Echapper aux « chaudrons de l’enfer »

12 mai 2015

Echapper aux « chaudrons de l’enfer »

Echapper aux « chaudrons de l'enfer »

INTERVIEW / Yauemon Sato :
Fukushima doit reconquérir ses ressources énergétiques pour échapper aux « chaudrons de
l’enfer ».

Le 1er mai 2015 / Auteur : Toshihide Ueda, rédacteur principal, article paru dans « THE ASAHI SHIMBUN » / Lien Source : http://ajw.asahi.com/article/views/opinion/AJ201505010047

Traduction Javale Gola

KITAKATA, Préfecture de Fukushima—Yauemon Sato, Dirigeant à la neuvième génération d’une brasserie de saké exploitée dans la ville depuis 1790, compare les réacteurs dévastés de la centrale nucléaire N°1 de Fukushima à des « chaudrons de l’enfer ».

Dans une interview récente pour le journal Asahi Shimbun, Sato dit que la catastrophe nucléaire « se répète chaque jour », en référence au gigantesque stock d’eau radioactive qui continue de croître—et souvent fuit —plus de quatre ans après la fusion des coeurs.

 

Il a fondé en 2013 la Compagnie d’énergie Aizu Denryoku*, ce fut sa réponse à la problématique de la voie qu’on devrait emprunter pour «la renaissance de Fukushima» suite à la catastrophe nucléaire.

Chef d’entreprise, Sato était bien déterminé à ne pas se contenter d’« un énième mouvement social ».

 

Il dirige aujourd’hui plus de vingt centrales solaires.

 

Sato entend également parier sur de micro-centrales hydroélectriques et sur la biomasse issue du bois, pour permettre à son affaire d’exploiter les abondantes ressources en eau et celles des forêts de la région de Aizu* dans l’ouest de la préfecture de Fukushima, où est située la ville de Kitakata.

Sato nous fait cette observation : « la région de Aizu dispose de ressources énergétiques propres à lui assurer l’auto-suffisance. Les eaux du lac Inawashiroko et de la rivière Tadamigawa étaient à l’origine notre propriété. Le moment est probablement venu qu’elles nous soient restituées. »

[*NDLT : Noter que la ville de Aizu est la capitale historique du département de Fukushima]

 

Nous vous proposons quelques extraits de l’interview :

 

***

QUESTION : Qu’est-ce qui motive votre investissement, en particulier en faveur d’énergies renouvelables ?

 

SATO : Vous connaissez le chaudron de l’enfer ? celui qui fait le mal ira en enfer bouillir dans ce chaudron. Eh bien nous avons quatre semblables chaudrons dans la préfecture de Fukushima, à la centrale nucléaire N°1 de Fukushima dont l’opérateur est la Cie d’Energie Electrique de Tokyo.[TEPCO]

 

Q.: Vous voulez parler des réacteurs N°1 à N°4 détruits par des accidents, n’est-ce pas ?

 

SATO : Tout-à-fait. Il est grand temps que la catastrophe prenne fin. Or, elle se reproduit chaque jour. Plus de 300 tonnes d’eau, contaminée par des substances radioactives à des niveaux intenses, sont produites chaque jour à la centrale, d’accord ? Nous, sommes une entreprise familiale de brasseurs de saké, au chiffre d’affaires annuel d’environ 350 millions de yens (2,9 millions de dollars). Et nous brassons environ 300 kilo-litres de saké, soient quelque 300 tonnes, chaque année. Eh bien ils produisent plus d’eau radioactive chaque jour, que nous de saké en une année.

 

Q. : L’ensemble du village de Iitate, dans la préfecture de Fukushima, est à ce jour toujours évacué en raison de la catastrophe nucléaire. Or, vous aviez apporté à Iitate votre soutien bien avant la catastrophe nucléaire déclenchée par le Grand Séisme et le tsunami dans l’Est du Japon. Pouvez-vous nous donner des précisions sur votre travail ?

