Japon 2013 – Après le déluge/157

Fukushima : A la recherche du corium partie 1 – Qu’est devenu le beau projet du LANL ?

Par Trifou ,lundi 29 juillet 2013.Japon › Fukushima ›A la recherche du corium

Nous évoquions dans un billet daté du 20 octobre 2012 un intéressant projet développé et porté par le LANL [1] ; une mission préparatoire avait déplacé plusieurs équipes à Fukushima-Daiichi afin de valider un projet de localisation du corium par radiographie muonique. Vous en rappelez-vous ? Pas Tepco en tout cas qui, près d’une année plus tard semble avoir ignoré ou enterré un projet qui aurait pourtant permis d’en savoir un peu plus sur l’état et l’emplacement des cœurs des ex-réacteurs de Fukushima-Daiichi.

Le projet du LANL aurait permis de confirmer ou de décliner rapidement la « relocalisation » des cœurs 1F1-1F3

Sur le papier, ce projet avait pourtant tout pour plaire : la technologie était relativement au point [2], le budget devait étre raisonnable [3], les études préliminaires étaient concluantes, le LANL et le DOE prenaient en charge une grande partie du travail d’expertise et s’occupaient intégralement de la gestion des données recueillies ; de leur côté Tepco et les autorités Japonaises devaient uniquement financer la partie Japonaise du projet, celle qui concernait directement l’analyse effectuée à Fukushima-Daiichi.

Pourquoi les Japonais ont-ils écarté ce projet ?

Il est toujours difficile de se mettre à la place des antipodistes Japonais [4] et nous nous y sommes souvent égarés ; cet avertissement donné, plusieurs pistes de réflexion semblent malgré tout vraisemblables :

  1. Le projet est trop invasif et permettrait à des équipes américaines de plonger intensivement au cœur des mystères de Fukushima-Daiichi
  2. Tepco et les japonais n’ignorent rien aujourd’hui de la relocalisation éventuelle [5] des cœurs des réacteurs
  3. Le combustible fondu est trop dispersé et / ou hors de portée des détecteurs muoniques qui ne couvrent qu’une surface de recherche limitée et nécessitent une longue période de scan (plusieurs mois)
  4. Le projet ne fait pas la part assez belle aux merveilleuses et innovantes technologies Japonaises (pourtant assez impuissantes à ce jour)
  5. Sur le plan politique, cette réalisation démontrerait l’incapacité des Japonais à retrouver le combustible et / ou à devoir assumer trop rapidement sa « perte définitive »

Les Japonais ignorent-ils vraiment tout des coriums ou font-ils juste semblant de n’en rien savoir ?

Il nous semble possible qu’en fait, les Japonais n’aient jamais cessé de travailler sur les différentes hypothèses de relocalisation du combustible mais qu’ils aient rendu ces recherches secrètes dès que les premières preuves d’un déconfinement du combustible sont apparues [6] ; dans cette hypothèse, il devient évidemment inutile d’engager des budgets importants pour rechercher ce que l’on a déjà partiellement retrouvé ! Autant tenter d’investir dans des moyens permettant – éventuellement – de récupérer tout ou partie du combustible, s’il est encore possible de le faire.

Le combustible a-t-il pu se « dissoudre » dans l’eau ?

Fukushima ne ressemblant en rien aux précédents accidents électronucléaires et étant ainsi une « catastrophe innovante », il est impossible de se baser sur les enquêtes et analyses relatives par exemple aux catastrophes de Tchernobyl ou de Three Mile Island. A Tchernobyl, le combustible a été fortement fragmenté par l’explosion du cœur et il n’a que rarement été mis en contact avec de l’eau (à fortiori salée) à partir de ce moment. Le réacteur n°. 2 de Three Mile Island n’a subi quant à lui qu’une fusion partielle (50%) avant que la moitié environ de ce corium « tombe » au fond de la cuve réacteur sans la perforer (meltdown) et sans ainsi se porter au contact du béton, un contact qui engendre obligatoirement de nouvelles réactions chimiques et thermiques au niveau du corium [7].

L’eau de mer a-t-elle pu avoir une influence sur la chimie du combustible fondu ? C’est plus que probable également car certaines études [8] ont évoqué la dissolution puis le transport à distance de combustible (Uranium) au moyen de supports microscopiques [9] qui n’auraient pu exister sans la présence de sels [10]dans l’eau de mer injectée lors des premières heures et des premiers jours de la catastrophe.

