Japon 2013 – Après le déluge/144

Décès de Masao Yoshida, le premier des « cinquante » de Fukushima-Daiichi

Par Trifou , mardi 9 juillet 2013.Japon › Fukushima

M. Masao Yoshida, ancien directeur de la centrale nucléaire de Fukushima-Daiichi est décédé cette nuit après avoir subi l’enfer de Fukushima-Daiichi du 11 mars au 28 novembre 2011. M. Yoshida avait développé un cancer de l’œsophage dont Tepco, son employeur, a toujours refusé de reconnaître l’origine professionnelle en utilisant souvent des argumentations peu vraisemblables. Masao Yoshida avait 58 ans, les observateurs de la catastrophe nucléaire Japonaise conserveront longtemps en tête l’image du premier des « cinquante » [1], et penseront à M. Yoshida comme l’employé de Tepco qui aura probablement reçu l’une des doses de radioactivité les plus élevées au cours des phases initiales de l’immense tâche : la liquidation de la centrale maudite.

70 mSv dans les carnets de Tepco mais quelle dose en réalité ?

M. Yoshida ayant œuvré comme un beau diable s’efforçant de régler les détails au sein de son enfer radioactif durant 8 mois, essayons de recalculer sommairement la dose totale réelle à laquelle ce dernier aurait pu être exposé : sachant que la zone habituelle de travail des cadres de Fukushima-Daiichi après les évènements de mars 2011 était – et est toujours – localisée dans le bâtiment antisismique [2], sachant que ce dernier était alors exposé à une irradiation – continue – d’environ 2 µSv/h [3] et que le restant du « chantier » de Fukushima-Daiichi est exposé de 0.1 à plus de 20 mSv/h selon les zones et les radioéléments considérés, sachant enfin que Tepco lui-même définit un horaire « moyen » d’exposition des travailleurs affectés à cette salle de 2000 h par an (soit 1300 heures pour 8 mois), nous arrivons à une estimation minimale d’exposition d’environ 2.6 mSv et ce, rien que pour la partie « sédentaire », c’est à dire la phase totalement totalement passive du travail de l’ex-directeur du site.

 

03.png(1) Les données fournies par Tepco sur les débits de dose ambiante avant le « blindage » réalisé au printemps 2012 (Tepco, 26412 )

 

Nous savons en outre, d’après ses propres récits, que M. Yoshida est intervenu personnellement au niveau de plusieurs zones extrêmement irradiées dans des conditions de suivi dosimétrique aléatoire [4]; il est délicat d’estimer les expositions dues à ces interventions « anonymes » sur le plan du suivi dosimétrique individuel  mais nous pensons – nous sommes certains – que le dossier médical de M. Yoshida était très nettement sous-évalué, comme d’ailleurs ceux de l’ensemble des intervenants de Fukushima-Daiichi, notamment sur le plan essentiel des dosimétries Alpha et Neutron qui n’ont absolument pas été prises en compte dans leurs dossiers médicaux : lors des premieres semaines de la crise nucléaire, Tepco ne possédait en tout et pour tout au début du mois d’avril 2011 que de 420 dosimètres Gamma  à « répartir » entre plusieurs milliers d’intervenants !

 

04.png(2) Tepco réprimandé par le gendarme du nucléaire pour des suivis dosimétriques « bâclés » (JAIF, 1411 )

 

Tepco échoue lamentablement dans sa pathétique tentative de dédouaner l’exposition reçue par M. Yoshida sur les lieux de son travail

M. Yoshida a été dans l’obligation de quitter ses fonctions au début du mois de décembre 2011 pour être soigné à Tokyo notamment d’un cancer à l’œsophage mais également – et c’est moins documenté –d’hémorragies cérébrales , l’un des symptômes significatifs d’une exposition à une irradiation importante. Cette dernière affection avait été découverte suite à son hospitalisation et avait fait l’objetd’une opération réalisée au mois d’août 2012 .

Le vice-président de Tepco avait bien tenté pour l’occasion de dissocier un état de santé s’aggravant dangereusement des anciennes fonctions professionnelles occupées par M. Yoshida en indiquant notamment qu’il était « très peu vraisemblable » que les pathologies déclarées par l’ancien directeur de la centrale de Fukushima-Daiichi puissent avoir été provoquées par son exposition à la radioactivité dégagée lors de la catastrophe nucléaire, la « période d’incubation » (sic) d’un cancer œsophagien étant au minimum de cinq à dix années.

Malheureusement pour l’opérateur et les « spécialistes » médicaux ayant aidé l’opérateur à formuler cette surprenante définition, quelques jours après ce communiqué, un démenti formel  était établi par le président de la clinique de Tokyo-Setagaya, l’établissement où était soigné M. Yoshida ; le Dr Inoue déclarait dans ce communiqué que les termes utilisés [dans la déclaration de Tepco] pour qualifier la période de latence d’un cancer étaient parfaitement inappropriés dans le cas précis des pathologies dont souffrait M. Yoshida [5].

 

 

05.png(3) Masao Yoshida à son poste dans la salle de crise de Fukushima-Daichi (Tepco)

 


Sources :  L’ex-directeur de la centrale de Fukushima est mort  (Libération, 9713) –  Ex-chief of Japan nuclear plant has cancer  (AFP, 81211) – Former Fukushima plant chief Yoshida suffering from bleeding in brain  (Japan Daily Press, 1812) – Clinician talks, Tepco’s announcement about Yoshida chief is a lie(Fukushima-Diary, 20112)

Notes :

[1]  Les « cinquante » de Fukushima, nom collectif donné aux techniciens et employés de Tepco restés sur place le 14 mars 2011, alors que la centrale en perdition était sur le point d’être totalement abandonnée

[2]  Le local affecté au personnel permanent se situe au deuxième étage du bâtiment antisismique, anciennement dénommé « bâtiment station électrique » ; il est situé au Nord-Ouest du réacteur n°. 1

[3]  1.6 – 2.6 µSv/h selon Tepco  et avant que le bâtiment ne soit blindé au printemps 2012 afin d’améliorer le confort (sic) des travailleurs employés sur le site

[4]  Nous pensons bien évidemment aux explosions « hydrogène » de la mi-mars 2011 qui ont vraisemblablement dégagé de fortes « bouffées » de rayonnements Gamma (et probablement Neutron) ; « les dosimètres des personnels de la salle [de crise de FD] sonnaient » après l’explosion du 14 mars 2011, selon l’enregistrement des conversations de crise du 14 mars 2011 auquel participait évidemment M. Yoshida

[5]  Les cliniciens parlent de « période d’incubation » uniquement dans le cas où un germe pathogène s’installe dans un organisme sans déclencher d’effets immédiats ; ce terme vise principalement à désigner le temps de latence des infections par des bactéries, des virus (des œufs ?) ; il ne s’agit pas dans ce cas particulier d’un problème de traduction car le Dr Inoue s’exprimait à priori en Japonais, tout comme Tepco

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