Le Japon et les centrales nucléaires

Le Japon et les centrales nucléaires

26 octobre 2015
Le Japon et les centrales nucléaires Raphaël Hauptmann, lecteur tokyoïte du blog de Fukushima, nous fait part d’informations sur le nucléaire, en particulier de la sortie récente d’un documentaire réalisé par Hiroyuki Kawai, juriste militant pour la fermeture de toutes les centrales nucléaires du Japon.
.Centrale de Takahama, fermée en     2015 (source : AFP / Kazuhiro Nogi)

Selon une étude menée par l’équipe d’épidémiologistes de l’université d’Okayama dont les résultats ont été rendus publics début octobre, quatre ans après les fuites radioactives de la centrale de Fukushima, le taux d’apparition de cancers de la thyroïde chez les enfants du département de Fukushima est 50 fois plus élevé que la moyenne nationale.

 

Le lendemain du tsunami du 11 mars, les autorités décident l’évacuation dans un rayon de 10 km autour de la centrale. Les recherches de survivants dans la zone sont suspendues à ce moment, empêchant de sauver des dizaines de vies humaines.

Les équipes de la centrale de Fukushima ont été proches de l’abandon complet de la centrale. Le premier ministre de l’époque, M. Kan, était personnellement intervenu pour demander aux équipes d’éviter le scénario catastrophe qui aurait provoqué la chute du pays.

Le scénario catastrophe est une explosion de la totalité des réacteurs de Fukushima s’ils sont laissés à l’abandon, et une contamination radioactive entraînant la nécessité d’évacuation dans un périmètre de 250 km autour de la centrale, ce qui représente une population de 60 millions de personnes à évacuer, incluant la ville de Tokyo.

Prévision de l’évacuation de Tokyo en 2011 par le gouvernement japonais (source : Asahi Shimbun : http://ajw.asahi.com/article/0311disaster/fukushima/AJ201201070039)Prévision de l’évacuation de Tokyo en 2011 par le gouvernement japonais (source : Asahi Shimbun : http://ajw.asahi.com/article/0311disaster/fukushima/AJ201201070039)

Au Japon, une association de 300 avocats lutte pour l’arrêt des centrales nucleaires sur tout le territoire japonais. Leur leader, M. Hiroyuki Kawai, a mené cette lutte pendant 30 ans. Leur argument : la sécurité des centrales n’est pas assurée, en considérant les risques de tremblements de terre, d’éruptions volcaniques, et la menace terroriste ou militaire. Ils ne bénéficient que d’une très faible exposition médiatique malgré la validité de leurs arguments et leur engagement altruiste, et utilisent Twitter, internet et séances de projection régionales comme vecteurs d’information. Les médias traditionnels japonais sont aujourd’hui fortement contrôlés par le gouvernement en place, la principale chaîne de télévision d’information NHK est sous la direction d’un proche du parti du premier ministre Abe. Les présentateurs trop critiques de la politique du gouvernement sont écartés sans bruits des plateaux de télévision.

 

Des rumeurs circulent sur la volonté des groupes d’extrême droite et de la droite militariste, avec à sa tête M. Abe, de maintenir la production d’énergie nucléaire pour faciliter un armement nucléaire dans le futur. Le gouvernement est en train de faire sortir de force le pays de la voie pacifique empruntée depuis l’Après Guerre et pourrait dans un futur proche renier les principes anti-bombe atomique hérités de Nagasaki et Hiroshima.

 

M. Kawai a réalisé un film documentaire, Nihon to Genpatsu (le Japon et les centrales nucléaires), diffusé du 10 octobre au 30 octobre 2015 dans une salle de cinéma du quartier de Shibuya à Tokyo. Ce malgré la qualité du documentaire qui mériterait une diffusion nationale et d’être vu par tous, apportant une vision claire des évènements de Fukushima et du fonctionnement du village nucléaire Japonais, qui a ses ramifications dans 60% des organes et administrations du pays et achète le silence des collectivités locales via des subventions.

