Fukushima : une réponse à l’urgence nucléaire, mais quelle réponse ?
Par Trifou , mardi 6 août 2013.Lien permanentJapon › Fukushima
Chers lecteurs, je sais que la période est mal choisie mais, que voulez-vous, pour rester fidèle à l’une de nos formules favorite : « L’homme propose et la radioactivité dispose », voici donc que les Japonais ont choisi cette période creuse [1] pour remonter le problème [2] de l’eau radioactive à Fukushima-Daiichi. Rien ne se produisant par hasard, vous savez probablement que les mauvaises nouvelles pleuvent souvent au mois d’août, en voici donc une supplémentaire qui n’étonnera qu’à moitié les observateurs attentifs et autres veilleurs de Fukushima.
La NRA hausse le ton : « c’est une urgence, ici et maintenant »
L’on pouvait sentir depuis quelques semaines s’amorcer un changement d’attitude dans la communication des officiels Japonais et notamment celle effectuée par l’agence de régulation nucléaire Japonaise au sujet de la gestion de la catastrophe de Fukushima-Daiichi : la NRA faisait clairement monter la pression dans les tuyaux de « l’opérateur » Tepco qui semblait malgré tout poursuivre son chemin (de croix) placidement et sans irritation particulière. Hier, le rouge était mis : le chef de la force d’intervention permanente de la NRA à Fukushima-Daiichi, M. Shinji Kinjo, informait – très étrangement – l’agence de presse Reuters [3]que la coupe radioactive était pleine en déclarant notamment [4] :
(1) Dépèche LCI/Reuters du 6813 (LCI
)
Tepco déchargé partiellement ou intégralement de la gestion de la crise nucléaire ?
Attendu qu’il s’agit de la deuxième remontrance officielle vis-à-vis de Tepco [5] et, qui plus est, diffusée par voie de presse [6], il est très probable que le gouvernement Japonais réfléchit – et a peut-être même déjà décidé – de la mise en retrait de Tepco, tout au moins sur le problème de la gestion de l’eau contaminée mais peut-être beaucoup plus largement, au niveau de la contamination du site en général. Malheureusement, cette dernière situation est arrivée aujourd’hui à un tel point de complexité et de saturation qu’il semble difficile d’entrevoir aujourd’hui la moindre réponse technique à l’insoluble problème de l’eau contaminée. Examinons malgré tout et toujours de manière critique quelques pistes possibles…
Si Tepco est écarté, qui reprendra en main la gestion du chantier de Fukushima-Daiichi ?
Nous ne voyons qu’une réponse possible à cette épineuse question : compte-tenu des niveaux intenses de radioactivité présents non seulement dans l’eau contaminée mais sur le site en général, il semble difficile de faire appel à des salariés « normaux », d’autant plus que ces derniers – nous l’avons souvent relaté – voient leur cahiers médicaux littéralement déborder de doses radioactives. Il y a peu, une personne se présentant comme un employé sous-traitant de Tepco avait informé un sénateur Japonais [7] que certains employés avaient été provisoirement aveuglés par la radioactivité de l’eau tandis que leurs dosimètres émettaient alarme sur alarme au cours de travaux de soudage effectués au niveau de tuyaux d’eau contaminée à Fukushima-Daiichi [8].
(2) Le Sénateur Yamamoto interviewant un travailleur de Tepco (fukushima-diary
)
A notre humble avis il nous semble donc impossible de missionner sereinement des civils au niveau d’un travail aussi périlleux et dangereux. Tepco l’a fait mais il n’aurait pas du le faire, même – et surtout – si le personnage ci-dessus explique qu’il était yakuza [9] et qu’il répondait ainsi à un ordre d’intervention qui lui avait été signifié par la mafia Japonaise [10]. Sans le travail effectué par ces malheureux, le chantier de Tepco n’avancerait guère ; si même ces redevables perpétuels commencent à fuir le chantier, il ne restera plus que la réponse… militaire, avec d’un côté l’efficacité, le courage et l’obéissance absolue mais de l’autre tous les effets secondaires qui y sont généralement reliés.
Les militaires, efficaces mais cachottiers par définition
Dans le cas où cette hypothèse se vérifierait, le public pourrait probablement dire immédiatement adieu au service minimum d’information [11] régulièrement – et légitimement – effectué par Tepco sur la progression de la crise nucléaire. Par exemple, le grand public ignore complétement que des forces d’intervention Japonaises spéciales [12] ont effectué dans les première heures de la crise nucléaire de missions extrêmement risquées [13] qui leur ont d’ailleurs valu des blessures et des frayeurs démesurées [14]. Cet épisode est resté très peu documenté à ce jour, ce qui nous amène à croire que l’ensemble d’une intervention d’une task force militaire pourrait être aussi discrète et que l’œil de la Tepcam (la caméra installée par Tepco qui filme et diffuse en quasi-permanence le site) s’éteindrait bien vite ; on ne filme pas une intervention militaire réelle…
Au fait, quelle réponse pour le problème de l’eau contaminée à Fukushima-Daiichi ?
