Japon 2013 – Après le déluge/73

L’Isle le 20 mars:

Une série d’articles dans « le Monde », sur les événements de Fukusima.

La difficile vie des « liquidateurs » de Fukushima

Le Monde.fr |  • Mis à jour le  

 

Des ouvriers en tenue de protection à la centrale de Fukushima, le 12 novembre.

Ils sont environ 3 000 à se relayer jour et nuit sur le site de la centrale accidentée de Fukushima au Japon. On les surnomme les « liquidateurs », car ce sont eux qui gèrent la catastrophe nucléaire depuis le 11 mars 2011, à l’image de celle de Tchernobyl vingt-cinq ans plus tôt. Si la situation sur le site est maintenant considérée comme stable – tous les réacteurs et piscines étant continuellement refroidis – l’inquiétude et les effets sur la santé n’en perdurent pas moins pour ces travailleurs de l’extrême.

Nombre d’entre eux, employés par des sous-traitants de l’exploitant du site Tokyo Electric Power (Tepco), se plaignent du stress du travail, de la peur, de la solitude et de l’inconfort des longues journées passées à étouffer dans des masques, gants et blouses de protection.

Un ouvrier déclarait ainsi à Reuters : « J’ai mal au ventre et je suis constamment stressé. Quand je reviens dans ma chambre, tout ce que je peux faire, c’est me soucier du lendemain. Ils devraient nous donner une médaille. » « Qui peut accepter de travailler dans ces conditions ? », s’interroge un autre.

SENTIMENT DE CULPABILITÉ ET DE RESPONSABILITÉ

Cette tension, couplée avec la critique de l’opinion quant à la lenteur des opérations de décontamination, en aurait incité plusieurs à démissionner, livre le Guardian. D’autres confient leur manque de motivation, soulevant la perspective d’une pénurie de techniciens et d’experts lorsque le nettoyage de Fukushima atteindra son étape la plus critique – le retrait du combustible usagé des piscines de stockage.

« Les travailleurs sont les plus exposés aux radiations nucléaires et ils participent d’un processus qui va durer des décennies. Pourtant, ils sont critiqués car ils appartiennent à Tepco, explique Jun Shigemura, maître de conférences au département de psychiatrie du National Defense Medical College, cité par le Guardian. Ils ne dirigent pas l’entreprise ni ne sont responsables de la catastrophe, mais ils éprouvent un sentiment de culpabilité et de responsabilité. Ils méritent plus de respect, dans la mesure où ils font l’un des métiers les plus difficiles au monde. »

« Les salariés de Tepco risquent de suivre la trajectoire des vétérans de la guerre du Vietnam, qui se sont vus rejetés par la société à leur retour, ont fini sans abri, ont sombré dans l’alcoolisme et les drogues ou se sont suicidés », prévient l’expert, qui a mené une étude sur 1 500 travailleurs japonais du nucléaire.

Surtout, ces difficiles conditions de travail ne sont pas compensées par un salaire avantageux. Selon un sondage mené par Tepco auprès de 3 200 travailleurs de septembre à octobre, plus de 70 % d’entre eux gagnaient 837 yen (6 euros) de l’heure, alors que les journaliers réguliers sur les chantiers de la région peuvent toucherjusqu’à 1 500 yens (12 euros). Le droit du travail n’était par ailleurs pas respecté dans la moitié des cas et un tiers de ces salariés ne possédaient même pas de contrat de travail.

SCANDALES ET FRAUDES

Depuis deux ans, les opérations de décontamination ont été entachées de révélations sur les conditions de travail illégales et les violations des règlements sur la santé et la sécurité. Ce mois-ci, le ministère de la santé a ainsi divulgué qu’au moins 63 travailleurs de Fukushima avaient été exposés à des niveaux de radiation supérieurs à ceux enregistrés dans leurs dossiers personnels. Fin décembre dernier, 146 travailleurs Tepco et 21 sous-traitants avaient par ailleurs dépassé leur exposition maximale admissible de 100 millisieverts sur cinq ans.

Ce même mois, le quotidien Asahi Shimbun révélait que la société de construction Build-Up aurait demandé à une dizaine de ses ouvriers de recouvrir de plomb leurs dosimètres – instrument servant à évaluer le cumul de radiations auxquelles ils étaient exposés – lorsqu’ils intervenaient dans les zones les plus radioactives de la centrale accidentée afin de sous-déclarer leur exposition et permettre à la société de continuer à travailler sur le site.

Audrey Garric

Les blessures tenaces de Fukushima

LE MONDE |  • Mis à jour le 

 

un champ abandonné dans la zone interdite autour de la centrale de Fukushima en novembre 2011.

Lundi 11 mars à 14 h 46, sirènes et cornes de brume retentiront au Japon, à la minute même où un séisme de magnitude 9 secouait deux ans plus tôt les fonds de l’océan Pacifique à quelques dizaines de kilomètres de la côte nord-est du pays, dans la région du Tohoku. Le bilan fut désastreux : 19 000 morts et disparus et une catastrophenucléaire majeure provoquée par le tsunami.