Pas de bon été sans bonne conspiration !

Pour conclure, puisque l’été représente la période annuelle où le plus de théories divergentes sont proposées à une clientèle en soif d’aventure, de dépaysement et de frissons, nous ne résistons pas au plaisir de vous informer ou de vous rappeler qu’un nom bien connu des Japonologues [11] a publié en mai 2011 un ouvrage évoquant une théorie selon laquelle l’un au moins des réacteurs de Fukushima-Daiichi aurait été dédié au raffinement d’Uranium dans une optique militaire. Si elle présente des aspects distrayants et répond plus ou moins élégamment à une petite partie des énigmes de Fukushima-Daiichi [12], cette théorie est par ailleurs relativement facile à contredire sur le plan technique [13]. Mais les vacances sont les vacances aussi nous vous recommandons volontiers de vous intéresser à l’opuscule de Christophe Sabouret  : Fukushima, l’apocalypse ; et après ? 

(1) La tomographie muonique telle qu’elle était imaginée par le LANL à l’été 2012

 


Sources :  Cosmic Ray Radiography of the Damaged Cores of the Fukushima Reactors  (Physical Review Letters, 12/9/12) –Tiny travelers from deep space could assist in healing Fukushima’s nuclear scar (lanl.org, 17/9/12) –Etude de la détection d’actinides par muons cosmiques(CEA-Irfu, 2005) – Applications of Muon Tomography for the detection of hidden nuclear substances in containers  (infn, 7610)

Notes :

[1] LANL : Los Alamos National Laboratory, un des plus gros « labos » du US. DOE (Department of Energy) ; le LANL emploie environ 10.000 personnes et a largement contribué au développement du programme « Manhattan » (bombe atomique US)

[2] La tomographie muonique est une technique qui a été initialement développée – comme souvent – dans une optique militaire (la détection sous-marine) avant d’être appliquée à la recherche civile par exemple pour des études géophysiques (volcans)  ou encore pour tenter de sonder des monuments fragiles et « sacrés » comme la pyramide de Khéfren  dans les années 1970

[3] La technique a été notoirement simplifiée, améliorée et miniaturisée depuis sa conception dans les années 1960 ; les études initiales furent basées notamment sur les travaux de physique des particules menés par le prix Nobel Luis Alvarez 

[4] Ou peut-être est-ce nous autres, occidentaux, qui « marchons sur la tête » ? Question de point de vue :)

[5] Double langage pour « combustible fondu égaré », « corium » etc.

[6] Probablement après la seconde endoscopie réalisée dans l’unité n°. 1 fin mars 2012, une analyse qui avait révélé des « anomalies » au niveau du confinement de cette ex-unité, notamment l’absence d’eau dans la partie inférieure du confinement malgré la petite centaine de tonnes d’eau « injectées » chaque jour dans le puits sans fond de l’ex-réacteur n°. 1

[7] On pourrait même prétendre qu’un « véritable » corium ne se forme qu’une fois entré au contact du béton du radier, une opération qui accélère généralement sa progression car il se ré-alimente des éléments silicatés du béton (silice + chaux = silicate de calcium)

[8How sea water could corrode nuclear fuel  (Navrotsky et al., 26112)

[9] Les célèbres fullerènes d’Uranium

[10] Le sodium (et les chlorures ?) dans le cas de l’eau de mer, ces ions oxydant les atomes d’Uranium pour en détacher de minuscules particules voyageant ensuite « sur le dos » des fullerènes

[11] Christophe Sabouret est chercheur au CNRS mais se trouve également être le fils de Jean-François Sabouret , un sociologue et japonologue réputé ; ce dernier a probablement transmis cet amour du Japon à son fils qui y a été élevé et a consacré également quelques travaux  à ce magnifique pays

[12] M. Sabouret s’interroge principalement sur le réacteur n°. 4 qui est sans nul doute le plus mystérieux du site

[13] Un réacteur électrogène ne peut enrichir de l’Uranium (c’est même tout le contraire !), ce rôle est dévolu à des procédés de séparation chimique ou encore aux fameuses « centrifugeuses » ; il est par contre évident qu’il se fabrique dans chaque réacteur nucléaire une quantité non négligeable de Plutonium pouvant être raffiné ultérieurement en qualité militaire et que le Japon dispose aujourd’hui à ce titre de stocks de Plutonium impressionnants !

Ce contenu a été publié dans Japon 2013. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *