Fukushima, hautement archéologique…

Fukushima, hautement archéologique

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | | Par Viviane Thivent (Région de Fukushima (Japon), envoyée spéciale)

Site de fouilles archéologiques de Tenkazawa.

«Les archéologues étaient sur le terrain quand le tsunami est arrivé juste derrière eux. » Yoshio Kikuchi, professeur à l’université de Fukushima, toise l’océan. A ses pieds, une grande bâche bleue. Elle recouvre sur plusieurs mètres un flanc de colline, le chantier d’une fouille archéologique que nul n’a encore songé à reprendre. Nous sommes à Urajiri, au sommet d’un tas haut de 20 mètres que les hommes ont formé avec des coquilles en deux temps : il y a 6 000 ans et 3 000 ans.

« Cet amas coquillier est l’un des plus importants de la région, explique Laurent Nespoulous, chercheur à l’Institut français de recherche sur le Japon.Il était fouillé depuis une dizaine d’années. »« Les archéologues ont été épargnés par la vague, reprend Yoshio Kikuchi, mais pas les 150 maisons situées en contrebas. » De celles-ci, quatre ans plus tard, il ne reste rien, si ce n’est un site d’entreposage qui, vu d’ici, ressemble à un cimetière. Barres de fer, grillages et tôles ondulées y sont entassés par catégorie, dans l’attente d’un recyclage. Les effluves radioactifs de Fukushima Daiichi, situé à 30 kilomètres plus au sud, ont moins touché cette zone dite « verte ».

« Le risque de tsunami a été sous-estimé », poursuit Yoshio Kikuchi. L’homme est d’autant plus amer que, quelques mois avant la catastrophe, les archéologues avaient mis au jour, un peu plus au nord, à Sendai, les traces laissées par un ras de marée survenu en 869. « Son ampleur était équivalente à celle de 2011. Il était mentionné dans des documents anciens mais personne n’en a tenu compte lors de la construction de la centrale nucléaire de Fukushima. L’information n’a pas transité correctement », regrette-t-il.

 Musée des désastres

Aussi, pour que l’histoire ne se répète pas, Yoshio Kikuchi rêve de créer un « musée des désastres », qui serait tout à la fois une base de données des catastrophes passées, un centre de décontamination des biens patrimoniaux et un lieu physique où seraient exposées les collections des musées de Futaba, Tomioka ou Okuma, trois villes situées dans la zone rouge, fortement contaminée par les radiations et dont l’accès est à ce jour interdit.

« Juste après la catastrophe, la ventilation de ces musées a été coupée en même temps que l’électricité, ce qui a permis de préserver les collections de la contamination par les poussières radioactives », raconte Laurent Nespoulous. Une chance que n’ont pas eue les collections privées ou la chambre funéraire ornée de Haneyama, taillée dans la montagne, qui sans système de ventilation pourrait rapidement se détériorer.

Les collections non contaminées, elles, ont été extraites de la zone rouge puis stockées plus au nord, à Soma, au premier étage d’un ancien lycée où le rez-de-chaussée est réservé à l’entreposage d’objets, photos ou cahiers de classe découverts après la catastrophe. « On les expose sur des tables afin que les survivants puissent venir les récupérer, explique Tanno Takaaki, le gardien de ces objets perdus. Mais personne ne vient jamais. »

A l’étage, dans une ancienne salle de cours, une soixantaine de cageots et quelques objets agricoles attendent encore leur transfert vers Shirakawa, où la majeure partie (500 cageots) des collections a été envoyée fin 2014. « C’est trop loin de Fukushima et des personnes que ces objets intéressent », insiste Yoshio Kikuchi, qui souhaite les récupérer. Un désir qui, pour le moment, ne recueille guère l’appui. « Les politiques préfèrent oublier Fukushima et éviter tout ce qui pourrait faire parler de cette catastrophe. » Pas sûr donc que le musée des désastres voit le jour rapidement.

Et pendant que le Japon détourne le regard, des collines disparaissent. Le passage de l’eau salée ayant rendu quantité de terres impropres à l’agriculture, les Japonais raclent le sol pour le remplacer avec de la terre fraîche, prélevée sur des monts environnants. « Et comme cette région a connu d’importantes phases d’occupation humaine, ces collines doivent faire l’objet de fouilles préventives avant d’être arasées. »

En découlent des chantiers colossaux où la main-d’œuvre manque. Comme à Tenkazawa : « Sur ce site de 30 000 m2, nous aurions eu besoin d’une centaine de personnes mais nous n’en avons trouvé qu’une soixantaine, explique le chef de chantier. La main-d’œuvre est payée deux fois plus si elle accepte de travailler sur les zones à décontaminer, ce qui n’est pas le cas ici. »

Malgré tout, sur ce site, des dizaines de fours antiques et médiévaux conçus pour la production de fer ou de charbon ont été mis au jour. Comme escompté. Cette région a en effet longtemps prospéré, notamment grâce aux limons, très riches en fer, de ses rivages.

Pour trouver la vraie surprise archéologique, il faut aller un peu plus au nord, en milieu urbain, où un ancien site de relocalisation de la population, le premier du genre, a été découvert par hasard. « Il n’a été occupé que quelques décennies, commente Laurent Nespoulous. On n’aurait jamais pu interpréter cette trouvaille s’il n’y avait pas eu la catastrophe de Fukushima et la relocalisation temporaire des populations qui s’est ensuivie. » Une étrange ironie de l’Histoire.

Viviane Thivent (Région de Fukushima (Japon), envoyée spéciale)
Journaliste au Monde
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