Fukushima : Tepco a minimisé l’exposition réelle des travailleurs comme il minimise probablement celles des populations
Les mauvaises nouvelles pleuvent sur Tepco, le liquidateur de l’ex-centrale nucléaire de Fukushima-Daiichi. Après les récentes nouvelles plus qu’inquiétantes sur l’élévation soudaine de l’activité radioactive des eaux du sous-sol du site et leur plus que probable déversement incontrôlé dans l’océan Pacifique
, après que des vapeurs aient – une nouvelle fois – observées au niveau de l’ex-réacteur n°. 3
, un fourneau censé être en « arrêt à froid » depuis plus de 18 mois, Tepco a annoncé vendredi 19 juillet que ce ne sont pas 30 ni même 173 mais près de 2000 travailleurs et sous-traitants qui auraient été exposés à ce jour à des doses de radioactivité à la thyroïde susceptibles d’entrainer des effets sanitaires.
150 mSv « efficaces » et 50 mSv à la thyroïde (*): les limites réglementaires pour l’apparition d’effets dits « déterministes »
Rappelons rapidement que les seuils de limite de dose liés à la liquidation de la catastrophe nucléaire de Fukushima-Daiichi ont été augmentés de 20 mSv par an et par employé (100 mSv « efficaces » sur 5 ans[1]) à 250 mSv par an (15 mars 2011) alors que sur le terrain, les entreprises sous-traitant la majorité des travaux de liquidation et les personnels directement employés par Tepco adoptaient quant à eux fréquemment des seuils « de précaution » intermédiaires [2]. Ce seuil « limite de chez limite » de 0.25 Sv correspond en fait à la limite inférieure – pour peu que ce mot ait encore un sens – de l’apparition statistiquement démontrée des effets dits « déterministes », c’est à dire ceux qui provoqueront automatiquement des modifications biologiques ou biochimiques dans l’organisme à plus ou moins court terme [3]. Bref, en s’exposant à des irradiations s’approchant de ce seuil de 0.25 Sv (dose efficace), les travailleurs franchissent le Rubicon entre des effets sanitaires « possibles » et des effets sanitaires « probables » (même légers) liés à leur exposition professionnelle à la radioactivité.
Il faut également noter que Tepco ne communique encore qu’un tableau très incomplet de la situation : nous aurions ainsi aimé connaître la dose efficace (corps entier), la dose moyenne par employé, la dose maximale, la dose minimale, la répartition listée par employeur etc. Autant de données qui resteront probablement à « trainer » dans les tiroirs de Tepco pour quelques années. Il faut par ailleurs se poser la question du point d’entrée de la contamination de la thyroïde des travailleurs exposés : les équipements spéciaux (respirateurs, combinaisons) étant censés isoler les travailleurs de l’essentiel de la contamination radioactive ?
(*) Malgré des recherches approfondies, nous n’avons pas été en mesure de discerner dans la bibliographie (trop) spécialisée une limite annuelle réglementaire d’exposition en équivalent de dose à la thyroïde (sic) pour les travailleurs du nucléaire ; nous avons donc considéré en lieu et place le seuil dit « d’intervention » pour le public qui lui est probablement inférieur (50 mSv à la thyroïde : prise d’iode stable = effet radioinduit probable ?). Faut-il considérer en conséquence que la thyroïde ne peut être irradiée ou qu’il s’agit en fait d’une contamination interne par une voie qui reste à découvrir, les travailleurs intervenant à Fukushima étant – en principe – protégés par leur équipement spécifique dès la moindre risque accidentel ? C’est en fait très étrange aussi nous aimerions vraiment avoir l’avis sincère de représentants « officiels » de la radioprotection sur ce point précis…
La stratégie habituelle de Tepco : minimiser et temporiser la radioactivité
On retrouve à cette occasion les pratiques habituelles du liquidateur de Fukushima-Daiichi : nous n’avons à ce jour jamais eu l’occasion de découvrir dans les révélations successives de ce dernier une donnée quelconque en relation avec la radioactivité qui ait été initialement transmise de manière – même légèrement – pessimiste : chaque communication ultérieure dans ce domaine a systématiquement été revue à la hausse ! Or, ce comportement ne doit rien au « hasard » qui devrait théoriquement pondérer – de manière symétrique – ces déclarations initiales. Ainsi, pour reprendre les premières déclarations de Tepco sur le nombre de travailleurs irradiés à la hauteur de 100 mSv, si les études initiales avaient été faites sérieusement, la probabilité de voir le nombre de travailleurs irradiés supérieur à l’estimation initiale aurait du être approximativement égale à celle de voir leur nombre réel inférieur [4] et ce, dans une proportion raisonnable. A quoi diable cela sert-il de faire la moindre communication initiale si sa validité postérieure est systématiquement remise en question avec des marges d’erreurs mathématiquement inacceptables ?
