récent de l’IRSN, qui, tout en publiant une étude mettant en évidence « des défauts morphologiques sur des populations de pins japonais autour de la centrale de Fukushima », invitent à la « prudence quand au lien de causalité avec le niveau de radioactivité ambiant  ». lien

Cette courte vidéo prouvant que 2+2=5 est l’exemple parfait de cette culture de l’ignorance.

Aujourd’hui, au Japon, les autorités font le forcing, campagne de propagande à l’appui, détournant la vérité de la situation, afin de convaincre les populations à revenir en 2017, dans les zones évacuées après la catastrophe nucléaire.

Pour encourager les populations à revenir vivre dans la zone évacuée, les normes ont été largement relevées, mais comme l’on sait, la norme n’empêche pas le danger.

Aujourd’hui, officiellement on comptabilise 2,5 millions de gros sacs noirs remplis de déchets radioactifs, stockés pour une durée de 30 ans, délai largement insuffisant pour permettre au césium 137 de perdre la totalité de sa radioactivité, puisque la période (ou demi vie) de cet élément est de 30 ans : la sagesse serait donc d’attendre au moins un siècle avant de libérer toute cette terre contaminée…lien

Certains sites sont situés au bord de l’Océan, à la portée du prochain raz de marée…et le Pacifique qui a déjà reçu largement au dessus de l’acceptable, ne devrait pas s’en réjouir.

En effet, une grande partie de l’Océan Pacifique a été impactée par la catastrophe nucléaire japonaise, et les études menées en continu par l’AIEA sont tout, sauf rassurantes. lien

Mais concernant ces milliers de sac entassés, les comptes ne sont pas bons.

Au delà de la vingtaine de millions de déchets radioactifs entassés à la hâte sous de simples bâches dans la campagne environnante, il y a erreur sur les chiffres.

En septembre 2015 il y avait déjà 900 millions de tonnes entassées sur plus de 100 000 sites dans la seule préfecture de Fukushima, et 138 000 tonnes de ces 900 millions, ont un taux de radiation supérieur à 8000 becquerels par kg, et pour les autres préfectures, on comptabilise 166 329 tonnes de déchets radioactifs supérieurs à 8000 becquerels par kg.

Une chatte n’y retrouverait pas ses petits. lien

De plus, nombre d’experts s’indignent de l’incinération des tonnes de déchets radioactifs dans une douzaine d’installations, sachant qu’incinérée ou pas, la radioactivité n’est pas pour autant détruite.

Ajoutons pour la bonne bouche que les comptes ne sont pas bons non plus sur la quantité de déchets incinérés : sachant que ces 12 incinérateurs traitent chacun 500 tonnes par jour, on arrive à la conclusion assez facile qu’un peu plus de 2 millions de tonnes seront traitées en une année…soit près de 9 millions de tonnes depuis le début de la catastrophe.

Difficile alors de justifier les déclarations des autorités affirmant que sur les 43 millions de tonnes à traiter, il ne resterait plus que 9 millions de tonnes. lien

C’est au compte goutte, et toujours tardivement, que Tepco, distille quelques nouvelles informations, nous apprenant récemment qu’il n’est plus question de donner une date de « fin de démantèlement » de la centrale dévastée.

C’est en effet ce qu’a déclaré, le 20 décembre dernier, Masuda Naohiro, responsable du chantier de la centrale, à l’agence Associated Press, estimant qu’il est impossible aujourd’hui de prévoir la date de la fin des travaux, tout autant que le coût de la sécurisation du site.

Il dit travailler en « zone de guerre », affirmant que les débris des réacteurs sont impossibles à localiser, que les nappes phréatiques continuent d’être polluées jour après jour, ignorant si les nouveaux robots seront capable d’examiner les réacteurs fondus, ajoutant que les cuves inondées contenant le combustible atomique génèrent une chaleur d’environ 100°c. lien

On se souvient pourtant que les autorités japonaises avaient décrété sans hésitation au début de l’année 2012 « l’arrêt à froid » de la centrale dévastée. lien

Au sujet des nappes phréatiques, c’est le 9 décembre 2015 que Tepco a annoncé que la radioactivité en césium 134/137 des eaux retenues dans les fondations à gravement augmenté depuis l’an dernier.

Il s’agirait de 420 tonnes d’eau contaminée pour laquelle des mesures effectuées ont révélé 92 millions de Bq/m3 en ce qui concerne le césium 134, et 390 millions de Bq/m3 pour le césium 137, soit 4000 fois plus qu’en 2014. lien

L’exploitant ne pense pas que cette eau ait pu fuir à l’extérieur de la canalisation, mais on n’est pas à l’abri de surprises…

Et puis, ce n’est que le 17 décembre 2015 que nous avons appris que, vers le 15 mars 2011, les réacteurs 2 et 3 ont relâché d’énormes doses de radioactivité directement dans l’atmosphère (100 Sieverts/h). lien

Pour se faire une idée des conséquences de ce lâcher, il faut savoir qu’on estime que 10 000 microsieverts en une seule fois correspondent à une mort certaine dans les semaines qui suivent l’exposition. lien

Quittons le Japon pour la Russie, ou l’on apprend discrètement qu’une centrale nucléaire connaitrait quelques soucis.

Là aussi, on est en pleine agnotologie, puisque le rédacteur de l’article ajoute en sous titre : « si on n’en parle pas, ça n’existe pas ».

C’est à la centrale nucléaire de Leningrad, à 80 km de Saint-Pétersbourg, que, le 18 décembre 2015, une tuyauterie du circuit primaire a explosé laissant échapper des vapeurs peut être radioactives provocant la mise à l’arrêt du réacteur n°2 afin de stopper le flux de vapeur. lien

Les avis sur la radioactivité de cette vapeur qui s’est échappée ne fait pas l’unanimité : les responsables locaux affirment en chœur qu’il n’y a pas de problèmes, ce qui est étonnant, puisque cette vapeur passe directement au contact du combustible dans le cœur du réacteur.

Rappelons au passage que cette centrale, située à proximité de Sosnovy Bor est du même type que celle de Tchernobyl, et qu’elle comptabilise 40 longues années d’existence. lien

Quant aux habitants du secteur, ils se sont rués dans les pharmacies et ont dévalisé le stock de pilules d’iode, apparemment peu rassurés par le discours officiel…ils n’ont manifestement pas oublié Tchernobyl.

Affaire à suivre donc, car comme dit mon vieil ami africain et Anatole France : « on croit mourir pour la patrie ; on meurt pour des industriels  ».

L’image illustrant l’article vient de libre-infos.eklablog.com

Merci aux internautes pour leur aide précieuse

Olivier Cabanel

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