A Fukushima, « des hommes en combinaison cherchent encore des corps »
Près de trois ans après la catastrophe nucléaire qui a frappé le Japon, un journaliste s’est rendu dans la zone située autour de la centrale de Fukushima pour le magazine « Pièces à conviction ». Il raconte.

Très vite après la catastrophe, on a dit à tous les habitants de la zone : « Partez, vous reviendrez dans quelques jours. » De sorte que les gens d’ici qui ont été déplacés n’ont plus rien. Leur déplacement est d’ailleurs un problème considérable pour le Japon. Le pays est une île et l’amputation d’une partie du territoire pose une terrible question d’espace vital. Il faut réimplanter les gens qui étaient là, car on ne sait pas où les installer à long terme.
Quelle est alors la stratégie adoptée par les Japonais ?
Il n’y a pas d’alternative. La décision a été prise de reloger la population sur place. Pour y parvenir, les Japonais ont décidé de gratter le sol de toute la zone contaminée sur cinq centimètres de profondeur. Et l’on voit, comme cela, s’accumuler des milliers de grands sacs noirs bourrés de terre empoisonnée. Ce sont de véritables montagnes qui s’élèvent à vue d’œil. Le but final est de les enterrer. Le problème est le même pour l’eau qui sert à refroidir la centrale nucléaire. Un problème qui s’aggrave avec le temps. Et là, ce ne sont pas des sacs mais des citernes qui s’accumulent à perte de vue. Pas plus que la terre, on ne sait qu’en faire. En plus de cela, rappelons que chaque jour, plus de 300 tonnes d’eau contaminée s’écoulent dans la mer.
Y a-t-il des conséquences politiques de cette catastrophe de Fukushima ?
Pour moi, la conséquence la plus profonde est l’absolue perte de confiance du peuple japonais à l’égard de ses institutions. Lui qui faisait une confiance aveugle à son gouvernement, lui qui s’enorgueillissait d’être une nation une et indivisible entièrement tournée vers un seul et même effort, le voilà maintenant déçu, presque en rupture de ban. Il ne croit plus en la parole officielle.
Conséquence immédiate, les Japonais prennent tout en charge par eux-mêmes : la mesure des radiations, l’état de santé des populations. Et l’Etat a beau promouvoir la transparence comme jamais – Tepco (la compagnie qui gère la centrale) publie des vidéos, des photos des courbes de radiations en temps réel -, peu importe tout cela. Les Japonais ont trop en mémoire les mensonges ou, au mieux, les tentatives de dissimulation des différents acteurs du dossier. Il est vrai qu’au moment de la catastrophe, le conseiller nucléaire de la centrale avait dit à la population : « Si vous souriez, les radiations n’auront pas prise sur vous. »
Quelle est la liberté des journalistes pour enquêter sur le terrain ?
Elle est réelle, mais strictement encadrée pour des raisons sanitaires évidentes. Il y a une zone d’exclusion qui fonctionne un peu comme une peau de léopard. Au début, c’était un arc de cercle de 20 km autour de la centrale, puis 30 km, désormais c’est point par point. Quand on vous donne l’autorisation – cela peut prendre deux mois -, on vous fixe rendez-vous sur un parking. Puis vous avez deux ou trois heures sur place, entièrement libre.
Quant à moi, je suis passé clandestinement dans le coffre de la voiture d’un confrère spécialisé dans l’investigation (c’était uniquement pour gagner du temps). Et ce qui très vite vous saute aux yeux, au-delà de la désolation à perte de vue, c’est l’énormité du chantier entrepris par les Japonais. Ils affirment que tout est sous contrôle, mais comment le garantir quand chaque jour la terre et l’eau contaminées s’accumulent davantage ? Fukushima ressemble au mythe de Sisyphe avec un rocher trop lourd. Et empoisonné de surcroît.