Une marge d’erreur incompréhensible et… toujours dans le sens de la minimisation des conséquences radioactives de la catastrophe
Donc, après avoir informé début décembre 2012 que très précisément 178 travailleurs
intervenus sur le chantier de Fukushima-Daiichi avaient été exposés à une dose à la thyroïde supérieure à 0.1 Sv, Tepco est revenu le 19 juillet sur cette déclaration initiale en informant désormais qu’il n’y aurait en fait pas moins de 1973 travailleurs exposés à plus de 100 mSv à la thyroïde au 1er décembre 2012, ce qui représente un taux d’erreur d’environ 11 [5] !
Une déclaration initiale remise en question par l’autorité de contrôle et non par Tepco lui-même
Dans cette nouvelle affaire, Tepco a été une nouvelle fois placé par l’autorité de contrôle nucléaire Japonaise « le nez dans son caca » car il ne s’agit en fait nullement d’une rectification effectuée de bonne grâce et en toute sincérité par Tepco mais plutôt d’une injonction officielle de mettre en phase les déclarations officielles [6] avec la situation sanitaire réelle – ou approchée – des employés et des sous-employés. Posons cela autrement : si, jugeant les déclarations initiales de Tepco farfelues, la NRA [7] n’avait pas exigé de ce dernier de nouveaux chiffres sincères et crédibles sur le nombre de travailleurs irradiés, nous en serions toujours à un nombre toujours ridiculement faible… Et en ce qui concerne l’exposition « réelle » des populations, au fait ?
(1) Anomalies chromosomiques radioinduites
Sources : A Fukushima, les risques sanitaires ont été sous-évalués par Tepco
(Le Monde, 20713) –Fukushima : 2 000 travailleurs exposés à un cancer de la thyroïde
(Le Monde, 19713) – FD ’50’ radiation
(wiki) – 2 000 travailleurs de Fukushima ont été exposés au-dessus de 100 mSv à la thyroïde
(Fukushima-Diary, 20713)Nouvelle source du 19713 : TEPCO now says 2,000 Fukushima workers exposed to high radiation doses
(Asahi Shimbun, 19713)
Notes :
[1] En situation de travail « normale » ; en situation dite « d’urgence » les seuils deviennent parfois automatiquement plus élevés – à quoi servent donc les seuils « normaux » attendu que dès que l’exposition augmente l’urgence est latente et systématique ? NB. Ces seuils de dose sont des doses « efficaces » c’est-à dire appliquées à l’ensemble du corps humain
[2] D’où la confirmation du questionnement sur la validité de seuils à géométrie variable 
[3] Notamment des atteintes thyroïdiennes (la thyroïde est l’un des organes les plus sensibles à l’irradiation), hématologiques (transitoires ou définitives) et des dégâts cellulaires (réversibles ou non) pour la zone 0.15 – 0.5 Sv (inrs
)
[4] La marge d’erreur (la zone d’incertitude initiale sur le nombre de travailleurs en cause) nous semblant devoir être impérativement linéaire sauf raison précise, on aurait donc du lire initialement par exemple : 173 travailleurs exposés à 0.1 Sv, avec une marge d’erreur de +/- 17 (0.1 en taux d’erreur par exemple)
[5] Soit 1100% d’erreur en pourcentage !
[6] N’oublions pas que Tepco a été nationalisé à l’été 2012, les déclarations de ses dirigeants ultérieures à cette date engagent donc plus ou moins directement la responsabilité partielle ou totale de son actionnaire majoritaire : l’Etat Japonais !
[7] NRA : Nuclear Regulatory Agency, agence de régulation électronucléaire japonaise