Japon 2013 – Après le déluge/147

Fukushima : vers un nouveau modèle de dispersion atmosphérique et maritime des radionucléides ?

Par Trifou ,mercredi 10 juillet 2013.Lien permanentJapon › Fukushima

Vous l’aurez bien compris, le décès probablement très prématuré de Masao Yoshida que nous avons relaté dans le billet d’hier nous a perturbé aussi nous nous permettrons de nous réorienter rapidement vers une vielle hypothèse de travail ressortie de notre chapeau : les effets de la radioactivité dégagée par la catastrophe de Fukushima-Daiichi présentent des caractéristiques différentes non seulement par rapport aux accidents nucléaires précédents mais également par rapport aux doses colossales de radioactivité relâchées dans l’atmosphère lors des milliers d’essais nucléaires atmosphériques s’étant déroulés de 1945 [1] à 1980 [2]. Quelles pourraient être ces différences majeures dans la dispersion et les retombées des éléments radioactifs engendrés par le monstre –  toujours fumant  – de Fukushima-Daiichi ?

Le processus « documenté » du transport des radionucléides dans l’atmosphère

Ordinairement, les scientifiques évoquent 3 phases dans la dispersion des rejets atmosphériques consécutifs à une « accident » nucléaire majeur :

– Premièrement, les radionucléides provenant du combustible nucléaire doivent être fragmentés en particules fines voire très fines soit par une explosion, soit par un incendie [3] ; plus ces « aérosols » seront finement moulus par un phénomène de broyage ou d’incinération, plus leur dispersion sera importante et lointaine ;

– Deuxièmement, le « nuage » particulaire formé par la « pulvérisation » du cœur du réacteur se déplace plus ou moins loin et plus ou moins rapidement suivant les vents et les courants atmosphériques ;

– Troisièmement, une partie des aérosols stockés dans l’atmosphère tend à se redéposer lors de précipitations (pluie, orages, neige, grêle, verglas) ou lors de phénomènes météorologiques plus complexes comme les inversions de température [4]

 

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(1) Une température anormalement élevée en altitude pousse les aérosols, la pollution… et le « fog » vers le bas (Galileo )

Pourquoi Fukushima n’est ni Hiroshima ni Tchernobyl

Voilà pour le comportement « habituel » des retombées atmosphériques consécutives à un accident (ou une explosion) nucléaire : une diffusion mécaniquement liée aux caractéristiques de fragmentation du combustible libéré dans l’atmosphère [5] et à certains vecteurs atmosphériques relativement bien documentés ; penchons-nous maintenant sur les particularités liées à la catastrophe nucléaire de Fukushima-Daiichi.

Nous ne reviendrons pas (trop) sur les quantités astronomiques de radionucléides contenus dans les cœurs des réacteurs de Fukushima-Daiichi et susceptibles d’avoir été potentiellement libérées dans l’atmosphère, d’autres l’ont très bien fait avant nous ; retenons simplement que les 3 cœurs endommagés contenaient environ 250 tonnes de combustible irradié à environ 23 GwJ/t, ce qui représente un inventaire radioactif brut estimé en masse à 6 tonnes de produits de fission + produits d’activation ; ceci représente l’équivalent de 30 milliards de Curies au moment de l’accident [6].

Ces 30 GCi sont à comparer avec les 9 GCi de radioactivité enfermés – avant l’explosion – dans le combustible du réacteur n°. 4 de Tchernobyl [7] mais également, pour illustrer nos propos, avec les quelques milliers de milliards de curies (1 TCi+) fabriqués puis relâchés au cours d’une explosion thermonucléaire, à la différence que la majorité de la radioactivité dégagée lors d’un essai atomique décroitra… en un éclair [8].

De l’eau dans le gaz radioactif

La principale différence entre l’événement de Fukushima comparé aux autres « accidents » nucléaires réside dans l’utilisation d’un élément atypique pour tenter de refroidir « en catastrophe » les réacteurs de Fukushima-Daiichi surchauffés à l’extrême ; nous profiterons de cette occasion pour brièvement revenir à M. Yoshida et à sa réaction négative lorsqu’il lui fût demandé, le 12 avril 2011, de stopper le refroidissement des réacteurs en cours de fusion par de l’eau salée directement prélevée dans l’océan Pacifique.

Tout le monde – le directeur Yoshida et nous-mêmes inclus – supposait que lorsque Tepco avait, le 12 mars 2011, donné l’ordre de suspendre l’injection d’eau de mer dans les réacteurs surchauffés, il n’était question pour l’opérateur que de retarder le plus possible l’échéance fatale, l’introduction d’eau salée dans le circuit primaire signifiant la corrosion rapide d’équipements bien évidemment inadaptés à cette injection [9].