Afin d’être bien compris, nous estimons qu’il n’en existe à ce jour aucune satisfaisante, c’est à dire dont les effets positifs puissent s’avérer supérieurs aux effets négatifs. Arrivés à ce point de la crise, l’essentiel du combustible à fui les réacteurs et les confinements pour se loger en dehors de ces derniers ou – dans le meilleur des cas – les éléments les plus actifs du cœur fondu ont été lessivés et dispersés depuis 24 mois par les quelques 360 tonnes d’eau injectés quotidiennement [15] dans les installations éventrées. L’entité qui sera chargée de la gestion du chantier de liquidation ne pourra à l’évidence ni colmater rapidement les fuites des réacteurs ni celles des confinements, elle pourrait par contre tenter de diminuer le débit injecté pour « fermer un peu le robinet » tout en surveillant cadrans et aiguilles car tenter de retenir le même volume d’eau par des moyens de colmatage ou de stockage revient à essayer d’éviter à une baignoire alimentée en permanence de déborder un jour ou l’autre… tout en remplissant d’autres baignoires.
Tepco a-t-il déjà tenté cette manœuvre de diminution du débit « d’injection » ? Peut-être et sans doute avec des résultats inquiétants mais comment en être certain puisque Tepco ne communique ouvertement que sur les bonnes nouvelles ?
Janus, le dieu Romain au deux visages
Dans la mythologie Romaine, Janus était le dieu à double visage à qui était affecté la tâche de garder les portes, notamment celle donnant sur les enfers [16] ; sur le revers de sa médaille romaine figurait fréquemment un bateau naviguant sur l’eau, ce qui nous amène à songer que, dans la situation qui nous intéresse, l’équation symbolique pourrait se résumer à une unique alternative : soit l’eau (radioactive) amène le voyageur (le bateau, le marin) vers l’enfer ou sa variante : l’eau (radioactive) mène le bateau (l’homme) vers le chaos. Bien sûr, il ne s’agit ici que d’une amusante parenthèse symbolique mais nous pourrions être amenés à banaliser ce genre de réflexion latérale si, soudain, toute la communication de crise se voyait verrouillée à Fukushima-Daiichi.
(3) Monnaie Romaine (II ème siècle avant J-C) ; profil du dieu Janus à l’avers, bateau naviguant
et curieuse légende rétrograde AMOR (ROMA) au revers (acsearch
)
Notes :
[1] Y compris au Japon où le mois d’août correspond aux « grandes vacances » scolaires (piefrance
)
[2] Nous sommes intimement convaincus que le problème de pollution radioactive était latent depuis le début de la catastrophe, avec des hauts et des bas correspondant à des espèces de « marées radioactives » hautes et basses y compris au niveau des « vapeurs » observées par intermittence
[3] Fukushima radioactive water likely breached barrier -panel head
(Reuters, 5813)
[4] Ce passage n’a pas été repris par tous les médias et a bizarrement été occulté de la dépêche Reuters originale maisfigure figurait dans l’article Fukushima Leak Is An ‘Emergency,’ Watchdog Official Says
publié par le Huffington Post le même jour
[5] La première ayant été faite le 22 juillet par le Ministre de l’Industrie et réaffirmée le même jour sur le site lui-mêmepar son premier vice-ministre M. Kazuyoshi Akaba
[6] Une double déclaration qui ne laisse aucun doute sur une nette volte-face politique, des remontrances « simples » n’étant qu’exceptionnellement exprimées publiquement
[7] Plus précisément le sénateur-acteur Taro Yamamoto (NI) fraîchement élu à Tokyo 
[8] Fukushima worker “Workers who looked straightly at contaminated water had the eyes damaged”
(Fukushima-Diary, 3813)
[9] Les yakuzas ne sont pas obligatoirement des voyous professionnels mais souvent de simples et pauvres bougres « éternellement » redevables à la mafia Japonaise, à la suite d’une dette financière non remboursée voire simplement en échange d’un « emploi »
[10] La mafia japonaise ayant contracté (évidemment de manière occulte) nombre de contrats nucléaires « de merde » avec Tepco depuis les années 1990 (Tepco et les yakuzas, Le Point, 16312
)
[11] Tepco ment, Tepco minimise, Tepco déforme, Tepco insiste toujours sur les événements positifs en oubliant la masse des événements négatifs liés à la crise nucléaire – mais Tepco effectue sans arrêt un minimum de travail de communication et d’information !
[12] Notamment la Central Readiness Force, une shadow unit
(force d’intervention secrète) forte d’environ 4000 hommes ; au Japon cette dernière est la seule unité autorisée à intervenir dans les situations d’urgence NBC (Nucléaire, Bactériologique et Chimique)
[13] cf.l’épisode n°. 6 de la série « Le feu de Prométhée » : shadow units
publiée par l’Asahi à partir d’octobre 2011
[14] 6 membres de l’équipe d’intervention spéciale de la CRF/GDSF dont un colonel ont été irradiés et l’un d’entre eux blessé à la jambe lors de l’explosion du réacteur n°. 3 survenue le 14 mars 2011 (Asahi
) : qui en a entendu parler ?
[15] cf. Fukushima-Daiichi NPS Plant [sic] Parameters
(Tepco, 6813)
[16] La porte des enfers était d’ailleurs dénommée Janua inferni en Latin ; l’aspect reliant Janus au chaos, au désordre, nous est quant à lui livré par Ovide
: « Les anciens (je suis une réalité très ancienne) me nommaient Chaos
«