Japon 2013 – après le déluge/289

A Fukushima, la radioactivité fait sa loi

« Carnet de voyage de Guillaume Malaurie, en visite d’une semaine sur le territoire de Fukushima. »

Areva, Fukushima

Peu avant le départ de la délégation française de L’IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire)  pour une visite du cœur du  site nucléaire de Fukushima  commencée lundi 16 décembre, Pierre Franck Chevet, le patron de l’Autorité sûreté nucléaire française (ASN), avait souhaité insister sur un point.

 

Un seul point : « Regardez bien de part et d’autre de la route quand vous arriverez dans la zone d’exclusion des 20 kilomètres autour de la centrale. Même par la vitre du  bus dont vous ne pourrez pas descendre, on comprend bien des choses… »

 

Paysage vitrifié

 

Exact, mais pas tout de suite. Lorsque le bus quitte le « J-Village » (qui abrite le premier QG de crise  établi par la société Tepco en 2011) et que l’on dépasse les check points ouvrant aux zones évacuées, notamment les « rouges » formellement proscrites et surveillées par des barrages policiers, tout semble encore à peu prés normal.

 

Le soleil qui lèche le monotone décor périurbain est généreux, les fleurs rouges  japonaises de décembre s’ouvrent par grappe sur les murs des pavillons  et les épicéas apportent la touche de vert qui adoucit les couleurs froides de l’hiver. Même les gigatonnes de débris provoqués par le séisme et surtout par le tsunami du 11 mars 2011, que l’on avait  beaucoup montrés à la télévision, ne gênent plus la vue.

 

Le  titanesque ménage entrepris par Tokyo et surtout par les autorités locales élues (les mairies et  le gouverneur de préfecture) ont  éliminé le plus gros.

 

Presque trois ans après la double catastrophe, naturelle et nucléaire, l’image des environs de Fukushima s’est donc peu à peu normalisée. Sauf que Pierre Franck Chevet  a raison : l’apparence est trompeuse.

 

A bien regarder derrière la vitre du bus, les villes et villages traversés sont plongés dans un  total mutisme . Des cités  fantômes figées et inanimées. C’est le cas de Tomioka, dont les 15.000 habitants  ont été interdits de retour. Idem pour les 12.000 âmes évaporées du quartier d’Hodakaku dans  la ville Minamisōma.

 

La carte postale qui se déplie sur des dizaines de kilomètres du sud au nord semble avoir été soumise sur les 320 km2 de zone rouge à une gigantesque aspiration par le vide.

 

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Et c’est le panache radio actif, la « plume des radionucléides » orientée sud-ouest/ nord est, qui a dessiné le zonage des territoires.

 

Ceux formellement interdits d’accès et ceux tolérés au passage  selon le contenu en césium qui macule  le sol, comme des confettis…

 

Dans la zone rouge, toujours exposée à plus de 50 millisieverts par  an, et que l’on ne conçoit pas de reconquérir avant longtemps, mais aussi dans la zone jaune (entre 30 et 50 millisieverts par an), il n’y a généralement plus rien que le silence.

 

Ni homme, ni chat, ni chien ne viennent réveiller les vieilles fermes abandonnées, les supérettes fantômes ou les petites PME endormies en 2011. Pas un piéton qui passe, pas une  porte  qui claque, pas une voiture qui se gare, pas un vélo qui roule, pas un cortège d’écoliers en uniforme comme on en croise si souvent  le matin au Japon…

 

Où est passée la vie ?  Personne ne le  sait très exactement. 160.000 personnes ont pris la tangente en 2011 de gré ou de force et ne sont toujours pas revenues. 100.000 n’ont pas eu le choix et  60.000 ont préféré s’enfuir rapidement et sans y être contraint dés les premières semaines après l’accident sur la centrale.

 

Passages éclair

 

Du bus, on voit donc les villes plus ou moins désertes s’égrener sur 50 kilomètres en chapelet de part et d’autre de la Nationale 6 entre l’agglomération d’Ivaki, épargnée, au sud, et la ville d’Itate, fortement impactée, au nord est.

De temps à autre, les dosimètres portés par chaque membre de la délégation française se mettent à couiner. Pic radio-actif. Au début tous les quart d’heure. Puis toutes les cinq minutes à l’approche de la centrale…

 

Comme  fixé sous verre, le paysage  qui défile laisse apercevoir quelques menus activités diurnes. Dans les « zones vertes » (460 km2) qui sont exposées à moins de 20 millisiverts par an, les habitants peuvent en effet venir le jour bricoler une toiture ou un mur et ranger leur intérieur. Mais avec l’ordre express de repartir le soir. De n’y jamais dormir.

 

A accepter cette contrainte, ce sont le plus souvent des personnes âgées qui n’ont pas eu la force de refaire leur vie ailleurs et ont la patience d’attendre la  décontamination quasi hors d’atteinte de 1 millisievert par an .

 

Le Maire d’Itate, qui veut récupérer le plus rapidement ses administrés exilés, confie qu’il préférerait, lui, que le seuil de radioactivité permettant le retour soi plus permissif. « Entre un et 5 millisieverts par an, dit-il. il faut être pragmatique et aller vite ».

 

Quand ?  En principe, c’était pour 2014 mais la décontamination a pris  beaucoup de retard dans la zone dite  » verte » , à vocation dereuplement rapide,  ou parfois n’ pas même commencé dans la zone jaune . Peut-être pour 2015. Peut-être. Les jeunes, eux, sont généralement repartis s’installer ailleurs pour ne plus revenir et ce n’est pas demain que l’on devrait entendre le  babillage des bébés et des enfants en uniforme…

 

 » On ne peut pas exclure, notre Jacques Repussard, le Président de l’Irsn, que ces agglomérations ne parviennent pas à trouver leur viabilité démographique un fois que le retour sera autorisé. ».