 

Ayant expérimenté au Japon en 2011 la terreur liée aux radiations de Fukushima, je souhaite la fermeture des centrales nucléaires mondialement, pour tirer un trait sur le cauchemard éveillé qu’est le nucléaire, et faire progresser notre société. C’est notre mission d’éviter les catastrophes qui peuvent menacer l’espèce humaine d’extinction.

 

 

Le 14 avril 2015, un jugement de tribunal est rendu et donne victoire à Kawai-sensei pour la fermeture de la centrale nucléaire de Takahama, qui permet de protéger du risque nucléaire la région du lac Biwa, de Kyoto et Nara. C’est la première fois dans l’histoire du Japon qu’une centrale est arrêtée par décision juridique.

 

M. Kawai n’a pas peur et poursuit son combat de toutes ses forces, parce que sa lutte est juste. Il sait que la résistance de ses ennemis est un combat perdu d’avance et son objectif actuel est de retarder la remise en route des centrales japonaises jusqu’au moment où le transfert vers les energies renouvelables sera devenu une évidence. L’ancien premier ministre Koizumi est engagé à ses côtés pour la sortie du nucléaire et le transfert vers les énergies renouvelables.

 

Tokyo, Octobre 2015

Raphaël Hauptmann

 

Le Japon et les centrales nucléaires

_______________________

En savoir plus

Hiroyuki Kawai est né en 1944 dans l’ancienne colonie japonaise de la Mandchourie au nord-est de la Chine. Après des études à l’Université de Tokyo, il a commencé à pratiquer le droit en 1970 comme avocat. Aujourd’hui, il est président de Sakura Kyodo Law Offices à Tokyo. Après l’accident nucléaire de Tchernobyl, M. Kawai fit connaissance avec Jinzaburo Takagi, qui est l’un des fondateurs du Centre d’information citoyen sur le nucléaire (CNIC), et a acquis la conviction que les centrales nucléaires sont le plus grand destructeur de l’environnement. En coopération avec un ami avocat Yuichi Kaido, expert de premier plan dans les poursuites contre les centrales nucléaires, M. Kawai a commencé à se battre pour fermer les centrales nucléaires par les tribunaux en s’impliquant personnellement dans des poursuites contre la centrale nucléaire d’Hamaoka dans la préfecture de Shizuoka et contre le projet de la centrale nucléaire d’Ohma dans la préfecture d’Aomori.
Après le 11 mars 2011, M. Kawai est devenu encore plus actif dans les activités anti-nucléaires. Persuadé que le Japon doit s’orienter vers une société indépendante de la production d’énergie nucléaire, il a créé le Réseau national des conseillers juridiques dans les affaires contre les centrales nucléaires, qui a intenté des poursuites contre presque toutes les centrales nucléaires au Japon. Il conduit également le groupe de conseil pour les actionnaires de Tokyo Electric Power Company (TEPCO), qui réclament réparation de 5500 milliards de yens, la plus grande demande d’indemnisation dans l’histoire japonaise. Il est également l’avocat représentant un groupe de 14 716 plaignants qui poursuit en pénal les présumés contrevenants, dont les dirigeants de TEPCO, concernant la catastrophe nucléaire de Fukushima et les dommages qui en résultent.

Son adversaire actuel est le village nucléaire japonais. Il le définit comme une structure informelle gigantesque à but lucratif occupant 60% à 70% de l’économie japonaise, qui comprend non seulement les compagnies d’électricité, mais aussi des entreprises générales de construction, des banques, des entreprises commerciales, des fabricants, des entreprises de communication de masse, des chercheurs et des politiciens. (source : CNIC)

_______________________

Raphaël Hauptmann, Français expatrié de 36 ans, vit au Japon depuis novembre 2007 et travaille dans des filiales de groupes industriels. Il souhaite contribuer au débat libre sur le sujet du nucléaire et apporter un point de vue local sur la perception de la situation au Japon.

Ce contenu a été publié dans Japon 2015. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *