Japon 2014 – Fukushima d’hier à demain

Fukushima en quatre actes

Un regard sur Fukushima entre  mars 2011 et septembre 2013

« La situation actuelle de la centrale de Fukushima Daiichi est indissociable des évènements qui se sont produits en mars 2011. Il est illusoire de comprendre la globalité de son état fin 2013 sans revenir sur les premiers faits. C’est pourquoi cet article expose en premier lieu les multiples accidents nucléaires qui ont eu lieu à l’origine, puis la situation qui en découle aujourd‘hui.

Récapitulatif de la triple catastrophe

1-Arrive du tsunami sur la centrale source FNNLe 11 mars 2011, une vague d’une hauteur de 14 à 15 m a envahi le site nucléaire, engloutissant les moteurs diesel qui étaient censés permettre le refroidissement des réacteurs après leur mise à l’arrêt. Les conséquences ont été catastrophiques.

La fusion des cœurs 1, 2 et 3

La fusion d’un cœur (appelée aussi meltdown) est provoquée par l’absence de refroidissement du combustible. Elle produit une sorte de magma dénommé le corium.

2-Simulation  corium se retrouvant en fond de cuve source METIAvant 2011, jamais l’homme n’avait produit autant de corium en une seule fois. Three Mile Island, c’était une vingtaine de tonnes, Tchernobyl autour de 80 tonnes. Fukushima, c’est 64 tonnes pour l’unité 1 et deux fois 94 tonnes pour les unités 2 et 3, soit un total d’environ 250 tonnes de combustible fondu. Tepco savait qu’un meltdown avait eu lieu dès le 12 mars 2011. Pourtant l’opérateur a choisi de n’informer le public que deux mois plus tard.

Les explosions des unités 1, 2, 3 et 4.

Les explosions ont eu lieu en l’espace de 4 jours.

– Samedi 12 mars, réacteur 1

3-Explosion de lunit 1 source TBS

– Lundi 14 mars, réacteur 3

4-Explosion de lunit 3 source TBS

– Mardi 15 mars, réacteur 2

5-Unit 2 source Reuters TV

– Mardi 15 mars, réacteur 4

6-Unit 4 aprs lexplosion source Tepco

La perte de confinement des réacteurs 1, 2 et 3

7-Le fond de la cuve du racteur 1 source Science Museum FilmHabituellement, l’industrie nucléaire explique au public que l’énergie atomique n’est pas dangereuse car il existe trois barrières pour confiner les radionucléides et éviter qu’ils se dispersent dans l’environnement. La première est la gaine de zircaloy qui sert à enfermer les pastilles de combustible sous la forme d’un long tube de 4 m de long. La seconde est la cuve en acier du réacteur d’une épaisseur de plus de 20 cm, ainsi que les tuyaux du circuit primaire. La troisième est l’enceinte de confinement qui est constituée de murs en béton d’une épaisseur dépassant le mètre et doublée d’une paroi en acier.

A Fukushima, ces trois barrières ont failli pour les 3 premiers réacteurs.

La menace des piscines de désactivation

8-Coupe de la piscine 4 source AIEAL’accident de Fukushima a également dévoilé au grand jour le problème des piscines de désactivation qui n’ont pas d’enceinte de confinement. Si on n’avait pas réussi à ajouter de l’eau dans la piscine 4, l’incendie de son combustible aurait provoqué une pollution pire que celle de Tchernobyl.

Mais on ne peut pas parler de cette éventualité seulement au passé. Car aujourd’hui, cette piscine, mais aussi celles des 3 autres unités réformées, sont toujours à l’air libre et menacent toujours. L’urgence du transfert du combustible vers une piscine au sol est donc toujours d’actualité. Tepco a annoncé qu’il allait commencer le transfert du combustible de la piscine n°4 à partir de novembre 2013. C’est une opération à hauts risques qu’il est impératif de réussir.

Conséquences de la catastrophe

Conséquence directe de ces multiples désastres : diffusion massive de radionucléides dans l’environnement

9-Carte de la contamination du Japon source IRSNBeaucoup d’études ont été réalisées pour essayer d’évaluer les émissions totales provoquées par la catastrophe. Selon Ken Buesseler en mars 2013, on estime les émissions atmosphériques entre 10 et 40 PBq (péta-becquerels, c’est-à-dire 10 puissance 15 becquerels) pour le seul césium-137. Pour l’IRSN, les rejets aériens sont estimés à 21 PBq pour le Cs-137.

La pollution atmosphérique a conduit les autorités à faire évacuer des dizaines de milliers d’habitants de la région de Fukushima, dont la plupart ne reviendront jamais.

Mais les retombées, portées par les vents, ont eu lieu ailleurs que dans la préfecture de Fukushima. Ainsi Tokyo, ville de 37 millions d’habitants, connaît également de nombreuses places contaminées.

10-Contamination continue de locan source Ken BuesselerPour l’océan, la fourchette des estimations se situe entre 3 et 27 PBq de Cs-137, la limite haute étant donnée par l’IRSN. Le rejet radioactif en mer est donc plus important que celui constaté dans l’atmosphère, toujours pour le seul Cs-137 ; il représente « le plus important apport ponctuel de radionucléides artificiels pour le milieu marin jamais observé ».

De ce fait, les pêcheurs des côtes de Fukushima ont l’interdiction d’exercer leur activité, car les taux de contamination des poissons sont trop élevés, la limite maximale étant 100 Bq/kg.

11-Fuite atmosphrique au racteur 3 en juillet 2013 source TepcoDans la population touchée par la catastrophe, on dénombre aussi un nombre important de cancers de la thyroïde pour les enfants. Deux ans après la contamination à l’iode-131, 18 cas de cancer ont déjà été traités et 26 sont suspectés.

12-Poisson radioactif pch en janvier 2013 source Tepco

Défaillances techniques

Nombreuses pannes et avaries

Les unités 1 à 3 sont très dangereuses pour les ouvriers car la radioactivité y est trop grande. C’est pourquoi on y envoie des robots pour faire des tâches de nettoyage ou d’inspections. Mais les robots ont leurs limites, et certains sont déjà tombés en panne à cause du trop fort rayonnement qui détruit le matériel sensible.

Par ailleurs, les pannes à répétition du système de refroidissement de la piscine 4 sont inquiétantes car une panne trop longue pourrait conduire à l’évaporation de l’eau et à une détérioration des barres qui pourraient provoquer une nouvelle pollution atmosphérique.

13-Rat ayant provoqu une panne  Fukushima source TepcoEn mars 2013, un rat a causé un court-circuit et entraîné une nouvelle panne qui a paralysé durant près de trente heures une partie des systèmes de refroidissement des piscines de désactivation du combustible usé.

Les systèmes de traitement des eaux contaminées provenant des sous-sols de la centrale tombent également régulièrement en panne. Le dernier système mis en place, dénommé ALPS, n’est pas mieux loti que les précédents et pour l’instant, les essais ne sont pas concluants.

 

Enfin, depuis que Tepco pompe l’eau radioactive des sous-sols pour la retraiter, des annonces régulières de fuites ont eu lieu sur les installations provisoires. Mais depuis l’été 2013, la fréquence et la gravité de ces fuites ont augmenté.

De l’eau partout

L’origine de la présence de l’eau sur le site est diverse.

En mars 2011, les sous-sols de la centrale on été entièrement inondés par le tsunami, d’où la présence abondante d’eau salée initialement.

Par ailleurs, Tepco arrose les cuves des réacteurs pour évacuer leur chaleur résiduelle. Cela nécessite environ 360 m3 d’eau par jour. L’eau, au lieu de rester dans les enceintes de confinement, se répand dans les sous-sols de la centrale. On estime que 100 000 tonnes d’eau contaminée « stagnent » ainsi à la base de la centrale. La contamination de cette eau est extrêmement importante.

14-Les drains de la centrale de Fukushima Daiichi source Tepco

Une autre arrivée d’eau, incontrôlable, a été rapidement constatée, c’est celle de la nappe phréatique qui vient de toute part par les murs : 400 m3 d’eau par jour, qui se mélange et se contamine dans les sous-sols à celle utilisée pour le refroidissement. Toutefois, les concepteurs de la centrale connaissaient déjà ce problème car ils avaient construit les réacteurs sous le niveau de la mer. C’est pourquoi la centrale était équipée de dizaines de drains se dirigeant vers la mer pour garder les bâtiments au sec.