Dans les départements sinistrés, 310 000 réfugiés attendent toujours un relogement. « Tout est en retard, déplore Shinichi Raku, résident d’un logement provisoire de Minamisoma (département de Fukushima). La municipalité a élaboré un plan de reconstruction, mais on ne sait pas quand les travaux vont commencer. »

Au départ, l’idée était de reconstruire en deux ans. Les « kasetsu jutaku », ces logements aux allures de préfabriqués devaient être utilisés jusqu’en mai 2013. Mais leur usage a été prolongé. Jusqu’à quand ? « Il faudra encore deux ou trois ans », admet Takashi Miki, de la mairie d’Iwaki, où le plan de reconstruction n’a été finalisé qu’en janvier 2013. Un retard qui touche beaucoup d’autres municipalités : la concertation est difficile avec une population déchirée entre ceux qui veulent revenir dans les lieux détruits et ceux qui veulent être relogés ailleurs.

Chaque ville a suivi sa propre stratégie. A Iwaki, « nous laissons les gens reconstruire dans les zones du tsunami s’ils le veulent », note M. Miki. Plus au nord, à Kesennuma, dans le département de Miyagi, c’est interdit.

Ceux qui ont pris les devants et ont fait rebâtir devront partir. Ce qui n’est pas simple car, si les autorités rachètent leur terrain, il n’est pas certain que l’argent récupéré suffise au sinistré pour en acquérir un nouveau et y faire construire une maison. « Heureusement que nous possédions un petit terrain en hauteur, explique un jeune couple de pêcheurs qui a perdu sa maison à Shichigahama, dans le département de Miyagi. Mais même avec ça, notre future maison devrait être plus petite qu’avant. »

Parfois, le déplacement se heurte à la géographie locale. Dans le département de Miyagi, les terrains plats sont rares. « Il va falloiraplanir des hauteurs, explique un bon connaisseur de l’économie locale. Cela devrait allonger les délais et prendre au moins cinq ans. »

Ces problèmes s’ajoutent à une réalité économique dégradée, notamment par le coût des matières premières. Le béton a augmenté de 40 %, et les autres matériaux de construction de 10 %. Les entreprises du secteur, pourtant très sollicitées, refusent certains contrats par crainte de travailler à perte. Et si elles les acceptent, elles peinent à trouver du personnel. La main-d’œuvre manque dans de nombreux secteurs, jusque dans l’administration, ce qui ralentit le traitement des dossiers.

LA RELANCE TARDE

Le gouvernement peut se prévaloir de progrès dans la restauration des infrastructures : 90 % des hôpitaux fonctionnent, comme 77 % des écoles et 34 % des ports de pêche, et 38 % des terres agricoles sont à nouveau cultivables. « Mais si l’on considère la reconstruction dans son ensemble, ajoute l’expert de l’économie locale, seuls 10 % ont été véritablement accomplis. La proportion devrait atteindre 30 % cette année. »

L’idée d’un nouveau départ pour cette région à la démographie et à l’économie déclinantes avant le drame semble oubliée. « Nous souhaitions profiter de la catastrophe pour construire quelque chose de nouveau, regrette M. Miki, mais le gouvernement ne raisonne que pour un retour à la normale. »

La Banque du Japon a revu à la baisse ses prévisions pour la région. En dépit d’un budget consacré à la reconstruction de 2 289 milliards de yens (18,6 milliards d’euros) et des avantages fiscaux accordés aux entreprises pour investir localement, la relance tarde, en effet. Si l’activité ne repart pas, le départ des jeunes pourrait s’accélérer. De quoi ralentir la concrétisation des quelques grands projets prévus, de centrales solaires ou éoliennes, par exemple, dans des villes comme Ishinomaki ou Miyako.

Philippe Mesmer – Fukushima, Miyagi (Japon) Envoyé spécial

A 25 km de Fukushima, les enfants hésitent à jouer dans le sable

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Dans une école maternelle, dans la zone interdite de la centrale de Fukushima à l'été 2011, le sol a été décontaminé.

La discrimination envers les habitants du département de Fukushima était redoutée. Des cas sont déjà signalés : projets de mariage annulés car la future épouse vient de cette région sinistrée par la catastrophe nucléaire, appartements refusés aux travailleurs de la centrale, ruptures dans les relations amicales.La tendance ne semble pas massive mais elle existe et alimente les craintes des habitants de la région, dont beaucoup hésitent à revenir chez eux, dans une zone connue pour être contaminée. « Moi, je suis prêt à rentrer », assène Junkichi Nagasaka, 62 ans et aujourd’hui résident d’un logement provisoire de Minamisoma.

Sa maison se trouve sur un terrain qui faisait partie jusqu’en juillet 2012 de la zone d’exclusion des 20 km autour de la centrale nucléaire. La contamination ne l’inquiète par vraiment. « Mais ma femme, elle, ne veut pas rentrer. » « Beaucoup de couples se déchirent sur cette question, note Toshiyuki Takeuchi, du bureau de Fukushima de l’organisation Janic, engagée dans…

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