Japon 2013 – Après le déluge/216

Histoire du Monde : les forçats de Fukushima

MATIN PREMIERE | mardi 15 octobre 2013 à 4h32

Fukushima

Simon Bourgeois a pointé une info dans la presse internationale qui ne fait pas nécessairement la Une des journaux.

Ce matin, notre Histoire du Monde nous emmène au Japon. La semaine dernière encore, six ouvriers ont été blessés à Fukushima. Là-bas, ils sont plus de 3000 à décontaminer le site de la centrale nucléaire touchée par un séisme il y a deux ans.

Au début ces hommes étaient des héros, des sauveteurs qui mettaient leur vie en danger pour colmater les fuites. Aujourd’hui, ils sont tombés dans l’oubli. Salaire de misère, radiations, cadence de travail infernale. Simon Bourgeois nous raconte l’histoire de ces forçats du nucléaire. Un reportage repéré dans le quotidien Libération.

« Nous sommes des humains jetables… »  C’est le constat amer de Shota. Il a 19 ans, la voix rauque, les traits tirés. Il travaille ici depuis 6 mois, il rafistole des tuyaux contaminés pour empêcher les fuites de radioactivité. « Mon travail n’est pas dur » dit-il, « il est bien pire que ça… »

En une seule journée, il est exposé à un 20e de la radiation autorisée pour un an. En quelques jours, son quota est dépassé. Soit il reste dans cette zone extrêmement contaminée au péril de sa vie, soit il est licencié. Le renouvellement des ouvriers se fait à un rythme impressionnant !  « Quand on a plus besoin de nous, on nous jette » dit Shota.  « Je suis jetable, comme un vieux déchet… »

Depuis l’accident nucléaire, l’exploitant de la centrale est au bord de la faillite. Dépassé par les événements, il ne peut plus engager. Alors, sur le site de l’accident restent des sous-traitants, employés par des dizaines de petites sociétés dans des conditions de misère et au mépris du droit du travail.

Ici le silence est la règle. Dans leurs combinaisons blanches, ces milliers d’ouvriers n’ont pas de visage ni de reconnaissance et surtout pas le droit de se plaindre. S’ils parlent pour dénoncer le danger et l’exploitation, ils prennent la porte.

Tetsuya Ayashi l’a appris à ses dépends. Il a témoigné à visage découvert. Il a travaillé pour une kyrielle de sous-traitants à Fukushima, son histoire est impressionnante : il suit une formation express inutile, il travaille ensuite dans des zones contaminées. En 20 minutes, il atteint sa dose de radiation annuelle, il doit enfiler 2 combinaisons et plusieurs paires de gants sous 45 degrés pour se protéger, il travaille avec des ados qui savent à peine ce qu’ils font là, dit-il…  Alors il dénonce la situation dans les médias est se fait licencier…

Alors, ces emplois n’attirent que les ouvriers les plus désespérés, prêts à tout pour un peu d’argent. Ce sont aussi les moins bien formés. Résultat, le travail est mal fait. Il faut souvent recommencer. « Tout ce qu’on fait ne sert à rien », déplore Shota, « ici, les fuites sont perpétuelles, la radioactivité sort de partout dans cette centrale en ruine ».

Selon une enquête réalisée l’année passée auprès des 3000 ouvriers du site, deux tiers ont un salaire de misère au vu du danger qu’ils encourent. Il y a une semaine, six ouvriers ont été aspergés d’eau radioactive. Une canalisation s’est déboitée trop violemment. Ils sont blessés. « Un accident de plus dans la longue série », soupire Shota. « Ça n’arrête pas », dit-il, « un événement chasse l’autre alors on oublie… »

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