L’impasse du stockage de l’eau

15-Stockage de leau contamine source AP Photo Kyodo NewsPour que le niveau d’eau ne monte pas et que le site ne devienne pas un bourbier radioactif, Tepco est obligé de pomper en permanence l’eau des sous-sols. Cette eau est acheminée vers des systèmes complexes de traitements. L’eau est ensuite stockée dans des réservoirs, et une partie est réutilisée pour le refroidissement. En effet, pour éviter de relâcher de l’eau radioactive dans l’océan, on la stocke sur le site. Actuellement, il y a environ 1000 réservoirs contenant quelques 300 000 m3 d’eau contaminée. Sur le long terme, d’ici deux ans, Tepco prévoit d’augmenter sa capacité de stockage à 700 000 m3.

Des puits pour dériver l’eau souterraine

16-Situation des 12 puits de pompage source AsahiPour éviter d’avoir trop d’eau à traiter, Tepco a installé 12 puits en amont des réacteurs pour pomper l’eau de la nappe phréatique avant qu’elle n’arrive dans les sous-sols. Cette opération ne permet en fait que de pomper 100 m3/jour. Mais comme le terrain surplombant ces puits a été contaminé par des fuites d’eau très radioactive provenant de réservoirs souterrains que l’opérateur avait creusés à même le sol, il n’y a pas encore d’autorisation pour relâcher cette eau en mer.

Un stockage de plus en plus défectueux

Le stockage provisoire montre ses limites. Certaines cuves construites dans l’urgence ne conviennent pas. Les joints ne supportent pas la radioactivité. Il aurait fallu que Tepco investisse dans des cuves soudées, mais la construction de ce genre de cuve coûte plus cher et prends plus de temps : il faut 2 mois pour réaliser une cuve soudée alors qu’il faut un réservoir supplémentaire tous les 2 ou 3 jours.

17-Certaines citernes mal assembles fuient source AP Kyodo NewsPlusieurs cuves présentent donc des fuites depuis la fin août, avec des niveaux de contamination extrêmement élevés. Tepco a reconnu qu’une fuite de 300 m3 avait eu lieu pour une cuve. Un caniveau fait rejoindre la zone des fuites directement à l’océan, en dehors du port de la centrale. On peut donc craindre que cette eau soit en partie dans le sol, en partie dans l’océan.

Il existe 350 cuves de ce type sur le site, c’est dire si le problème de ces réservoirs provisoires – qui auraient dû tenir 5 ans – est inquiétant.

L’aveu tardif de Tepco

18-Schma de lcoulement des eaux souterraines source Tepco-traduction PFetetLes mesures réalisées en mer depuis deux ans et demi montrent que la radioactivité ne baisse pas près de la centrale de Fukushima Daiichi, alors que la décroissance radioactive et la dilution auraient dû provoquer une diminution significative de la pollution. On supposait donc que la centrale relâchait des effluents radioactifs mais Tepco refusait jusqu’à maintenant d’admettre cette réalité.

Or, suite à des mesures record de radioactivité constatées dans des tranchées de drainage et des conduits abandonnés, Tepco a reconnu le 22 juillet 2013 que de l’eau radioactive s’écoulait en permanence vers l’océan Pacifique. Cette fuite existe donc depuis le début de la catastrophe. Tepco en a évalué la pollution en tritium entre 20 000 et 40 000 milliardsde becquerels.

Le 7 août, le gouvernement a confirmé cette information en la précisant : le débit estimé est de 300 m3 par jour.

Mur étanche et fuites vers la mer

19-Technique du mur chimique source TepcoPrévu depuis deux ans, la construction d’un mur étanche en acier et béton entre la centrale et l’océan aurait dû être aujourd’hui terminée. Il n’en est rien.

Dans la précipitation due aux découvertes du mois de juillet, Tepco a opté pour la réalisation de murs chimiques qui consiste à solidifier le sol et à le rendre dur comme du verre. Pour une raison technique, le mur chimique de 16 m de profondeur s’arrête à 1,80 m de la surface.

Or il semble que l’utilisation de cette technique sur une longueur de 100 m ait provoqué la montée du niveau de la nappe phréatique en aval de la centrale au niveau de l’unité 2 : le niveau d’eau dans un des puits a augmenté d’un mètre en juillet et a finalement rejoint la surface fin août du côté du réacteur 2.

Pomper en urgence
L’ensemble des conduits-tunnels-tranchées en aval de la centrale contiennent environ 15 000 m3. Devant l’insistance de la NRA (l’agence de régulation nucléaire du Japon), Tepco a commencé à les pomper dès la mi-août.

Dès le mois de juin 2013, Tepco avait constaté une augmentation de la radioactivité dans l’eau d’un conduit situé près de l’unité 2. Mais en juillet, ça a été un peu la panique : deux prélèvements dans des tranchées ont donné des mesures extrêmement élevées. D’où cet état d’urgence décrété par la NRA.

