Japon : la NRA fusille Monju et la JAEA – quel usage pour le 5ème stock mondial de Plutonium ?
La NRA vient de décider que le Réacteur à Neutrons rapides de Monju ne pourrait pas redémarrer, qualifiant l’opérateur (semi-public) du site de “négligent” et lui interdisant de procéder à de nouveaux essais.
Qand la NRA, organisme public, désavoue la JAEA, organisme semi-public
La JAEA a été créée en 2005 à la suite de la mise en place de la loi sur l’énergie nucléaire ; l’agence Japonaise “pour” le nucléaire a ainsi regroupé les services de deux organismes semi-publics Japonais, la JNC (cycle du combustible nucléaire) et la JAERI (recherche nucléaire).
(1) Création de la JAEA en 2005 (JAEA)
Le statut de cette agence Japonaise nous apparait comme bien mystérieux : la JAEA a par exemple adhéré au non moins obscur GNEP, rejoignant ainsi au travers de sa filiale AFCI (suivez-vous toujours ?) d’autres organismes semi-publics comme AREVA (87% de participation étatique) ou intégralement privés (Mitsubishi Heavy Industries, Babcok & Wilcox…).
Quoiqu’il en soit, la JAEA gérait les équipements de retraitement Japonais de Rokkasho ainsi que le RNR de Monju, une unité très expérimentale car n’ayant fonctionné que quelques heures depuis son inauguration effectuée en 1994.
Le régulateur Japonais a ainsi estimé que l’opérateur du site de Monju avait commis de “graves négligences” dans la gestion de la sécurité du réacteur expérimental et a assuré qu’il veillerait à ce que les installations ne redémarrent pas.
L’incident de trop
Nous avions reporté dans un billet daté du 3 mai l’incident survenu le 30 avril qui avait vu une fumée noire envahir la salle des générateurs auxiliaires en déclenchant une alarme incendie et pas mal de frayeurs. Il semble que la NRA ait décidé, suite à ce nouvel incident, d’empêcher tout redémarrage du site à moins que l’opérateur ne se conforme intégralement à des règles de sécurité qu’il avait d’ailleurs lui-même définies.
La JAEA avait d’ailleurs reconnu récemment qu’elle ne suivait pas ses propres procédures et n’avait pas procédé au contrôle et à la maintenance appropriée de plusieurs milliers de pièces d’équipement au sein desquelles une cinquantaine présentait une spécificité liée à la sécurité .
Croche-pieds publics
Le président très controversé de la JAEA, Atsukuyi Suzuki, a exprimé son désaccord total avec l’analyse effectuée par le régulateur Japonais en expliquant notamment qu’accomplir chacune de ces formalités n’apporterait « rien de plus » au niveau de la sécurité globale du réacteur de Monju, qui est à ses yeux sans faille. La nouveauté réside dans la contestation d’une entité publique : au Japon, réclamer et contredire une autorité publique figure rarement au catalogue des usages de ce pays extrêmement policé.
En réaction a ces propos, le directeur de la NRA, Shunichi Tanaka, a déclaré que Monju était un site “extrêmement spécifique en termes de sécurité” (allusion probable au caloporteur à sodium liquide) et que “la JAEA ne possédait par la culture de sécurité nécessaire pour exploiter des unités électronucléaires”.
Si cette déclaration extrêmement désobligeante pour la JAEA s’avère pertinente, elle vient bien tard ; si elle s’avère inexacte, l’agence de régulation Japonaise va se trouver décrédibilisée et aura probablement à souffrir d’un tir de barrage rapide provenant de l’ensemble de l’industrie électronucléaire Japonaise et son avenir s’en trouvera probablement assombri.
