Japon 2012 Apres le déluge/173

Tokyo, le 3 novembre:

Un jour à Fukushima-Daiichi : le 24 mars 2011

Le 24 mars 2011, trois employés du principal sous-traitant de Tepco étaient irradiés et « légèrement » brulés aux pieds par des doses équivalentes estimées de 2 à 6 Sv (Niveau technique : 4/5 ; longueur article : 4/5)

Le 24 mars 2011, une équipe de 3 travailleurs employés par la société Kadenko (1) était irradiée en intervenant dans le sous-sol du bâtiment-turbine de l’unité n°. 3 de Fukushima-Daiichi par de l’eau hautement radioactive. Les travailleurs auraient officiellement reçu une dose efficace estimée à 180 mSv par Tepco et c’est ce dernier chiffre qui aurait été reporté sur leurs dossiers médicaux.

Un des travailleurs de Fukushima-Daiichi concerné conteste désormais les données de dosimétrie communiquées par l’employeur

L’un des intervenants conteste désormais ce chiffre et a récemment demandé aux tribunaux de trancher le conflit l’opposant à Kadenko et à son donneur d’ordre, Tepco. Le demandeur s’appuie sur le fait que son employeur aurait forcé les intervenants à sauter dans des flaques d’eau contaminée pour poursuivre le travail de déploiement de câbles d’alimentation électrique alors qu’une autre équipe sollicitée aurait été en mesure de refuser d’effectuer la même intervention.

Cette demande semble effectivement hautement contestable car elle pouvait entrainer, le niveau d’eau de la « flaque » étant mal estimé, l’eau contaminée à entrer en contact avec la peau des employés qui ne portaient que des demi-bottes de protection associées à une tenue légère en Tyvek standard (2).

Des doses ne présentant « pas de danger immédiat pour la sant頻 ?

Selon la formule consacrée et passe-partout des autorités et de l’opérateur, les doses reçues par les intervenants étaient définies comme ne pouvant mettre en danger leur santé de manière immédiate. Cette formule est bien sûr très hypocritement employée car il est extrêmement délicat de dessiner une frontière précise et définitive entre les effets « immédiats » (déterministes), parfaitement documentés et les effets « décalés » (probabilistes ou stochastiques) de la radioactivité.

Les employeurs se retranchent également derrière la parade qu’une irradiation même importante située uniquement au niveau des membres inférieurs ne pouvait induire – a priori – de maladie non-déterministe comme le cancer et que la surface corporelle exposée était insuffisante pour provoquer un symptôme d’irradiation aiguë (SAI).

Essai de calcul de dosimétrie

A défaut de modèle de contamination par contact (3), nous ferons l’impasse sur la dose engagée (4) et nous bornerons à tenter de reconstituer les doses équivalente (5) et efficace (6) initiales. L’activité de l’eau contaminée dans les sous-sols de l’unité n°. 3 était estimée à environ 4 MBq/cm3 de Cs-137.

Estimation du débit de dose au contact de l’eau contaminée

Les dosimètres utilisés par les employés relevaient une valeur très élevée : environ 0.2 Sv/h à leur hauteur réglementaire (poche de poitrine) et plus ou moins 0.4 Sv/h au niveau de la surface de l’eau ; il était impossible de vérifier le débit de dose sous la surface de l’eau à l’aide des dosimètres et radiamètres portatifs non-étanches. Nous savons que l’activité de la source est estimée à 4 MBq/cm3 mais il est délicat de calculer directement un débit de dose au niveau d’une surface importante comme un sous-sol bourré de cette eau : volume de la source ? distance entre la source et la « cible » ?

Tentons de résoudre l’équation en admettant arbitrairement que l’écran relativement efficace déployé par la simple densité de l’eau (7) bloque la majeure partie de l’irradiation au-delà de 50 cm ; considérons donc très grossièrement la source comme une demi-sphère de 0.5 m de diamètre entourant les pieds des personnels reposant sur le plancher en béton quant à lui réputé non radioactif :

4 * Π * A (25) 3 / 3 = 65449 cm3 / 2 [demi-sphère] = 32700

(3.27 10^5) * (3*10^6) = environ 1*10^12 Bq soit une activité gamma de source estimée à 1 TBq de Cs-137

A une distance moyenne de 25 cm (d’eau), cette source représentera donc un débit de dose très approximatif d’environ 4 à 5 Sv/h (l’ordre de grandeur nous suffira amplement).

 

Calcul de débit de dose d’après l’activité d’une source donnée et l’écran d’un blindage (merci à radprocalculator !)

