Tokyo le 26 mars: Bun Hashizume, rescapée d’Hiroshima, s’adresse à tous les peuples du Monde. (fukushima blog)
Message dHiroshima à lattention des Japonais et de tous les peuples du monde
Hiroshima et Fukushima.
Comment ne pas relier les deux évènements ? La fission de latome, la pluie noire, le césium, la contamination interne, la maladie, lexclusion, la souffrance.
Voici le témoignage dune survivante dHiroshima, Bun Hashizume, traduit par Pierre Régnier. Dans les moments les plus critiques, elle a toujours gardé la foi en lhumanité et en la bonté de chacun, trouvant les ressources qui lui ont permis de surmonter linsurmontable.
Une leçon de vie et despoir pour tous les Japonais touchés par la catastrophe de Fukushima.
Témoignage de Hashizume Bun, survivante dHiroshima
29 mars 2011
« Je suis une « atomisée » rescapée du bombardement dHiroshima. Jhabite à Tôkyô. Jai 80 ans.
Le 11 mars 2011, lorsqua eu lieu le Grand Tremblement de Terre du Nord-Est du Japon suivi de la catastrophe nucléaire de Fukushima, jétais en train décrire un livre sur le bombardement atomique survenu soixante-six ans auparavant et sur la vie de la population civile dHiroshima avant et après le bombardement. Javais déjà rédigé la majeure partie de cet ouvrage, mais accablée par la douleur que provoqua en moi laccident nucléaire de la centrale nucléaire de Fukushima, jai voulu finir la rédaction du dernier chapitre sur le lieu même du bombardement atomique, à Hiroshima, ma ville natale.
Tard le soir, en foulant le sol dHiroshima, je sentais un lourd fardeau peser sur mes épaules et, pendant un temps, je ne pouvais plus mettre un pied devant lautre. A chaque fois que je revenais à Hiroshima, javais pour habitude de commencer par me rendre à pied au mémorial pour les morts situé dans le Parc de la Paix et de discuter avec les membres de ma famille qui se trouvent là, ainsi quavec mes amis, ou de simples connaissances, et avec tous ceux qui sont morts ce jour-là dans une horreur qui dépasse lentendement. Mais cette fois-ci, plutôt que de prier, je leur ai demandé :
Donnez-moi encore pour un temps la santé,
Donnez-moi de la force,
Dites-moi ce que je peux faire, guidez-moi sil vous plaît.
Ce jour-là, jai été atomisée à 1,5 kilomètre de lhypocentre de la bombe. Jai été très gravement blessée et jai frôlé la mort mais jai pu survivre grâce à laide de trois personnes qui mont sauvé la vie.
Lorsque nous vivions dans les baraques, je souffrais de maladies fulgurantes dues à la radioactivité telles que, par exemple, de fortes fièvres, des saignements de nez et des gencives, de terribles diarrhées et vomissements, des taches pourpres sur tout le corps ou la perte des cheveux. Pourtant, là encore miraculeusement jai pu survivre. Cependant par la suite et jusquà aujourdhui, jai souffert de nombreuses maladies et il nest pas un seul jour où jai été en bonne santé.
Parmi toutes les maladies, un des maux les plus pénibles est le « chancellement des atomisés ». Cette maladie se manifeste par un état dépuisement difficilement supportable.
Plusieurs fois jai imploré le médecin « Docteur, ne serait-ce quune journée ou même une heure, faites-moi me sentir fraîche et légère. » Mais cela ne sest jamais réalisé. En allant me coucher le soir, je priais Dieu, « Faites que je ne me réveille pas demain matin. »
Toutes ces maladies étaient dues à lirradiation interne. Toutes les substances contaminées par la radioactivité que nous avions ingérées, notamment leau que nous avions bue, la nourriture ou lair, ces substances continuent sans cesse leur réaction à lintérieur même de lorganisme et bouleversent les gènes. Cela se poursuit jusquà la mort.
Finalement, récemment on en parle dans les médias : le césium qui détruit les fibres musculaires serait à lorigine du « chancellement des atomisés », et cest ici, à Hiroshima, que je lai appris tout dernièrement.
Ceux qui ce jour-là étaient sous la pluie noire, ceux qui sont entrés dans la ville pour venir secourir les victimes ou chercher des proches, mais pas seulement les victimes de la bombe, tous les atomisés victimes des essais nucléaires, des accidents des centrales, tous ceux-là sont victimes dirradiations internes.
Lirradiation interne a toujours été sciemment dissimulée. Maintenant, du fait de laccident de la centrale de Fukushima, enfin, on voit apparaître le terme « irradiation interne », mais on ne voit quasiment aucune explication précise de ce dont il sagit.
Sans doute parce qualors il ne serait plus possible de continuer à développer lexploitation des centrales nucléaires.
« Lénergie nucléaire est une énergie propre », « lénergie rêvée » entendait-on à une époque mais, après les accidents des centrales de Tchernobyl et de Three Mile Island, on lentendait un peu moins.
Cependant, ces dernières années, beaucoup de pays dans le monde se sont remis à la course à la construction de centrales nucléaires. On a appelé cela « la Renaissance des centrales nucléaires ». Voyant cette évolution, jai alerté sur le fait quinévitablement, dans un futur pas bien lointain, il y aurait quelque part sur terre un accident dans une centrale nucléaire.
Cela se produit actuellement dans mon pays et qui plus est, chaque seconde, il y a des fuites ininterrompues de substances radioactives très concentrées. Il ny a pas de moyen pour stopper cela de façon sûre et lon ne peut prévoir quand cette situation critique prendra fin.
Au Japon, pays de petite superficie et situé en zone sismique, il y a plus de 50 réacteurs nucléaires. De plus, ils sont regroupés et établis sur des plaques produisant de nombreux tremblements de terre, régions à faible population.
Par ailleurs, à Fukushima, dans la centrale numéro 1 de Fukushima, il y a six réacteurs qui forment une chaîne senfonçant dans la spirale du danger. En outre, à la centrale numéro 2 de Fukushima, il y a aussi quatre réacteurs qui ont subi des dommages. Après le grand tremblement de terre du Nord-Est, le 15 mars, il y a eu un grand tremblement de terre à Shizuoka. On dit que, dans première moitié de ce siècle, se produira inévitablement Le Grand Tremblement de Terre du Tôkai et de la Baie de Suruga. Cest là que se trouve lune des centrales majeures quest celle de Hamaoka.
Sur la zone très sismique de la côte de la Mer du Japon, les centrales nucléaires sont nombreuses, en particulier dans la préfecture du Fukui que lon appelle « le Ginza des centrales nucléaires » (en référence au quartier très animé et dense de Ginza à Tôkyô).
À la population du Japon,
Est-ce une bonne chose que le Japon, victime des bombes atomiques soit devenu le pays coupable dune telle émission de radioactivité ?
Il ny a plus de temps à perdre. Agissons pour que soient arrêtées les centrales actuellement en activité.
Aux populations du monde entier, je vous en prie, apportez-nous votre soutien.
Demandons haut et fort que sur la Terre, naturellement, il ny ait plus de construction de centrales nucléaires, mais aussi que lon stoppe toutes les centrales en activité et que soient reclassés les réacteurs nucléaires.
En tant quatomisée de la bombe, jai lutté contre le nucléaire au Japon et à létranger. Cela parce quil y a la menace que la vie sur Terre soit détruite, non seulement par les bombes atomiques ou les bombes à hydrogène, mais aussi par les centrales nucléaires.
Même lors de leur fonctionnement ordinaire, les centrales nucléaires rejettent de petites quantités de particules radioactives qui contaminent la mer, lair et le sol. La dangerosité de ces rejets de particules radioactives en faibles quantités est occultée.
Il ny a pas que lêtre humain qui ait reçu la vie sur Terre. Nest-il pas indécent que lêtre humain, pour son propre bénéfice, sacrifie les autres espèces vivantes ?
Ouvrir la voie vers une vie en harmonie avec la nature ne devrait-il pas être la sagesse humaine ?
Par ailleurs, nous qui vivons entre le 20ème et le 21ème siècle, nous ne nous sommes vus confier quun court laps de temps dans la longue histoire de lhumanité. Est-ce que nous ne sommes pas simplement supposés passer le relais entre nos aïeux et les générations à venir ?
Nous, les atomisés des bombardements ainsi que les atomisés des accidents des centrales nucléaires et des essais nucléaires, avons souffert toute notre vie ; de même, les atomisés de laccident de la centrale nucléaire de Fukushima souffriront désormais sans cesse.
On voit tous les jours dans les médias les gens endurer des conditions de vie difficiles dans les camps de réfugiés.
Et en voyant des nourrissons innocents et des enfants ne pas perdre leur vitalité même dans de telles conditions, jai le cur meurtri mais jy vois en même temps un espoir.
La radioactivité est particulièrement nocive pour les enfants et empêche leur croissance.
La radioactivité ne connaît pas les frontières.
Pour secourir les enfants qui sont lavenir,
Tous ensemble, dans le monde entier,
Donnons-nous la main et levons-nous contre le nucléaire »
source : http://autreinfo.free.fr/Fukushima.htm
Qui est Hashizume Bun ?
Madame Hashizume Fumiko, Hashizume Bun de son nom de plume, est née à Hiroshima en 1931. A quatorze ans, elle se trouvait à moins dun kilomètre et demi de lhypocentre de lexplosion atomique, le 6 août 1945, à 8 h 15. Gravement blessée, elle a survécu miraculeusement non seulement à ses blessures mais aussi à la famine et aux maladies qui s’ensuivirent. Durant plusieurs décennies, comme la plupart des hibakusha (survivants des bombardements atomique), elle ne parvenait pas à évoquer le sujet, se refusant à se remémorer les événements. Elle est finalement parvenue à décrire l’horreur et les conditions extrêmes de la survie après le bombardement en écrivant un livre.
A lâge de 76 ans, elle a engagé toute son énergie pour témoigner à travers le monde du drame humain qu’elle et les siens ont vécu. Elle a notamment fait de nombreuses conférences en Europe, en Australie, en Nouvelle-Zélande et au Japon.
Elle est l’auteur de divers ouvrages en japonais, notamment des recueils de poésie.
Son autobiographie, témoignage de ce qu’ont vécu les habitants d’Hiroshima, est disponible en langue française : « Le jour où le soleil est tombé – J’avais 14 ans à Hiroshima », 2007, Ed. Cénacle de France, 219 p.