La triple impasse industrielle, technique et politique des RNR
Notre analyse est légèrement différente de celle du régulateur Japonais ; il nous semble évident qu’il aurait fallu que la définition de ces éléments sécuritaires précédent la construction de ce type d’unité et ne se déposent pas comme autant de rustines sur un vieux pneu. Le Japon a investi 1000 milliards de Yens (7.5 milliards d’Euros, nettement plus avant la dévaluation récente du Yen) dans ce projet depuis les années 1990 sans que ce réacteur ne puisse déboucher sur quoi que ce soit de positif, ce qui engage profondément la responsabilité des gouvernements Japonais successifs.
Quand la JAEA estime que définir et appliquer des procédures de sécurité draconiennes à Monju ne participerait aucunement à rendre cette unité plus sûre, ceci peut également se traduire par l’aveu que les unités à caloporteur Sodium restent – malgré toutes les précautions prises – des équipements hautement dangereux par nature.
L’embarras politique causé par cette triste affaire viendra probablement encore créer quelques remous et le Sodium- à notre avis – ne se figera pas aussi rapidement à Monju.
Le RNR de Monju “gelé” pour toujours ?
Il faut savoir qu’un réacteur à fluide caloporteur métallique ne peut se permettre de “geler” car son “dégivrage” ultérieur induit tellement de contraintes physiques et radiologiques qu’un matériel ancien (n’oublions pas que Monju aura bientôt 20 ans) n’y résisterait peut-être pas tout en nécessitant de nouveaux investissements hasardeux.
(2) Le gel : l’ennemi des RNR (IRSN, GEN4, p. 13)
L’épineux et volumineux dossier du Plutonium Japonais
Parmi les rares médias reportant l’arrêt définitif de Monju par la NRA, seul l’Asahi évoque timidement dans son analyse le fait que cette décision remet sur le tapis la délicate question du Plutonium Japonais. Si les Japonais n’entendent plus réutiliser le Plutonium provenant de ses réacteurs électrogènes, si le retraitement du combustible irradié continue à être confidentiel voire nul et si les réacteurs utilisant du MOX sont stoppés pour une durée indéterminée, alors que diable le Japon compte-il faire de ces stocks ?
Ce sont environ 40 tonnes de Plutonium Japonais, l’équivalent de1000 bombes nucléaires de faible puissance, qui sont stockées AFRet qui ne seront probablement plus jamais utilisables au niveau du surgénérateur de Monju : l’excuse des usages “civils” du Pu ne tient donc plus la route.
La confirmation de la décision d’arrêt définitif de Monju par le gouvernement Japonais sera à cet égard intéressante à suivre ; peut-être le Japon se décidera-t-il enfin à affronter ses vieux démons nucléaires en avouant enfin tout haut ce que chacun pense tout bas : le stock de Plutonium Japonais possède avant tout une valeur stratégique et militaire inégalable… mais difficilement avouable.
(3) Estimation de la progression des stocks de Pu Japonais (CNIC, 2001)
Sources directes (par ordre de lucidité sur le dossier) :
Monju reactor faces long-term suspension over lax safety system – Asahi, 13513
(L’Asahi pose la pertinente question du Plutonium Japonais)
EDITORIAL: Monju fast-breeder reactor program should be terminated– Edito complémentaire de l’Asahi, 14513
Nouveau revers pour le nucléaire japonais – Les Echos, 14513
(Le correspondant des Echos a du lire le papier de l’Asahi)
NRA wants Monju to remain shut down – Japan Times, 14513
(RAS Plutonium)
Monju: Generating only misfortune – Japan Times, 15513
Japon: La relance du surrégénérateur de Monju va être interdite sine die– 20 Minutes, 13513
(Condensé de la dépêche AFP, elle-même assez concise)
Sources complémentaires :
The future of GNEP – BAS, 2008
Areva : prolongation du programme nucléaire GNEP aux USA – L’Express, 348
Panorama des filières de réacteurs de génération IV – IRSN, 21312
Nuclear Arms Talk Accompanies Japan Atomic Power Phaseout Debate– NTI, 31712
Japan Ramping Up Plutonium Production Despite Reactor Shutdowns – NTI, 1512
Le combustible pour RNR à métaux liquides – CEA


