Fukushima: A la recherche des cœurs perdus …

A la recherche des cœurs perdus des réacteurs nucléaires de Fukushima

Le Monde.fr |   • Mis à jour le  | Par  Pierre Le Hir
Le gouverneur de Fukushima inspecte les réservoirs d'eau dans la centrale de Fukushima, le 15 octobre.

Où sont passés les cœurs des réacteurs de la centrale nucléaire japonaise de Fukushima Daiichi, dévastée par le séisme et le tsunami du 11 mars 2011 ? La réponse viendra peut-être de particules atmosphériques, des muons, appelées à la rescousse pour réaliser une sorte de radiographie des installations.

Seule certitude à ce jour : le cœur, c’est-à-dire le combustible nucléaire des réacteurs 1, 2 et 3 en activité lors de l’accident (le réacteur 4 était déchargé et les 5 et 6 à l’arrêt), a fondu dans les heures qui ont suivi la perte de l’alimentation électrique et de la source de refroidissement de la centrale. Ces trois réacteurs contenaient respectivement 400, 548 et également 548 assemblages de combustible, soit plus de 250 tonnes de matières nucléaires au total.

La reconstitution des événements a montré qu’entre l’arrêt des systèmes de refroidissement de secours et l’injection d’eau de mer décidée en catastrophe par l’exploitant du site, Tepco, le combustible n’a pas été refroidi pendant 14 heures pour le réacteur 1, et environ 7 heures pour les tranches 2 et 3.

Il s’est alors formé un corium, un magma à très haute température (plus de 2 000 °C) extrêmement radioactif, agrégeant uranium, plutonium, produits de fission et métal fondu provenant des gaines de combustible en alliage de zirconium, ainsi que des structures internes des réacteurs. Et ce corium a perforé les cuves métalliques des trois réacteurs.

Corium, béton et acier

Toute la question est de savoir où s’est ensuite logé ce magma brûlant. La base des réacteurs est formée d’un socle en béton – un radier – qui peut atteindre 8 mètres d’épaisseur. A environ un mètre sous la surface de ce socle se trouve aussi, prise dans le béton, une couche d’acier. Le corium est-il resté contenu dans la partie supérieure du radier, sans franchir l’enveloppe en acier, comme l’assure Tepco ? A-t-il pénétré plus avant dans le béton et, dans ce cas, jusqu’à quelle profondeur et sur quelle superficie ? Dans quel état se trouve-t-il aujourd’hui ? Nul ne le sait.

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La crainte, majeure dans les semaines qui ont suivi l’accident, que cette matière radioactive n’atteigne le sous-sol du site nucléaire et disperse de la radioactivité dans les eaux souterraines, semble toutefois écartée. « Les mesures de la radioactivité des eaux qui circulent sous les bâtiments montrent que le corium doit être resté bloqué dans le radier. Sinon, cette radioactivité serait beaucoup plus élevée, indique Thierry Charles, directeur général adjoint de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire français (IRSN). En revanche, on ignore où se trouve exactement le corium. »

Tomographie par muons

Pour en avoir le cœur net, des ingénieurs ont donc imaginé de faire appel aux muons. Ces particules de haute énergie, produites par l’interaction entre les rayons cosmiques et les molécules de la haute atmosphère, se déplacent à une vitesse proche de la lumière et baignent notre environnement. Elles ont la particularité de peu interagir avec la matière et ne sont donc freinées dans leur course que par des matériaux très denses, ce qui est le cas du combustible nucléaire, puisque l’uranium et le plutonium qui le composent sont des métaux lourds. La mesure de l’atténuation du flux de particules permet ainsi, comme pour une radiographie, d’obtenir des informations sur la nature et la masse de l’obstacle rencontré.

Cette technique d’imagerie, dite « tomographie par muons », avait déjà été utilisée pour étudier la structure interne de la pyramide égyptienne de Khéphren, ou celle du volcan de la Soufrière, en Guadeloupe. Elle a été adaptée aux installations de Fukushima par des scientifiques du KEK (un centre de recherche japonais sur la physique des hautes énergies) et des universités de Tsukuba et de Tokyo, qui ont conçu un dispositif formé de détecteurs de muons, placés à proximité des réacteurs.

Des ouvriers en tenue de protection à la centrale de Fukushima, le 12 novembre 2011.

« Tout le combustible est tombé »

Les mesures réalisées sur le réacteur 1, entre mi-février et mi-mars 2015, ont confirmé qu’il n’y avait plus de combustible dans la cuve. Les données « ne montrent pas l’existence de substances à haute densité (combustibles) à leur position originale dans le cœur du réacteur », a indiqué Tepco. « On devrait voir une ombre sur les images à l’endroit du cœur, or elle n’est pas là, ce qui signifie très probablement que tout le combustible est tombé », a également expliqué Fumihiko Takasaki, professeur au KEK et responsable des tests. Une expertise similaire, sur le réacteur 2, a elle aussi établi que son combustible avait totalement fondu.

Pour aller plus loin, et scruter non seulement les cuves, mais aussi la partie basse des réacteurs, Toshiba, le géant nippon de l’électronique et de l’informatique, vient de proposer de mettre en œuvre une autre technique plus précise, toujours à base de muons. Elle a été développée en collaboration avec l’IRID (l’organisme japonais chargé de mettre au point des technologies de démantèlement du site nucléaire), en s’appuyant sur des travaux menés aux Etats-Unis, au Laboratoire national de Los Alamos. Il s’agira, cette fois, de disposer en parallèle, de part et d’autre des réacteurs, deux énormes détecteurs de 8 mètres de haut et de 20 tonnes chacun, qui analyseront non pas les flux de muons mais leur trajectoire et leur dispersion.

Entre 20 et 30 ans

Toshiba l’explique dans un communiqué : « L’angle de dispersion est directement lié au numéro atomique des objets avec lesquels les muons entrent en collision, et l’uranium peut être différencié des structures environnantes. » Selon l’industriel, cette méthode permet d’identifier des débris d’une taille de 30 centimètres. Des circuits électriques et des algorithmes spéciaux ont été mis au point pour que les rayonnements émis par le site nucléaire ne brouillent pas les mesures. Le procédé devrait être expérimenté « dans le courant de 2015 », d’abord sur le réacteur 2.

L’enjeu est crucial. « La reprise du combustible fondu sera la partie la plus lourde et la plus complexe du chantier de démantèlement », souligne Thierry Charles. Une fois le corium localisé, il faudra fabriquer des outils robotisés de découpe et d’extraction – la radioactivité interdit toute intervention humaine directe –, concevoir des conditionnements adaptés et trouver une solution de stockage aujourd’hui inexistante. La récupération des cœurs perdus de Fukushima ne devrait pas commencer avant 2020 ou 2025, et les opérations sont prévues pour durer entre vingt et trente ans.

  Pierre Le Hir
Journaliste au Monde

 

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