Trois ans après Fukushima : états des lieux
01 octobre 2015
La NRA, l’autorité de régulation nucléaire du Japon doit se prononcer sur le redémarrage ou non des centrales nucléaires du pays.
Par Rafaële Brillaud (depuis Kyoto)
Trois ans après l’accident nucléaire de Fukushima Daichi, des milliers d’hommes ratissent encore les sols, raclent la terre, ramassent les feuillages, coupent des branches, arrosent des toits et bâtiments, dans l’espoir acharné de faire baisser les taux de radioactivité. Le gouvernement japonais s’est engagé à « décontaminer » onze communes qui ont été très touchées par les émissions de la centrale accidentée.
Le plan initial prévoyait que ce chantier titanesque s’achève à la fin du mois, mais ce calendrier ne devrait être respecté que pour quatre communes seulement – dont le village Kawauchi, sujet de notre reportage. Pour les sept autres, le ministère de l’Environnement est en train de réviser sa copie. Concernant Iitate par exemple, au nord-ouest de Fukushima Daiichi, un retard de trois ans est annoncé, sur la base de 9600 travailleurs mobilisés par jour ! Une hypothèse qui semble peu réalisable et une nouvelle échéance qui risque donc fort de ne pas être respectée.
Les retards repoussent le retour des habitants
Ces retards repoussent d’autant le retour des habitants dans leur foyer qu’ils ont dû quitter précipitamment. La préfecture de Fukushima compte ainsi encore plus de 100000 personnes évacuées, vivant en grande partie dans des logements provisoires. Les 14065 unités construites à la va-vite au lendemain de la cata
strophe sont occupées à plus de 80%. Une situation qui ne facilite guère l’accès au soin. La santé des évacués se détériore, de nouvelles maladies apparaissent chez les individus psychologiquement affaiblis, les suicides se multiplient. Toujours dans la préfecture de Fukushima, le nombre de décès liés à cette évacuation prolongée a désormais officiellement dépassé le nombre de victimes du séisme et du tsunami de 2011, qui s’élève à 1600 morts.
La décontamination reste en grande partie illusoire
Attendue, la décontamination reste pourtant en grande partie illusoire. Certes, les taux de radioactivité ont baissé depuis l’accident nucléaire de 2011. Mais c’est avant tout du fait de la désintégration naturelle des radionucléides. L’iode 131, qui a tendance à se fixer sur la thyroïde lorsqu’il est inhalé et peut provoquer des cancers de cette glande notamment chez les plus jeunes, a totalement disparu au bout de trois mois. Aujourd’hui, les principaux radionucléides qui posent problème sont les césiums 134 et 137. La moitié du premier s’est évanouie au bout de deux ans, la moitié du second mettra en revanche trente ans à faire de même.
Comment combattre une radioactivité mouvante ?
Une zone nettoyée peut très vite se retrouver souillée à nouveau, car les radionucléides se déplacent en permanence. Le phénomène est connu mais, au Japon, les scientifiques ont été surpris par sa rapidité et son ampleur. Les pluies lessivent en effet régulièrement les sols contaminés, emportant une partie des matières radioactives vers les cours d’eau, les transportant des montagnes vers les vallées et, parfois, la mer. On retrouve ainsi des sédiments très radioactifs dans des zones qui avaient été relativement peu touchées par les retombées initiales. Et les typhons, qui frappent régulièrement l’Archipel, contribuent fortement à cette redistribution de la contamination sur le territoire.
Les forêts ont intercepté 95% des retombées atmosphériques
La décontamination en outre ne concerne pas du tout les forêts, qui couvrent pourtant 70% du territoire le plus touché par l’accident nucléaire. Or, composées principalement de cyprès (Chamaecyparis obtusa) et de cèdres (Cryptomeria japonica), c’est-à-dire d’arbres à feuilles persistantes, ces forêts ont intercepté 95% des retombées atmosphériques au moment de la catastrophe. Personne ne sait ce que va devenir ce gigantesque stock de césium radioactif, qui se déverse sur les sols forestiers avec un effet retard de plusieurs années, au fil de la lente chute du feuillage. Va-t-il migrer dans le sol, être réabsorbé par les racines puis remonter dans les arbres ? Ou bien contaminer les nappes phréatiques, les rivières et les zones d’habitation en aval ?
Seule certitude : la radioactivité des sols forestiers aux alentours de Fukushima Daiichi ne cesse de croître. Selon une étude effectuée par la préfecture de Miyagi, dans la forêt de Marumori à 60 kilomètres au nord de la centrale, le niveau de césium des dix premiers centimètres est passé de 721 becquerels par kilogramme en juin 2012 à 3225 becquerels par kilogramme un an plus tard. A titre de comparaison, elle est de l’ordre de la dizaine de becquerels par kilogramme dans les couches superficielles des sols français. Dans l’immédiat, l’accès aux forêts est donc limité. La population doit rester vigilante. Veiller aux incendies qui peuvent disséminer les radionucléides dans l’atmosphère. Réduire l’utilisation du bois dans la cheminée car il produit des cendres hautement radioactives. Et surtout éviter de manger champignons, fruits des bois ou gibiers, très contaminés.
La relance du nucléaire est en cours
En parallèle, pour la première fois depuis 2011, l’Archipel a passé l’hiver sans une seule centrale en fonctionnement. Mais que l’on ne s’y trompe pas : depuis l’arrivée au pouvoir en décembre 2012 de Shinzo Abe, la relance du nucléaire est en cours. Le gouvernement a mis en place une autorité de sûreté à l’indépendance reconnue, qui a adopté en juillet dernier les normes de sécurité les plus drastiques du monde. La présence d’une éventuelle faille sismique entraînera par exemple l’interdiction de la remise en marche et les études géologiques menées devront couvrir une période de 400 000 années si aucun résultat n’est obtenu sur la période de 120 000 ans utilisée comme référence jusqu’à présent !
C’est cette instance, l’autorité de régulation nucléaire (NRA), qui est chargée d’autoriser les premiers redémarrages. Des demandes en ce sens ont déjà été déposées pour 17 des 48 réacteurs nippons – les six réacteurs de la centrale accidentée ont été définitivement condamnés. Critiqué pour la lenteur de sa délibération, la NRA affirme ne pas vouloir se laisser influencer et prend son temps. Quels que soient les délais, la mise en sommeil du parc nucléaire n’est que provisoire.
Rafaële Brillaud (à Kyoto)