L’Isle le 24 septembre: Une « commission dinvestigation » sur Fukushima téléguidée par le village nucléaire
Dans larticle qui suit, Jean-Marc Royer met en lumière la stratégie du village nucléaire international qui, pour semer la confusion, a créé une « commission dinvestigation » dont le but est de contrecarrer les conclusions impartiales de la commission indépendante nommée par la Diète. Mais quappelle-t-on au juste « le village nucléaire international » ? Cest lensemble des structures publiques ou privées qui ont un intérêt commun au développement de lutilisation de lénergie nucléaire. On distingue son contour dans la conclusion duncommuniqué de presse de lAgence de lOCDE pour lénergie nucléaire (AEN) du 10 juin 2011 : « Les autorités réglementaires des pays membres du G8, de lAEN et des pays associés ont réaffirmé leur engagement à travailler ensemble à léchelle internationale. Elles sont persuadées que, malgré son caractère dramatique, la situation [à Fukushima] permettra à terme de renforcer la sûreté nucléaire internationalement. La conférence ministérielle de lAIEA qui se tiendra fin juin, est la prochaine étape importante dun ensemble dactions qui améliorera la sûreté nucléaire au niveau mondial ». On y retrouve donc les pays du G8, les34 pays membres de lOCDE et les états associés, à savoir lAfrique du Sud, le Brésil, lInde, la Roumanie et lUkraine. Dautres pays en font également partie par lintermédiaire de lAssociation mondiale des exploitants nucléaires (World Association of Nuclear Operators, WANO), citée également dans le même communiqué. Cest donc une sorte de gouvernance économique mondiale où tous les états concernés font allégeance à lAIEA (dont lobjectif est le développement de lutilisation de lénergie nucléaire dans le monde, cf. larticle 3 de ses statuts), par lintermédiaire de conférences ministérielles. Tous les membres du village nucléaire ont la même religion : ils croient au progrès de la sécurité nucléaire, tout en acceptant quil y ait régulièrement des accidents. Cette gouvernance atomique supranationale nest pas issue de processus démocratiques. Et les états qui ne font pas partie du village ‒ soit les deux tiers des pays de la planète ‒ nont évidemment pas leur mot à dire, malgré les pollutions radioactives transfrontalières passées et promises.
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FUKUSHIMA :
Une « commission dinvestigation » téléguidée par le village nucléaire
à ne pas confondre avec la commission indépendante officiellement investie par la Diète japonaise
par Jean-Marc Royer
La nomination discrète (et discrétionnaire) dune « commission dinvestigation » sur laccident de Fukushima (Investigation Committee on the Accident at Fukushima Nuclear Power Stations of Tokyo Electric Power Company) est une créature du village nucléaire international qui ne doit pas être confondue avec celle qui a été mise en place par la Diète japonaise, la Nuclear Accident Independent Investigation Commission (NAIIC) et qui elle, est réellement indépendante et dont nous avons commencé à traduire le premier rapport.
Examinons de plus près cette « commission dinvestigation ».
1) Le compte-rendu de sa première réunion du 7 juin 2011 stipule que : « The committee will prepare an interim report by the end of the present year and submit the final report sometime after the accident has been settled ». Cest à dire que trois mois après le début de la catastrophe, cette commission navait aucun doute sur le fait que LA CHOSE serait très bientôt jugulée et que le rapport final serait aussitôt produit [1]. Larrogance propre à la toute puissance montre ici le bout de son nez, comme le note la NAIIC dans son rapport page 21 : « Dans l’ensemble, la Commission a rencontré une ignorance et une arrogance impardonnables chez toute personne ou tout organisme s’occupant de l’énergie nucléaire. Nous avons rencontré du mépris pour les évolutions internationales et la sécurité publique. Nous avons trouvé un fonctionnement routinier basé sur les procédures et les pratiques conventionnelles antérieures, la priorité étant déviter de faire courir des risques à l’organisation. Nous avons trouvé un état d’esprit donnant la priorité aux intérêts de lorganisation, et ceci au détriment du public. » Tout cela est à comparer avec la présentation que cette dernière fait de ses objectifs de travail.
2) Elle a été nommée dans le secret du cabinet du premier ministre sans quaucun document officiel nait été émis ni contresigné, contrairement à la promulgation de la NAIIC. Nest publiquement disponible quun « compte-rendu » de la séance, si elle a réellement eût lieu, dont le rédacteur nest même pas nommé. Sur les quatorze rencontres de cette commission, ne sont disponibles que trois comptes-rendus, les autres réunions faisant lobjet dune « relation de presse » en trois pages. A comparer là aussi avec le travail de la NAIIC.
3) Alors que la commission nommée par la diète japonaise commence par nommer ses membres, donner leurs CV et reproduire leurs signatures, cette soit disant « commission dinvestigation » expurge le CV dau moins un de ses membres, M. Yukio Takasu, libellé comme suit et omettant sa dernière qualité (en rouge) que nous avons retrouvée sur la page du secrétariat de lONU : « Permanent Representative of Japan to the International Organizations in Vienna, including the International Atomic Energy Agency (IAEA) », ce qui revient à cacher son appartenance à lAEIA.
Parmi les « international advisory experts », on retrouve des noms connus dans le gotha nucléaire :
– Dr. Richard A. Meserve President of the Carnegie Institution for Science. Meserve a été le président de la Nuclear Regulatory Commission états-unienne de 1999 à 2003. Il a récemment été décoré par lindustrie nucléaire dun award (Carnegies Richard Meserve Awarded Nuclear Industry Leadership Prize) et ses déclarations, à cette occasion, valent leur pesant de cacahuètes et sont lisibles sur le site Carnegie Institution for Science.
– Prof. Chang Soon Heung Professor at Korea Advanced Institute of Science and Technology (KAIST), President of the Korean Nuclear Society. No comment
– Mr. Chai, Guohan Chief Engineer, Nuclear and Radiation Safety Center, Ministry of Environmental Protection of Peoples Republic of China. Un pays connu pour ses préoccupations écologiques et la grande transparence de ses décisions administratives Tous ces « experts » sont évidemment mouillés jusquau cou dans la promotion du nucléaire.
– Et quelquun qui, malgré son masque et son bonnet, est facilement reconnaissable :

Vous voyez de qui nous voulons parler ?

Et maintenant, dans une pose debout, avec un air qui lui est si familier ?

Bon, pour ceux qui ne font pas partie de son premier cercle, voici son profil gauche légendaire, mais ici son front est plissé, comme sil ressentait une préoccupation dont nous ne connaîtrons, malheureusement, jamais le contenu. Dénouons le suspens, il sagit de son nom est écrit sur sa combi : André-Claude Lacoste himself, président de lASN, qui est un grand cachotier, puisquil nen a soufflé mot à la conférence de presse. Cela aurait été loccasion de nous dire sil avait fait bon voyage, de nous parler de laccueil quil reçut, des conditions de son séjour, de la qualité des sushis, voire des fruits de mer locaux, et accessoirement, de ce à quoi il pensait si fort à Fukushima en ce 23 février 2012, à lheure du déjeuner.
Juste à droite le Coréen Chang Soon Heung, président de la Korean Nuclear Society et derrière, le fameux Meserve états-unien.
Sources : http://icanps.go.jp/eng/meetings/ et http://icanps.go.jp/eng/120223SisattuShashinEng.pdf
4) Cette « commission dinvestigation » ne manque pas de faire de la publicité pour :
– lAEIA (« In response to the accident, the IAEA sent an investigation team to Japan in May 2011 and convened a ministerial conference on nuclear safety in June 2011 »),
– un rapport de lONU (« The United Nations have also compiled a report on the accident ») dont la commission indépendante nommée par la diète nous explique lorigine de troisième main (cest un rapport de Tepco repris par le gouvernement et transmis à lONU),
– une conférence (and convened a summit conference on nuclear safety in September 2011) qui a indigné nombre de japonais par sa grossière orientation pro-nucléaire.
5) Nous avons parcouru ce texte. Il est intentionnellement volumineux de manière à dissuader son étude critique dans le détail tout en donnant une impression de sérieux par sa taille. Il est parsemé de confusions sciemment entretenues (i). Il reporte les responsabilités sur une connaissance scientifique insuffisante (ii). Il émet des recommandations tellement générales quelles ne peuvent en aucun cas être contraignantes pour les exploitants (iii).
– i The then-available accident preventive measures and disaster preparedness of TEPCO and the Nuclear Industry and Safety Agency (NISA) were insufficient against tsunami and severe accidents; (page 2)
– ii Scientific knowledge of earthquakes is not sufficient yet. (page 3)
– iii The above types of measures should not be left up to the local municipal governments, but need in addition to involve the active participation of the prefectural and national governments [ ] (page 14).
6) Comme par hasard, les dates de publication des rapports « intérimaires et finaux » de cette « commission dinvestigation » ont été calées sur celles de la commission indépendante (NAIIC) de manière à semer le trouble dans le milieu médiatique, une pratique bien rôdée maintenant.
Jean-Marc Royer, septembre 2012
[1] Rappelons que pendant dix semaines, ils ont caché au peuple japonais et à lopinion publique internationale ce quils savaient dès les premiers jours, à savoir la fonte des curs des réacteurs.