En fait, en creusant un peu la chronologie officielle de l’accident, un observateur attentif pourrait constater qu’il s’agissait bel et bien d’un contrordre puisque l’opération d’injection d’eau de mer dans l’unité n°. 1 avait été initiée dans la soirée du 12 mars avant que l’Etat-Major de Tepco ne demande subitement à M. Yoshida, 21 minutes plus tard, d’interrompre cette injection [10].

Que s’est-il passé pour que Tepco change ainsi d’avis ? Plusieurs centaines de tonnes d’eau de mer avaient alors probablement déjà été injectés dans le réacteur [11] aussi le mal était déjà fait ! Le réacteur n°. 1 était doublement condamné, d’abord par l’explosion « d’hydrogène » survenue quelques heures plus tôt puis par l’injection d’eau de mer… L’opérateur avait-il soudain pris conscience d’un événement inattendu pouvant signifier que le remède pourrait s’avérer pire que le mal ?

Il est très difficile de savoir ce qui s’est alors réellement passé dans le staff de Tepco, d’autant plus que les enregistrements vidéo effectués dans la salle de crise semblent évoquer des codes non-verbaux échangés à ce moment précis entre les employés sur le site et la direction de Tepco ; M. Yoshida avait lui-même effectué ce signal indiquant, d’après un quotidien Japonais, que « la manœuvre d’injection d’eau de mer était en attente ».

 

Fukushima : vers un nouveau modèle de dispersion des radionucléides ?

Nous avions évoqué dans un billet de janvier 2012 comment une étude scientifique  américaine évoquait la transformation du combustible nucléaire en peroxyde d’uranium encapsulé sous la forme de buckyballs [12] par un phénomène d’oxydation du combustible par l’eau de mer, un comportement rendant possible une dispersion élargie des noyaux lourds comme l’Uranium, un élément « lourd » et donc habituellement considéré comme très peu mobile.

 

Ce phénomène – très mal documenté – permettrait d’expliquer que les modèles habituelles de dispersion de particules lourdes, des éléments généralement confinés dans les environs immédiats de l’accident nucléaire, se soient retrouvées dispersés à des distances importantes, par exemple à Chiba ou à Tokyo  [13]. Les radioéléments Alpha, les plus dangereux à respirer ou à avaler, se retrouveraient ainsi dans des zones où personne ne les attendait vraiment et où aucune précaution particulière n’avait été envisagée. Le peroxyde d’Uranium [14] véhiculé sous la forme de fullerène [15] fait parties des structures les plus légères qui existent car ces dernières ne sont constituées que de quelques dizaines d’atomes au plus (de 36 à 60 ions d’Uranyle).

 

08.png (3) Structure atomique typique en « ballon de football » de fullerènes d’Uranium  (Sigmon et Al )

Des radionucléides transportés plus loin et plus vite

Même si la radiotoxicité « potentielle » des différents Uraniums [16] peut au premier abord sembler relativement faible, leur accumulation biologique au niveau de certains organes chimiquement privilégiés comme le rein peut engendrer des effets très puissants car très localisés ; ce sont toutefois certains des descendants de l’U-238 qui s’avèrent les plus dangereux comme le Thorium-230, le Plomb-210 et le Polonium-210 [17].

Des radioéléments qui n’auraient pas du être dispersés

Cette dissémination particulière tue évidemment dans l’œuf la réplique favorite de la dispersion et de la dilution [18] des radionucléides émis lors de l’accident dont les nucléocrates nous rebattent les oreilles depuis l’éternité atomique : ces isotopes d’Uranium n’auraient simplement pas du être dispersés, ils l’ont pourtant été et représentent donc une menace supplémentaire et inattendue au niveau des populations affectées, d’autant plus que les autorités Japonaises ne tiennent absolument aucun compte des études scientifiques qui tendraient à démontrer la moindre élévation du risque sanitaire liée à la catastrophe nucléaire de Fukushima-Daiichi.

L’air et l’eau affectés par les fullerènes provenant de Fukushima-Daiichi

Les nanoparticules formées par l’action de l’eau de mer sur le combustible nucléaire facilitent non seulement la dispersion des composés d’Uranium dans l’atmosphère mais accélèrent et augmentent leur pouvoir de dispersion dans l’océan Pacifique et le phénomène est également très simple à comprendre : une fois arrivées dans l’océan (via les dépôts atmosphériques ou par injection directe), plus les particules sont lourdes, plus elles tendent à se déposer rapidement sur les fonds marins ; plus elles sont légères et fragmentées, plus leur dispersion par les courants est prolongée et étendue. En fait, ces particules d’Uranium corrélées à l’accident Japonais pourraient être en partie à l’origine de l’augmentation de la radioactivité constatée quelques mois à peine après l’accident au niveau de thons prélevé sur la côte Ouest des USA et du Canada [19].