 

Du débit de dose à la dose équivalente estimée au niveau des chevilles

Les pieds des opérateurs concernés ont ainsi été soumis à un débit de dose de 4.5 Sv/h durant quelques minutes, disons 15 minutes, le temps de tirer les câbles à travers le sous-sol et en traversant une eau que nous estimerons comme homogénement contaminée. Le Cs-137 est un émetteur principalement Bêta et Gamma donc son facteur de pondération radiologique (Wr) est égal à 1.

4.5 * 0.4 * 1 = 1.8 Sv

De la dose équivalente aux chevilles à la dose efficace « corps entier »

Le dernier calcul vise à obtenir une valeur finale qui puisse être comparée à d’autres irradiés qui n’auront pas forcément été touchés au niveau des pieds : chaque organe ou tissu touché est affecté d’un nouveau facteur de pondération, une irradiation subie par exemple au niveau de tissus denses engendrant plus de radioactivité (toujours en vertu du principe de la densité relative de l’écran, les pieds dans notre cas de figure) qu’un tissu ou organe plus « léger » ; cette pondération tient probablement également compte de la surface relative de la zone considérée par rapport à la surface totale du corps humain.

Pour les travailleurs du nucléaire (Cat. A), le ratio de pondération (E/H) est ici estimé à environ 0.04 pour les extrémités : mains ou pieds, autrement dit une dose équivalente de 1 Sv reçue au niveau des chevilles équivaut à une dose efficace ou « corps entier » de 40 mSv.

Dose efficace = 1.8 * 0.04 = 72 mSv

Finalement, des doses équivalentes de plusieurs Sv au niveau des chevilles peuvent-elles être considérées comme anodines ou au contraire susceptibles d’engendrer des effets à long terme ?

Si l’on raisonne en termes de dose efficace comme le fait l’employeur des intervenants, 72 mSv ou même les 180 mSv reconnus officiellement pour l’intervention ne représentent qu’une fraction de l’exposition autorisée (en France) pour les travailleurs du nucléaire sur une période d’une année.

 

Limites réglementaires de doses équivalentes (public et travailleur) en France (ASN)

 

Si l’on raisonne en terme de dose équivalente, il est certain qu’une dose « unique » de plusieurs Sv reçue au niveau d’un tissu délimité rend ce dernier susceptible de développer une nécrose tardive des tissus exposés ou une atteinte cellulaire pouvant déboucher sur des effets stochastiques (localisés ou non) à moyen ou long terme.

Il faudrait ajouter pour être exhaustif l’incertitude causée par l’ignorance de la dose engagée (interne) que nous avons mis à l’écart dans le tableau global, une partie de la radioactivité étant probablement « passée à travers » un épiderme relativement mince, tout au moins au niveau des chevilles.

Il faudrait enfin avoir accès au dossier médical des intéressés afin de vérifier si la dose efficace accumulée au cours de leur exposition professionnelle ne dépasse pas les seuils fixés, du fait d’expositions préalables (voire ultérieures ?) au profit du même employeur.


(1) Kadenko Co. est l’un des principaux sous-traitants de l’opérateur Tepco

(2) Tenue légères qui n’ont, rappelons-le, strictement aucun effet de protection sur les irradiations par rayonnement

(3) Des modèles courants existent pour les incorporations par inhalation ou ingestion ; nous n’avons pas trouvé de documentation en ce qui concerne un éventuel modèle d’incorporation de dose par contact (dose transcutanée)

(4) Dose engagée : la dose directement engendrée par la contamination interne autrement dit par l’incorporation de radionucléides qui engendreront ensuite une radioactivité secondaire, interne à l’organisme touché, pour une certaine période

(5) Dose équivalente ou dose au contact de la partie du corps envisagée ; c’est la dose que subit réellement la région concernée par l’irradiation (les pieds dans notre cas de figure)

(6) Dose efficace ou dose « corps entier », qui est la dose équivalente pondérée car rapportée à l’ensemble du corps considéré ; c’est uniquement cette dernière qui est considérée pour la dosimétrie officielle enregistrée par l’employeur

(7) L’affaiblissement à un rayonnement ionisant obtenu par un écran est d’autant plus efficace que sa densité est élevée ; l’eau avec une densité de 1 (kg/l) représente un « blindage » environ 125 fois plus efficace que l’air (densité de 0.008)


Sources :

Kadenko’s injured Worker filed a complaint, ex-skf, 1/11/12, anglais

L’exposition au rayonnement des travailleurs irradiés de 2 à 6 Sv ?, asyura2.com, japonais

Contamination au Cs-137 par voie transcutanée… Pendic et Milovojevic, ISN Vinca

Lire également :

« Grandeurs et unités en radioprotection », fiche ASN n°. 4

Radioprotection, rayonnements, IN2P3 / Oster, 2008

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