L’Isle le 3 octobre:
Cancer de la thyroïde à Fukushima : des chiffres manipulés
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En juin 2011, luniversité médicale de Fukushima a lancé une enquête de santé publique destinée à surveiller les conséquences des radiations sur la santé. Un an et demi après la catastrophe qui a touché la centrale nucléaire, un cas de cancer de la thyroïde est officiellement déclaré, le 11 septembre 2012.
Le CRMS, réseau autonome de stations de mesure de la radioactivité, était présent au compte rendu des résultats de lenquête portant sur le contrôle de la thyroïde des enfants de moins de 18 ans.
Cest le professeur Shunichi Yamashita qui conseillait, rappelons-le, lan dernier, de sourire pour mieux faire face aux radiations, qui a présenté, dans un simulacre de compte rendu scientifique démocratique, les résultats de lenquête.
« Pas dimportante exposition interne ou externe »
Présentation des résultats de lenquête de santé publique le 11 septembre 2012 à Fukushima.
Le contrôle a été réalisé dans un premier temps auprès de 38 114 enfants du département, résidant dans les treize villes et villages des zones fortement contaminées et des zones daccès restreint au moment de laccident nucléaire de la centrale de Fukushima Daiichi, puis élargi à 42 060 enfants supplémentaires.
Lenquête de santé publique étant une enquête statistique, le professeur Shinichi Suzuki, qui pilote la division en charge des contrôles de la thyroïde à luniversité de médecine, ne révèle ni lâge, ni le sexe de lenfant concerné.
Mais il exprime demblée son avis :
« [Il ny a eu, à Fukushima] ni dimportante exposition externe comme à Hiroshima et Nagasaki, ni dimportante exposition interne comme à Tchernobyl. »
Des cancers trop détectables
Il ny a, bien entendu, aucune relation de cause à effet à établir selon lui entre ce premier cas déclaré de cancer de la thyroïde et laccident nucléaire de Fukushima.
Voici les trois raisons quil avance :
– premièrement, en « période normale », on ne pratique pas de telles échographies sur les enfants. Il ny a donc pas denquête de « référence » disponible. Affirmation pourtant contredite par des travaux menés par le professeur Yamashita lui-même, en 2000 à Nagasaki ;
– deuxièmement, une augmentation des cancers de la thyroïde à Tchernobyl a été observée seulement quatre ans après laccident. Il suffit pourtant de lire le témoignage du docteur Yablokov pour comprendre de quoi il retournait à lépoque : jusquen 1990, le ministère de la Santé de lUnion soviétique demandait aux docteurs de ne pas mener denquête sur les effets sanitaires des radiations. De nombreuses données ont, en outre, été brûlées ;
– enfin, selon M. Suzuki, loutil technique dont disposent désormais les scientifiques est tellement développé que même les cancers de petite taille peuvent être détectés, argument qui avait été mobilisé pour expliquer laugmentation importante du nombre de cas de cancers de la thyroïde à partir de 1990 à Tchernobyl.
« 1 cas sur 80 000 » ?
Les deux professeurs de luniversité de Fukushima sacharnent à freiner les consultations auprès dautres structures.
Le docteur Hoshi, président de lassociation des médecins de Fukushima, qui participe à lenquête, confirme cette crainte quont les experts de perdre la main sur leur échantillon :
« Le rythme auquel la seconde série dexamens est menée est trop lent [ ], les patients risquent de nous glisser entre les mains. »
Les objectifs initiaux que sétaient fixés les scientifiques, avant même davoir le moindre résultat, étaient clairs : « Calmer les inquiétudes de la population » et faire bien entrer dans les crânes récalcitrants et inquiets que « limpact de laccident nucléaire de Fukushima sur la santé publique peut être présumé très mineur ».
Leffet dun tel brouillage entre réalité et spéculation ne sest pas fait attendre : quelques heures après la conférence, lagence de presse Kyodo News annonçait : « Un cas de cancer de la thyroïde a été identifié parmi une population examinée de 80 000 enfants ». Grave erreur !
Selon les résultats publiés le 26 avril 2012 :
– 35% de la première population de 38 114 enfants ayant subi une échographie étaient porteurs de nodules thyroïdiens dune taille inférieure à 5 mm et de kystes de moins de 20 mm, symptômes qui avaient alors été qualifiés de « normaux » par les responsables de lenquête ;
– 186 enfants, soit 0,5%, avaient des nodules de plus de 5 mm et des kystes de plus de 20 mm. Ils ont donc été orientés vers un second examen (échographie détaillée, examens sanguin et urinaire, et biopsie à laiguille fine) ;
– or, à ce jour, seuls 60 enfants devant subir ce deuxième examen se sont à nouveau présentés, et 38 dentre eux lont effectivement subi : 10 ont été replacés dans le cycle « normal » de contrôle qui prévoit un examen tous les deux ans, et les 28 autres ont été orientés vers une biopsie par aspiration ;
– la moitié de ces enfants ont finalement été reconsidérés comme ne nécessitant pas un tel examen et, à ce jour, les 14 autres lont effectivement subi. Cest donc parmi ces 14 enfants quun cas de cancer de la thyroïde est officiellement diagnostiqué aujourdhui.
Wataru Iwata effectue un prélèvement dans locéan Pacifique pour analyse au CRMS.
En réalité, un cas parmi quatorze enfants
Parmi les 42 060 enfants constituant la seconde population sujette au contrôle de la thyroïde, 239, soit 0,6%, ont des nodules de plus de 5 mm et des kystes de plus de 20 mm. Ils devront eux aussi faire lobjet dun second examen. Rien ne peut donc être avancé à leur sujet aujourdhui.
Si on rassemble les 239 enfants de cette seconde population en attente dun second examen, les 148 enfants (correspondant à 186 – 38) de la première population devant être réexaminés mais ne layant pas encore été (car non présentés ou en attente), on aboutit à un total de 387 enfants au sujet desquels on ne peut pas se prononcer.
Le cas pour linstant unique de cancer de la thyroïde ne peut donc être ramené ni aux 38 114 enfants constituant la première population de lenquête, ni aux 42 060 enfants constituant la seconde, ni encore aux 80 174 enfants constituant la population totale auprès de laquelle lenquête est menée.
A ce jour, on ne peut rapporter ce cas de cancer quà la population ayant effectivement subi une seconde série dexamens, soit quatorze enfants.
Un nombre record de cobayes
Toute autre mise en proportion serait pure spéculation. Une fois que les 387 enfants devant faire lobjet dun second examen auront été examinés, comme il est prévu de le faire, on pourra ramener le nombre total de cas de cancer diagnostiqués à lensemble des enfants ayant participé à lenquête jusquà présent.
Sachant, bien sûr, que la signification de ce ratio naura comme durée de validité que celle que les résultats des examens ultérieurs auprès des mêmes enfants, puis des 280 000 autres que luniversité de médecine de Fukushima a prévu dexaminer voudront bien lui donner.
Une telle mise au point est importante car il ne faut pas perdre de lesprit que jamais, même à Tchernobyl, puisque la population du département de Fukushima a été incitée à rester sur place, la science ne disposa dun tel bataillon de cobayes. Lobjectif premier dun homme comme Yamashita il la dit lui-même en évoquant lenquête de Fukushima en août 2011 est détablir un « record scientifique ».
Il faut savoir en outre que luniversité médicale de Fukushima prévoit dengager lan prochain un projet de collecte dADN auprès de la population « volontaire » du département, visant à « identifier les anormalités génétiques générées par les radiations ». Un autre « record scientifique » en perspective.