Des tranchées qui débordent

Aujourd’hui, il est avéré que l’eau contaminée passe par-dessus la barrière chimique. Aussi, on peut penser que depuis 2 ans toute la communication de Tepco sur la nappe phréatique qui se serait maintenue sagement sous la centrale n’est qu’une façade médiatique.

Pour l’instant, aucune action destinée à retenir l’eau contaminée n’a été efficace. Pourtant depuis le début de nombreux experts réclament une enceinte souterraine fermée, une sorte de sarcophage souterrain gigantesque dont la construction prendrait deux années. Si cette décision avait été prise il y a deux ans, le déferlement de l’eau contaminée dans l’océan Pacifique aurait peut-être été contenu aujourd’hui.

Le corium sorti de l’enceinte ?

20-Clich dune mission de tlvision source Asahi TVDébut août, les derniers résultats de mesure de la contamination en césium de l’eau des tranchées incriminées faisaient apparaître des concentrations en centaines de millions de becquerels par litre pour le réacteur n°2. Plus l’eau est prélevée profondément, plus elle est radioactive, ce qui laisse penser que l’eau qui refroidit les coriums sort de l’enceinte de confinement et largue ses radionucléides en continu dans la nappe phréatique. De nombreux experts internationaux sont persuadés que le corium est sorti de l’enceinte de confinement et se retrouve piégé sous le radier de la centrale. A la télévision japonaise, on n’hésite plus à montrer des schémas représentant, sinon le corium, un lien direct entre celui-ci et la nappe phréatique.

21-Brume observe sur la centrale de Fukushima Daiichi source NHKUn évènement qui s’est passé le 5 août 2013 et qui n’a pas été relaté par les grands médias va également dans ce sens. Ce jour-là, Tepco a relaté un dégagement de vapeur du réacteur 3 et une vidéo aérienne a été diffusée par la NHK (télévision publique du Japon) montrant la centrale couverte d’une épaisse brume, prouvant que « l’arrêt à froid » décrété en décembre 2011 n’est pas du tout maîtrisé.

Quel avenir pour la centrale

L’avenir de la centrale

Maintenant que le gouvernement a révélé que 300 m3/jour d’eau contaminée s’écoulent en continu dans l’océan, que va-t-il être possible de faire ? Il devient très critique de travailler dans cet environnement de plus en plus radioactif. Les hydrogéologues de la NRA certes travaillent sur le sujet, mais rarement la théorie concorde avec le terrain. L’eau finit toujours par s’infiltrer et s’installer. La solution à court terme est donc de pomper et stocker encore et encore.

22-Leau contournera le barrage source Asahi TVIl y a deux ans, Tepco avait décidé de construire un barrage en acier et béton sur le port. L’ouvrage est loin d’être fini. De toute manière, son utilité est difficile à percevoir car l’eau souterraine le contournera.

Une autre solution qui devrait être financée par l’état japonais serait de construire un immense mur de glace de 1 km 600 et de 30 m de profondeur tout autour des 4 réacteurs. Ce projet titanesque serait une première et il faudrait deux ans pour le réaliser. Mais cet objet technologique serait lui aussi soumis aux aléas des pannes et demanderait une énergie faramineuse pour le faire fonctionner. En outre, rien ne garantirait l’étanchéité de ce mur, puisqu’il est possible que l’eau suive des failles souterraines dans le grès en dessous du mur.

23-Le mur de glace prvu pour 2015 source Kyodo News

La bonne solution à long terme n’est pas encore connue et n’existe sans doute pas. Pour l’heure, Tepco supplie les pêcheurs d’accepter le rejet de l’eau de dérivation de la nappe phréatique pompée en amont de la centrale. Cette eau ne serait pas contaminée selon l’opérateur, mais des doutes subsistent à cause des anciennes fuites des réservoirs souterrains.

Il n’est absolument pas envisageable de laisser la situation s’aggraver. C’est pourquoi Tepco et le gouvernement japonais travaillent leur communication sur l’impossibilité de conserver l’eau à long terme sur le site et commencent à faire appel à des experts étrangers. Ils attendent ainsi un appui extérieur pour forcer la population et la communauté internationale à accepter un rejet radioactif supplémentaire dans l’océan Pacifique.

Pierre Fetet, 10 septembre 2013″

 

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