FUKUSHIMA : « les gens veulent oublier »

FUKUSHIMA : « les gens veulent oublier » dit le photographe Kikai Hiro

14/10/20151936322412

Cette « maison cousue main », dont l’image (ci-contre) remonte à 1982, évoque un bricolage de conte pour enfants plus qu’une demeure au pays de la technologie alors en pleine ascension, le Japon. Mais la quasi-totalité des photos de Kikai Hirô, dont l’exposition « Voyage à Asakusa » vient d’ouvrir (1) à l’Hôtel de l’Industrie à Saint-Germain des Prés (Paris), ne recèle ni gratte-ciels, ni robots mais des personnages tout ce qu’il y a d’humain, dans le quartier populaire d’Asakusa. « Vivre, c’est quoi ? » interroge ce photographe parmi les plus célèbres, dont les portraits noir et blanc trahissent tout l’impact de la vie chez ses personnages.

312666534Le photographe Kikai Hiro (à droite) en compagnie de Jean-François Sabouret, directeur de recherche émérite au CNRS (2), qui l’a aidé à mettre sur pied l’exposition parisienne à l’Hôtel de l’Industrie. Photo DJLeglu 

Ici, des humbles, parfois des malchanceux. L’envers d’un Tokyo pour touristes ou hommes (femmes) d’affaires, sous les néons et réclames scintillantes, consommation, luxe et « branchitude ». Mais ces petits commerçants ou ce camionneur, cet artiste tatoueur, cette jeune femme qui relève sa robe (« Bien sûr que c’est un vrai tatouage », 2007), ce couple amoureux ou cette vieille dame souriante existent, eux aussi, pour de vrai.

Kikai Hiro, aujourd’hui exaspéré par « le monde de l’argent »  – « Pour beaucoup de gens, s’il n’y a pas d’intérêt et de relation à l’argent, alors il n’y a pas d’intérêt relationnel », dit-il, souriant derrière sa barbichette – attend du visiteur qu’il vienne à la découverte. Non comme l’on regarde les clichés de la publicité, mais simplement, avec ce que l’on ressent face à ces autres humains, dans leur simplicité. Ce sont près de 4000 portraits que le photographe a réalisés au fil de quarante années passées à découvrir « chaque personne et sa manière de vivre ». D’où ces rides, ces regards affûtés, ces paupières tombantes, ces allures parfois fanfaronnes (voir « L’homme portant un manteau et qui prétend qu’il a été fait de la peau de 28 blaireaux », 1999, voir ci-dessus) ou brisées par la fatigue. « Oui, le visage des gens a changé depuis la Grande Catastrophe » (entendez la dévastation du séisme suivi du tsunami du 11 mars 2011 puis les explosions à la centrale nucléaire de Fukushima) estime-t-il. « Mais pour autant, les gens veulent oublier. En particulier le malheur des autres. Et il y a une renaissance ». C’est ce qui le fait continuer à traquer, dans un travail quasi-ascétique, la singularité de chaque individu à l’heure où, « dans le monde entier, tout le monde se ressemble ».

  • 1) Jusqu’au 23 octobre. 11h-19h, Hôtel de l’Industrie, 4, place Saint-Germain-des-Prés, 75006 Paris.
  • 2)  A lire « Tokyo : voyage à Asakusa », de Kikai Hiro et JF. Sabouret, éditions Atlantique, 58p., 14€
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