 

SATO : Tout est parti d’une demande de la chambre de commerce et d’industrie du village, me proposant de brasser mon saké avec du riz cultivé à Iitate. J’ai accepté de devenir « un ambassadeur Madei » pour soutenir ce village, et puis une cérémonie d’investiture a eu lieu en janvier 2011. Deux mois plus tard se produisait la catastrophe nucléaire.

Iitate n’a rien rien à voir avec le nucléaire, alors je me suis dit qu’il fallait « que je vienne en aide à cette ville, d’une façon ou d’une autre ».

 

Q. : Ce terme de « Madei » signifie à peu près « solidaire » en dialecte local, et c’est une notion-vedette de l’entreprise pour le développement de la communauté de Iitate, n’est-ce pas ?

 

SATO : Certainement. Le maire de Iitate, Norio Kanno, a dit lors de la cérémonie d’investiture que le développement communautaire d’un « village solidaire » était quasiment parachevé. Mais tous ces efforts ont été ruinés par la catastrophe nucléaire.

Permettez-moi d’introduire une question : pourquoi la préfecture de Fukushima a-t-elle accueilli pas moins de 10 réacteurs nucléaires ? eh bien, elle l’a fait pour alimenter Tokyo en électricité. Mais les résidents de la préfecture de Fukushima n’ont pas fait suffisamment entendre leur voix, face au gouvernement central et à TEPCO.

Voilà quelques-unes des idées que j’ai partagées avec Yumiko Endo, l’ex-responsable du bureau préfectoral de l’Education pour la préfecture de Fukushima, ou encore avec Norio Akasaka, professeur d’ethnologie à l’université de Gakushuin et promoteur des «études du Tohoku».
Après, la première de nos actions fut la mise en oeuvre du « Fukushima Kaigi », un forum-citoyen qui s’est tenu à l’été 2011, pour débattre des modalités d’une « renaissance de Fukushima ».

 

Q. : C’est lors de ce forum que vous avez eu l’opportunité de faire la connaissance de Jun Yamada, un conseiller principal à Qualcomm Japan, la branche japonaise du fameux fabricant américain de circuits intégrés, n’est-ce pas ?

 

SATO : Oui. Yamada et moi nous sommes entretenus de ce qu’il faudrait faire à compter de là, et on s’est rendus à l’évidence : nous sommes des chefs d’entreprise inscrits dans leur époque. Nous contenter de maudire le gouvernement central et TEPCO ne mènerait pas bien loin. Un énième mouvement social ne nous satisferait pas. Alors finalement on est tombés d’accord : pourquoi ne créerions-nous pas une compagnie ?

 

Q. : Et la compagnie que vous avez créée, c’est Aizu Denryoku, c’est bien ça ?

 

SATO : bien sûr. Imaginez un peu, de quoi a-t-on fondamentalement besoin pour vivre ? Vous ne pouvez survivre que si l’eau, la nourriture et l’énergie sont à votre disposition.

Or, les 17 municipalités de la préfecture de Fukushima dans la région de Aizu, totalisent une population d’environ 280 000 résidents. Et cette région a suffisamment de riz et de ressources énergétiques pour être auto-suffisante. Les seules centrales hydroélectriques de la région de Aizu ont assez de potentiel énergétique pour couvrir les besoins de tous les ménages dans la préfecture de Fukushima.

 

Q. : Mais ces centrales-là, elles appartiennent à TEPCO, la Cie de l’Energie Electrique du Tohoku ainsi qu’à la Compagnie de Développement de l’Energie Electrique. La majeure partie de l’énergie produite est distribuée dans la région du Grand Tokyo. Que pensez-vous de cet arrangement ?

 

SATO : Nous n’avons pas les droits d’utiliser l’eau pour produire de l’énergie. Cependant, les eaux du lac Inawashiroko et de la rivière Tadamigawa étaient à l’origine notre propriété. Le moment est sans doute venu qu’elles nous soient restituées.

De même les centrales nucléaires sont situées sur le territoire de la préfecture de Fukushima. Pourquoi nous prive-t-on, là encore, de nos ressources ? Allons réclamer ce qu’on nous a pris. —Je ne dis rien d’autre.

