Japon 2013 – Après le déluge/54

L’Isle le 8 mars:

Fukushima : deux ans après, le brouillard de guerre commence à se déplacer

Il fallait s’en douter : à l’occasion du deuxième anniversaire de la catastrophe de Fukushima-Daiichi, les principaux médias vont revenir – le temps de quelques “marronniers” – sur la situation actuelle au Nord-Est du Japon. L’agence Reuters est l’une des premières à ouvrir le feu et le ton semble donné : le Japon commence à peine à entrevoir l’aspect colossal des travaux qui peuvent – qui pourraient – être accomplis mais ne semble pas encore avoir pris pleinement conscience des points sur lesquels il sera impossible de revenir en arrière. Retour sur deux années de brouillard.

Pour le PDG de Kurion, un “brouillard de guerre” a recouvert le Japon durant deux années

La société Kurion Inc., rappelez-vous, a été le premier fournisseur étranger mandaté par Tepco pour expérimenter une longue série de systèmes de décontamination d’eau radioactive ; son modèle a été utilisé à Fukushima-Daiichi de la mi-juin 2011 à mars 2012 ; l’engin utilisait une double tour d’isolation de Césium qui était intégrée au milieu de la première usine de décontamination, entre la filtration préliminaire et la désalinisation.

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(1) Principe de la première “usine” de décontamination utilisée à Fukushima-Daiichi (IRSN)

Le PDG et fondateur de Kurion, John Raymont, explique donc aux journalistes de Reuters que le Japon commence à peine à prendre conscience de l’ampleur de la tâche à accomplir, après 2 années au cours desquelles un “brouillard de guerre” semble avoir masqué bon nombre d’éléments sur le site.

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Le brouillard de guerre, un élément artificiel stratégique

Pour les non-stratèges, le “brouillard de guerre” représente un moyen tactique simple mais très efficace de masquer la réalité et l’étendue d’un champ de bataille au cours d’exercices stratégiques. Il est indispensable dans ce type d’opération que les “forces amies” n’appréhendent pas immédiatement ni parfaitement le territoire tactique (en cas de déploiement sur un terrain neutre ou ennemi) ; il est donc nécessaire de repérer le terrain, de définir les objectifs par différentes techniques (renseignement au sol, satellites-espion, interrogatoires de prisonniers, patrouilles de reconnaissance etc.) afin d’obtenir le maximum de détails avant de songer à mener l’offensive ou l’action à proprement parler.

Cette définition semble parfaitement convenir à la situation des deux “premières” années après Fukushima-Daiichi : Tepco n’avait pas une idée précise de ce qui se passait réellement aux tréfonds des réacteurs ; nous ne dirions pas qu’il en a maintenant une idée claire et définitive mais les options se restreignent au fil des observations et des reconnaissances.

Ainsi, nous savons aujourd’hui avec certitude que la quasi-totalité du combustible s’est échappé de la cuve des réacteurs endommagés et a, selon le dernier rapport de Tepco, percé le confinement principal par une voie qui reste à définir pour se trouver localisé dans le meilleur des cas sous une forme plus ou moins contenue au niveau 0 du bâtiment-réacteur (salle du tore) ou dans le pire des cas sous la salle du tore par le moyen de l’ICB au niveau du radier.

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(2) Comparaison entres les meltdown de Three Mile Island et de FD (Tepco, 1/13)

Le brouillard de guerre : un acte de camouflage intentionnel

L’on peut évidemment observer la définition du brouillard de guerre de l’autre côté de la lorgnette : il s’agit dans ce cas de l’acte volontaire de masquer une situation réelle afin qu’elle n’apparaisse pas de manière trop évidente, autrement dit de faire ne sorte que la situation stratégique ne se dévoile pas trop rapidement, cette fois-ci aux yeux des observateurs neutres ou ennemis.

En ce sens, la définition donnée par John Raymont est redoutable de clairvoyance et, comme toutes les phrases comportant plus d’une acception, permet de parfaitement définir une situation au moyen d’une pirouette verbale ouverte aux interprétations.

M. Raymont, 41 ans, était, avant de fonder la start-up Kurion en 2008, président de Nukem corp., une société travaillant étroitement avec le US. DOE et membre de l’ANS .

Afin d’étayer un peu notre analyse, nous ferons observer que l’ANS a été créée en 1954 par Walter Zinn, l’un des piliers du projet Manhattan , que ses liens avec le gouvernement et les agences gouvernementales des USA sont plus qu’étroits, l’ANS ayant été l’un des promoteurs initiaux du programme Atoms for Peace quenous avions présenté récemment. Un des autres membres de l’ANS, le célèbre physicien Hongrois Edward Teller, est considéré comme le père de la première bombe thermonucléaire et a donné son nom a un “prix” délivré par l’ANS toutes les années impaires pour récompenser des recherches dans le domaine de la fusion froide.

Pour compléter ce tableau, il faut enfin faire remarquer que l’un des associés actuels de Kurion inc. n’est autre que l’ancien directeur de la CIA John Woosley. La société précitée peut donc se prévaloir d’une certaine expérience du renseignement stratégique.

L’opération de dissimulation et de désinformation est loin d’être terminée

Dans le cas de Fukushima-Daiichi, il est réputé que de nombreux éléments connus des autorités ou de l’opérateur n’ont été révélés que très tard dans la chronologie accidentelle et que ce processus de dissimulation temporaire se poursuit à ce jour : nous découvrons en permanence des données connues des Japonais depuis des mois, des années, voire depuis les tous premiers jours de la phase accidentelle aiguë.

Le fait de gagner du temps ne change évidemment rien à la vitesse de progression réelle de la catastrophe mais permet juste d’étouffer certains des effets psychiques de l’accident : pensez donc, deux années après l’exposition, il n’y a plus aucun danger, si les gens devaient être malades des “radiations”, ils le seraient déjà !

Justement, ils commencent à l’être mais, devinez quoi : poussé par un vent mauvais, le brouillard de guerre s’est entretemps déplacé de quelques kilomètres, quittant les espaces fantomatiques du site maudit pour envelopper désormais les populations innocentes exposées aux retombées de la catastrophe.


Sources :

Insight: Japan’s « Long War » to shut down Fukushima – reteurs (US) 5313

Demolition and Removal of Structures – Tepco, 113

Ex-CIA Director James Woosley Is With One of the VCs Backing Kurion

– ex-skf, 14611

Fog of War (les leçons de guerre de Robert S. McNamara) – dsi, 21212

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