Témoignage

 Appel de ma mère

7/10/2015

Ma mère m’a appelée, ce qui n’arrive pas souvent.

« Alors ? Tu es en forme ?  Comment est le nouvel appartement ? Et les enfants ? »

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J’aurai bientôt 50 ans…mais pour elle, je reste toujours un enfant.

Mon père, qui a plus de douze ans plus que ma mère aura 83 ans cet automne.

Elle aura aussi 70 ans, même si elle semble jeune et encore très active.

Lorsque j’ai décidé de déménager de Tokyo à Fukushima, ma mère, réjouie, m’a dit qu’elle n’avait jamais imaginé à vivre à proximité de son enfant à ses vieux jours.

Le lendemain de notre emménagement, elle m’a présentée à ses voisins.

Je me rappelle même aujourd’hui son visage plein de joie, quand on lui disait  « c’est de bonheur de vivre près de votre fille ». Elle  leur répondait souvent «  En plus je verrai bientôt mon petit enfant ».

Mon père a une grande maladie depuis sa jeunesse. Ma mère pensait toujours au risque de se trouver seule à n’importe quel moment.  C’est une des raisons qui m’ont poussée d’aller vivre près de chez eux.

Et pourtant, nous sommes bien loin aujourd’hui, séparés par une mer.

La voix de ma mère au téléphone affaiblit de plus en plus.

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Aujourd’hui, elle m’a dit, «  Le nombre de médecins de l’hôpital de la ville diminue progressivement,  et chaque fois qu’on s’y rend,  ton père faisait diagnostiquer par un médecin différent. On va ainsi à un hôpital de Koriyama en voiture, car ce grand hôpital de notre ville ne fournit plus des traitements satisfaisants. C’est très pénible de conduire, mais ton père dit que l’on ne pourrait pas quitter nos petits enfants jusqu’à ce qu’ils deviendront autonomes, puisque la vie de nos jours n’est pas facile. Alors j’essaie de me tenir bon pour m’occuper de ton père…même si je suis vieille, moi aussi. »

Cela fait un an et neuf mois que je ne les vois plus.

Je commence à m’habituer à la vie de Sapporo, à Hôkkaido.

Quand je lui dis que la vie ici me plaît, elle me répond qu’elle est rassurée. Mais je ne peux pas m’empêcher de me sentir coupable devant elle.

J’essaie de lui parler des choses joyeuses :

«  J’ai préparé des œufs de saumons en conserve. Je fais mieux qu’avant.

Les enfants étaient malades la semaine dernière mais ils vont bien maintenant.

Ils travaillent bien à l’école. »

Puisque je ne veux pas lui montrer les larmes, ce qui pourrait l’inquiéter.

Mais dès que je raccroche, les larmes ne manquent pas de monter aux yeux.

Je suis en train d’écrire ce texte en pleurant.

Aujourd’hui, avant de me quitter, ma mère m’a adressé ces mots :

« Quand je serai morte, tu n’auras pas besoin de mettre mes cendres dans la tombe. T’auras qu’à les disperser quelque part.  La preuve de mon existence est la présence de toi et Yôichirô (mon frère cadet). Cela me suffit. Je n’ai pas besoin de laisser d’autres preuves de mon existence au monde. »

« Mais  tu  rigoles, on est encore loin de là ! Il nous resterait encore 20 ou 30 ans ! »

Je l’ai quittée en riant, mais j’étais débordée de larmes à nouveau.

Oh, ma mère, qui payait  davantage d’attention que moi au risque alimentaire pour les enfants avant notre évacuation…

Lorsque j’ai décidé de partir à Hokkaido, au lieu de me montrer la tristesse, elle m’a encouragée en appréciant ma décision d’assumer la responsabilité parentale.

Elle me manque tant.

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Publication datée du 5 septembre 2015 dans Facebook de Mme Hiroko Tsuzuki, déplacée à Sapporo dans Hokkaido.

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