 

Q. : La Compagnie Electrique du Tohoku a fixé une limite à la quantité d’électricité qu’elle achèterait aux sources d’énergies renouvelables. Quelle est votre approche concernant cette tâche ardue de vous confronter aux groupes d’intérêts ?

 

SATO : Mon père a débuté en court-circuitant les grossistes et les détaillants pour vendre notre saké directement aux touristes venant à Kitakata. Ce qui a déclenché un scandale inouï auprès des associations de grossistes et de détaillants. Mais à partir du moment où les consommateurs sont devenus friands de nos produits, ils ont passé des commandes aux détaillants et au final, ces mêmes détaillants ont été bien obligés de distribuer nos produits. La clientèle ne vous fera jamais défaut à condition que vous fassiez des produits de première qualité.

 

Q. : Vous rassemblez autour de vous un cercle grandissant de personnes acquises à votre point de vue. Iitate Denryoku, la compagnie de centrales solaires, a été créée à Iitate en septembre 2014, et vous en êtes le vice-président. Comment évolue-t-elle ?

 

SATO : A Tatami dans la préfecture de Fukushima, un nouveau groupe de personnes se mobilisent aujourd’hui pour créer une compagnie d’énergie : « Tatami Denryoku ». Quatre des 17 municipalités de la région de Aizu — Inawashiro, Bandai, Nishi-Aizu et Kita-Shiobara— ont décidé en mars d’investir dans Aizu Denryoku.

Notre objectif c’est de créer ce qu’on pourrait appeler «une compagnie publique de stockage». Nous avons encore quelques obstacles à dépasser, par exemple la question des droits d’exploitation de l’eau. Néanmoins notre projet est de multiplier dans les prochaines années des micro-centrales hydrauliques qui puissent utiliser l’eau des rivières ou d’autres sources connues, ainsi que la biomasse en misant sur le bois des forêts ou d’autres ressources.

On a commencé par l’énergie solaire, pour simplement renforcer l’assise de notre société.

 

Q. : Vous lancez à l’intention de l’ensemble des autorités municipales de la région de Aizu, un appel à l’injection de capital dans votre société. Quel rôle comptez-vous qu’elles jouent ?

 

SATO : Le développement de la communauté est d’abord le fait des gens du cru provenant du secteur privé, et de fait l’on n’escompte pas qu’il soit porté par les autorités dirigeantes. Le rôle des organes municipaux est d’appuyer l’action du secteur privé. C’est ainsi que la ville de Kitakata  a connu l’essor de sa réputation de « ville des entrepôts », ou « ville des ramen » puis a été confortée dans cette voie.

 

***

Né en 1951, Yauemon Sato est diplômé du Département Brasserie et Fermentation du Junior College de la Faculté d’Agriculture de Tokyo. En 1973 il est entré en apprentissage dans la brasserie familiale, la brasserie de sake « Yamatogawa Shuzoten ».
Il est inspiré par l’action de son père Yauemon Sato VIII dont il cite l’investissement dans la promotion de KItakata comme «la ville des entrepôts» et son engagement dans la conservation du patrimoine architectural au sein de l’Association Japonaise pour la Conservation et la Régénération de Machi-nami.

Sato, qui a repris en 2006 le flambeau de la Direction de l’entreprise familiale au rang de la neuvième génération, est également Directeur Général de la Coopérative Japonaise de Jizake, qui supervise les brasseries artisanales de saké, ainsi que Secrétaire en Chef d’une association nationale de fournisseurs locaux en énergie, dans laquelle les fondateurs ont inclus des services d’électricité desservant des zones localisées.

Le nom de l’entreprise Aizu Denryoku est emprunté à une compagnie qui exista avant la Seconde Guerre Mondiale. Un choix porteur de l’espoir de revivifier la tradition d’une telle compagnie qui puisse approvisionner en électricité les communautés locales.

Ce contenu a été publié dans Japon 2015. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *