Fukushima: Expérience vécue…

15 juillet 2015

Expérience vécue par deux femmes ayant fui à Hokkaido

Expérience vécue par deux femmes ayant fui à Hokkaido

Texte de HORI Yasuo rédigé le 18 juin 2015

traduit de l’espéranto par Paul SIGNORET avec l’aide de Ginette MARTIN

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« Il y a deux ans, j’ai fait une conférence dans Sapporo, le chef-lieu d’Hokkaido, l’île la plus septentrionale du Japon, et là j’ai rencontré une dame âgée. Elle m’envoie souvent diverses informations sur Hokkaido et entre autres, des rapports concernant la centrale nucléaire Tomari, située dans l’île. Contre cette centrale, se déroule un procès au cours duquel deux femmes ont exprimé leur expérience et leur opinion au sujet de l’accident nucléaire de Fukushima. J’ai trouvé la chose digne d’être traduite.

Témoignage de Mme Honda Junko

 

Je suis Honda Junko. J’ai fui la ville de Kagamīshi, située au centre du département de Fukuŝima, pour la ville de Sapporo, dans Hokkaido. Ce qui m’a déterminée à fuir, c’est la détérioration de la santé de ma fille.

Expérience vécue par deux femmes ayant fui à Hokkaido

En avril 2011, après l’accident nucléaire de Fukushima, celle-ci, âgée de douze ans, a recommencé à fréquenter l’école. Bientôt j’ai remarqué, sur son visage, l’apparition d’exanthèmes que je n’avais jamais vus auparavant. J’ai été surprise et nous avons consulté un médecin. Celui-ci a dit qu’il ne s’agissait pas d’impétigo. Plus tard j’ai su qu’après l’accident nucléaire de Tchernobyl, des gens à peau sensible avaient souffert du même mal.

J’ai téléphoné à l’école, en demandant qu’au repas de midi des produits provenant de Fukushima ne soient pas servis aux élèves, au déjeuner, et qu’on ne leur permette pas de jouer à l’extérieur. Mais la réponse fut, que ces repas et les activités des enfants à l’extérieur ne posaient aucun problème, car le gouvernement les avait reconnus sans danger.

 

Jugeant que, dans ces conditions, nous ne pouvions plus vivre là, j’ai décidé d’aller loger à Sapporo dans Hokkaido. Mon mari et ma fille sont partis en juin et moi en juillet, après que j’ai fermé mon institut de beauté. J’aimais ma ville, j’y avais travaillé assidûment pendant quinze ans, et voilà que je devais la quitter, ainsi que mon salon et mes collègues de travail, mes amis et mes parents. En rangeant nos affaires dans la maison et en regardant les photos de mes jeunes enfants, je fus prise d’une affreuse tristesse. Je ne cessais de me demander en pleurant, ce qui m’avait attiré ce malheur. J’ai longuement pensé à tout cela, mais finalement j’ai décidé de n’agir qu’en fonction de la santé de ma fille.

 

C’était la première fois que je venais à Hokkaido. La vie y est difficile. Mon mari a eu un nouvel emploi au bout de quelques mois, mais son salaire n’était que de cent mille yens (mille euros). J’ai ouvert un institut de beauté, mais chaque mois j’étais en déficit. Je devins si fatiguée, que mon corps souffrit de raideurs et ne pouvait bouger.  Je dormais toute la journée. Je perdis toute confiance en moi pendant cette période de ma vie.

 

Mon fils, qui loge dans une autre ville, a cessé de fréquenter son collège car nous ne pouvions plus payer les frais d’études. Ma fille devait passer un examen d’entrée pour une école moyenne dans une ville étrangère. Quelle détresse était la sienne ! Tous souffraient physiquement et moralement jusqu’à la limite du supportable, dans une ville qui leur était étrangère et des conditions de vie changées. Tous pleuraient en cachette, en évitant de montrer leurs larmes aux autres.

Comme nous sommes des réfugiés volontaires, TEPCO ne nous verse aucune indemnité. Nous vivions avec un petit salaire et l’argent de notre épargne. Nous avons vendu notre voiture, résilié l’assurance et, une année plus tard, nous avons cédé notre maison et l’institut de beauté dans le département de Fukushima.

 

Nos liens d’amitié avec nos relations et la bonne entente avec nos parents se sont rompus, car nous n’avions pas la même opinion ni la même attitude face à la radioactivité. Je ressentais une telle fureur, que j’ai appelé TEPCO et j’ai hurlé dans le téléphone, mais après j’ai eu honte de mon indécence.

 

Je pense que si je me tais, le gouvernement et TEPCO nous ignoreront et  déclineront toute responsabilité, aussi ai-je accepté toutes les interviews, à la télévision et dans les stations de radio, et je suis intervenue dans diverses réunions. J’ai également pris part au procès. En m’interrogeant sur les raisons que j’avais d’agir ainsi et sur ce qui motivait ma douleur et ma tristesse, je restais sans dormir de nombreuses nuits. Je souriais aux autres mais à l’intérieur de moi-même, je pleurais. Je sentais que j’allais me briser si je ne riais plus. Deux ans et demi ont passé, ma vie s’est un peu stabilisée et désormais je peux rire un peu, cependant il me sera impossible de vivre aussi heureuse que je l’étais dans le Fukushima.

 

Face à l’affection thyroïdienne, le gouvernement réagit très lentement, aussi ai-je fait examiner ma fille à mes frais. Sa glande a grossi plus que l’an dernier. Le médecin dit que cela n’a pas d’importance, mais je m’inquiète.

 

Nombreux sont ceux qui ont déjà oublié la catastrophe, pourtant je pense que de vraies souffrances vont apparaître à partir de maintenant. Parmi mes amis, quatre déjà ont divorcé en raison peut-être de divergence d’opinion sur la radioactivité. Quelles douleurs ont été les leurs ? Pourtant j’ai décidé de ne plus pleurer, car la colère affecte mes cellules, mais aussi les gens de ma famille et mes amis autour de moi. Je me suis réfugiée à Sapporo pour sauver ma fille et ce n’est pas en tombant malade que je  pourrai la sauver. Il vaut mieux vivre dans les rires que dans les pleurs. Je dois donc agir en riant, c’est la leçon que j’ai tirée de ma dure expérience. Cependant je ne peux pardonner au gouvernement ni à TEPCO qui  nous ont volé notre tranquillité, qui nous terrorisent par la radioactivité et qui font fi de nos souffrances. Si nous, les victimes, ne protestons pas contre eux, qui le fera ?

 

Témoignage de Mme Tsuzuki Hiroko

Le 21 juillet 2011, quatre mois après l’accident nucléaire, j’ai quitté ma maison avec mon mari et mes deux enfants. J’ai fait mes adieux à mes parents, mais je n’ai pu prononcer « Au revoir ! », car ma maison était ici, et je ne savais pas quand je pourrais y revenir. Mon cœur vacillait. Pour retenir mes larmes, j’ai levé les yeux : le ciel bleu était là, comme auparavant, mais je savais que tout déjà était changé à cause de l’accident nucléaire. Je ne peux plus vivre tranquille comme avant.

 

Mon mari et moi sommes nés et avons grandi tous deux à Tokyo. En 1995, mes parents, qui aiment la montagne, ont choisi de s’installer dans la ville de Shirakawa. Nous leur rendions souvent visite, nous aussi nous aimions beaucoup cette ville et nous y avons emménagé en 1997. Mes deux enfants sont nés dans le département de Fukushima, qui est donc leur foyer. Nous avions vécu quatorze ans dans la ville. Ce jour-là nous avons dû lui dire adieu, en laissant derrière nous nos parents et notre chère maison, ce qui nous causa une grande tristesse.

 

La ville de Shirakawa est distante de 80 kilomètres de la centrale n° 1 de Fukushima. Quand se produisit l’accident, on entendait dire seulement : “Ici ça n’a pas d’impact”, “Il n’y aura aucun problème”, “Soyez tranquilles”. Je ne pouvais approuver ces propos, car l’accident était sans précédent.

 

En avril a commencé la nouvelle année scolaire. J’ai suggéré à l’école, que l’on nettoie le gymnase et qu’en attendant on interdise aux élèves de l’utiliser, mais la réponse, toujours la même, a été : “Il est bon que les élèves fassent comme d’habitude” et cependant, de façon inconséquente, le port d’un masque, d’une chemise à manches longues et d’un pantalon leur a été prescrit. En voyant mes enfants partir chaque matin à leur cours, je me demandais pourquoi l’école tentait d’imposer aux élèves une “vie normale” dans une “situation anormale”.

Expérience vécue par deux femmes ayant fui à Hokkaido

 

En mai s’est déroulée la Journée sportive dans un gymnase toujours pas dépollué. J’ai demandé au directeur pourquoi l’école organisait néanmoins cette journée et il m’a répondu : “Si nous n’approuvions pas la norme de 20 millisieverts par an décrétée par le pouvoir* et s’il fallait que le gymnase ait une pollution inférieure à un millisievert par an comme avant l’accident, la Journée Sportive de demain ne pourrait  avoir lieu.” Après avoir entendu cette réponse, j’étais plus effondrée que furieuse. L’école attachait plus de prix aux règlements qu’à la vie des enfants. C’est alors que j’ai décidé de partir.

 

   *À cette époque, le ministère de l’éducation et de la science avait défini une norme de 20 millisieverts par an pour les écoles, bien que jusqu’alors – et même jusqu’à présent – la norme fût et soit encore d’un millisievert par an. L’un des membres du comité, mis en colère par cette décision, donna sa démission.

 

Cet accident nucléaire s’est vraiment produit. De ces réacteurs explosés s’est envolée une énorme quantité de matières radioactives qui se sont répandues non seulement dans le département de Fukushima, mais encore dans tout le territoire du Japon, polluant le sol et l’air. Inodores, invisibles, ces particules radioactives ont eu aussi une influence considérable sur le cœur des hommes. Les réfugiés ont été critiqués comme étant des traîtres, et les gens restés dans Fukushima le sont souvent comme étant peu soucieux de la santé de leurs enfants. Des amis, des membres d’une même famille sont entrés en désaccord et se sont séparés. Aussi bien les réfugiés que ceux qui sont restés sur place ont beaucoup perdu et souffrent toujours d’un manque dans leur cœur.

 

Aller de l’avant ne signifie pas simplement oublier le passé. Lorsque nous pouvons savoir ce qui a eu lieu, et que nous pouvons voir ce qui aura lieu, alors nous pouvons avancer. Je veux savoir la vérité.

 

Pourquoi nos droits humains sont-ils négligés ? Pourquoi n’apprécie-t-on pas notre volonté de protéger de faibles enfants ? Pourquoi aucun responsable du pouvoir ou de TEPCO n’est-il inculpé, quoique l’accident soit le fait d’hommes ? Nous-mêmes, gens ordinaires, ne sommes-nous pas coupables par ignorance et par manque d’intérêt ?

 

Je veux que, grâce à ce procès, nous puissions clarifier les responsabiltés dans l’accident, réacquérir nos droits humains et notre dignité pour vivre heureux et sainement.

 

Pour finir, écoutez ce que disait ma fille, alors âgée de quatorze ans : “Ce sera bien si un jour je peux rire, en ayant la preuve que notre départ n’était pas nécessaire, mais si un jour nous avions la preuve qu’il l’était, jamais plus je ne pourrais rire”. Imaginez ce qu’elle avait en tête en prononçant ces mots et ne l’oubliez jamais. »

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