 

 

Décontaminer : mission impossible ?

 

Qu’importe, le gouvernement ne lâche pas l’affaire. Il s’accroche. C’est une question d’honneur que de gagner cette  longue et grande guerre. De prendre sa revanche sur ce qu’on appelle ici souvent  » Le grand désastre » .

 

Tokyo annonce donc le début  imminent de la « reconquête » des zones vertes évacuées pour les années qui viennent. Et la preuve  qu’il s’y emploie d’arrache-pied, ce sont  les milliers de « Big Bags » remplis jusqu’à la gueule de débris contaminés (feuilles, terre…) qui s’entassent sur les innombrables sites d’entreposage, à chaque détour de route.

 

Ici, c’est Areva qui teste une machine pour séparer automatiquement la terre la plus contaminée et celle la moins radioactive. Il a fallu au préalable scalper la terre des champs, notamment des rizières les plus impactées, sur un épaisseur  de 5 à 10 centimètres. En principe, ça suffit : « Le césium, confirme Thierry Charles de l’IRSN, ne s’enfonce pas plus bas. »

 

Une tâche gigantesque de curetage et de grattage, m2 par m2, où chaque avancée semble compromise  par un nouveau mur de difficultés. Dès l’année prochaine, les sites d’entreposage devraient être dirigés sur un site central toujours temporaire capable d’accueillir 29 millions de déchets de résidus radio-actifs. Ce matin , le gouvernement proposait trois  » sites  candidats » ( Ookuma, Futaba et Naraha).  Sauf que nul ne sait comment trancher si les collectivités concernées refusent de servir de dépotoir national….

 

Or le risque que les Big Bags  fuient ou cassent n’est pas négligeable en cas de typhon ou de météo extrême.

 

Preuve qu’on ne supprime pas la radioactivité par décret  ou par la magie des mots et des promesses  :  on peut  gérer les radio nucléides,  voir même les  maitriser, mais ils demeuren .  Et pour un  bout de temps : il faudra attendre 30 bonnes années pour que la radioactivité du césium 137 ait substantiellement baissé.    .   .

 

Apprivoiser le risque

 

L’enjeu est aussi complexe sur le site de la centrale. « La stabilisation semble acquise, confie Thierry Charles, mais l’essentiel reste à faire et le démantèlement  devrait durer, au bas mot, jusqu’à l’horizon 2050. »

 

Tepco est fier d’annoncer qu’il vient de commencer avec succès l’extraction des 1.535 barres de combustible usé de la piscine très dégradée du réacteur 4. Oui, mais, que faire des eaux radioactives qui suppurent toujours sous le cœur de centrale ? Que faire des 450.000 m3 d’eau contaminée qui s’accumulent sur le site dans 1.000 réservoirs de 11 mètre de haut ? Et que faire des 400 m3 supplémentaires qui viennent s’y ajouter chaque jour ? Que faire des fuites qui se sont déclarées cet été  sur un  des réservoirs et pourraient en menacer d’autres ?

 

« A terme, et une fois décontaminées du césium mais pas du  tritium, ces eaux auraient vocation, comme ça se fait  régulièrement à la Hague , à être larguées et diluées sans danger en mer, confie Thierry Charles de l’IRSN. Mais auparavant, ajoute-t-il, il faudra obtenir l’aval des autorités locales alors même que le gouvernement s’était engagé formellement à ne plus rejeter d’eau venant de la centrale. »

 

C’est ce mythe de l’impossible  « restauration » dans l’état d’avant mars 2011 qui  se défait  peu à peu. Cette promesse qui a suivi l’accident selon laquelle il était nécessaire de revenir  coûte que coûte au statu quo ante rapidement. Une chimère.

 

Dans les réunions avec les différentes institutions en charge du dossier, on perçoit bien  que l’engagement de revenir à unmillisieverts maximum de plus  dans les régions évacuées,  ne tient plus. « Ce qui était un objectif pour 2014 se transforme en objectif  de long terme » confirme  un expert de l’Ambassade de France. Et le seuil maximal qui autoriserait  le retour des populations évacuées  devrait donc  passer de 1  à 20 millisieverts.  Un révision   pragmatique et sans doute nécessaire mais  qu’il sera manifestement difficile de faire passer dans l’opinion.  .

 

« Ce que les Japonais sont en train d’expérimenter, note Jacques Repussard, le président de l’IRSN , c’est une coexistence raisonnée avec la radioactivité  forte ici,  faible là et résiduelle ou inexistante ailleurs, en minimisant au maximum les risques et donc en s’adaptant quotidiennement  à eux.  Ce qui  suppose de communiquer clairement sur les données disponibles et de travailler avec les populations en faisant appel à leur intelligence et à leur sens  de l’adaptation. Le pire est de s’enfermer dans des objectifs  intenables qui provoquent de la déception, du stress et de l’hostilité. »

« Il est vraisemblable , ajoute Repussard, que si un accident grave survenait en France ou ailleurs, les autorités  s’engageraient eux aussi   sur des objectifs de restauration intégrale dans l’espoir de calmer l’opinion à court terme.  »

Démonstration est faite à Fukushima , que ça ne marche  pas deux après les grands serments. Que l’objectif de Restauration conduit  donc à l’impasse . Et que changer de stratégie en route, comme si essaient les japonais aujourd’hui,  est  un exercice à très haut risque.

 

Il est là retour d’expérience de Fukushima 2013.

 

Guillaume Malaurie

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