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(4) Pics d’activité Bêta ambiante totale à Los Angeles (1011-0112, EPA)

 


Sources : Uranyl peroxide enhanced nuclear fuel corrosion in seawater  (Armstrong et Al., 2011) –Uranium-filled « buckyballs » from FD meltdowns may be found for West Coast  (Enviroreporter, 20212) –Radioactive buckyballs from Fukushima invade California beaches  (Natural News, 17612) – Tuna contaminated with Fukushima radiation found in California  (The Guardian, 29512)

Notes :

[1]  Le premier essai nucléaire fut officiellement le tir de « Trinity » le 16 juillet 1945 ; quelques mois auparavant les atomistes américains eurent l’idée peut-être encore plus démoniaque de placer sur le même périmètre d’essai (Alamogordo au Nouveau-Mexique) une source de 1000 Curies de produits de fission de réacteur plutogène sur une charge de 108 tonnes de TNT et de faire exploser le tout le 7 mai 1945 – de l’art et de la manière de « gérer » le problème des déchets nucléaires en temps de guerre…

[2]  Le dernier essai nucléaire atmosphérique officiellement annoncé a été réalisé par la Chine le 11 octobre 1980 

[3]  La source de chaleur fragmente le combustible (incinération) et élève ensuite les aérosols à une hauteur importante ; c’est le double effet Kiss Cool consécutif à une fusion de cœur ! Il faut préciser que même si le Barnum du confinement n’est pas ratatiné par une explosion, les radionucléides finissent toujours par s’échapper dans l’atmosphère par une voie ou une autre (par exemple le soulèvement du chapeau du confinement du fait de l’énorme surpression résidant dans ce dernier suite à la fusion du combustible)

[4]  L’inversion de température  tend à rabattre les couches atmosphériques plus élevées (air normalement plus froid) vers le sol et donc à plaquer en même temps au sol les aérosols contenant des radionucléides, ce phénomène est fréquemment observé quand les différentiels de température sont élevés, après une journée très chaude et ensoleillée suivie d’une nuit très fraîche par exemple

[5]  En (double) langage scientifique : le « terme-source accidentel », strictement réservé aux initiés…

[6]  Une source inestimable et irremplaçable : le nouvel inventaire des combustibles des réacteurs 1, 2 & 3 de Fukushima   publié par l’AIPRI le 29 juin 2012

[7]  2.2 tonnes fissionnées (11GwJ/t) sur les 180 tonnes de combustible contenus dans le réacteur n°. 4 de Tchernobyl au moment de son explosion toujours selon l’AIPRI 

[8]  L’essentiel de l’inventaire radioactif créé lors d’une explosion thermonucléaire étant constitué de gaz présentant une demi-vie très brève

[9]  Les réacteurs nucléaires sont bien évidemment refroidis par de l’eau douce, l’eau salée n’étant utilisée que dans une partie du circuit secondaire (tertiaire pour les REP) ; la corrosion engendrée par l’eau de mer induit la dégradation rapide de centaines d’équipements du circuit primaire, comme par exemple lorsque de l’eau de mer avait traversé l’échangeur de chaleur des circuits secondaire / primaire de Hamaoka-5 le 15 mai 2011

[10]  Il était alors environ 2020 JST  c’est à dire 30 heures environ après le tsunami et 5 heures après l’explosion du réacteur n°. 1

[11]  La cuve d’un réacteur BWR peut contenir à elle seule environ 500 tonnes d’eau (source ati )

[12]  Buckyballs ou fullerènes, des nanostructures (carbonées ?) affichant naturellement une forme géométrique ; ce nom leur a été donné en mémoire du célèbre auteur et scientifique américain Richard Buckminster « Bucky » Fuller  qui avait longtemps travaillé sur les structures géométriques comme les géodes  ou le dôme géodésique  – Il faut noter que BuckyBalls peut signifier également : « les parties intimes de Bucky » ;)

[13]  Tokyo se trouve à 220 km au Sud de Fukushima-Daiichi

[14]  Peroxyde d’uranium ou UO2[O2] : association d’atomes d’Uranium et d’atomes d’Oxygène

[15]  Le Peroxyde d’Uranium se retrouvant en quelque sorte « encapsulé » dans des structures porteuses constituées de carbone

[16]  Le maximum de dégâts qui pourraient être engendrés par la dispersion des différents isotopes de ce radionucléide

[17]  Impact radiologique de l’extraction de l’Uranium  (CRIIRAD, 2005)

[18]  Selon notre analyse et en nous basant sur une relation dose – effet intégralement linéaire, il n’existerait en faitstrictement aucun avantage à disperser ni à diluer des radionucléides ; soit le tissu affecté par la contamination est programmé pour l’ignorer et dans ce cas aucune dose faible à moyenne ne peut l’affecter, soit il est programmé pour en tenir compte et dans cette hypothèse, alors oui, le premier Becquerel s’avère dangereux et l’hypothétique « effet de seuil » se retrouve même parfois inversé !

[19]  Tuna contaminated with Fukushima radiation found in California  (Guardian, 29512)

 

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(2) Le 7 mai 1945, 1000 Curies de PDF placées sur 108 tonnes de TNT ; qui allumera la mèche ?

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