L’Isle le 12 juin:
L’accident de Fukushima aurait relâché plus de gaz nobles que Tchernobyl
Les gaz nobles, premiers et principaux produits de fission relâchés lors d’un accident majeur
Les Xénon et Krypton sont les principaux radionucléides qui sont expulsés des barres de combustible irradié, même au cours du fonctionnement normal d’un réacteur nucléaire. Pourquoi ? Car ces gaz « rares » sont non seulement extrêmement mobiles et volatils (ils se dispersent très facilement une fois dans l’atmosphère) mais ils ont également tendance à se concentrer sous pression en haut de l’assemblage puis à s’échapper des assemblages de combustible au fur et à mesure de leur irradiation pour se retrouver finalement « diffusés » dans le circuit primaire. A la moindre fuite de ce dernier ou même lors de « dégazages » de l’opérateur (les filtres n’étant pas efficaces), ils se retrouvent souvent facilement dispersés dans l’atmosphère.
Les produits de fission plus lourds comme les Césiums, le Strontium-90 se dissipent majoritairement sous forme particulaire et sont donc beaucoup moins mobiles. Les Iodes forment la catégorie intermédiaire, moins facilement dispersés que les gaz rares mais plus mobile que les noyaux « moyens ». Les produits de fission « légers » sont également les premiers à être libérés en cas de fusion du cur, à partir de 800° C.
Fraction de PF relâchés / température combustible
En cas d’incendie ou d’explosion, la totalité de l’inventaire des produits de fission « légers » est relâché
Un incendie ou une explosion vont facilement disperser les produits légers comme les gaz nobles ou les Iodes alors que les noyaux moyens volatils comme les Césiums ne seront dispersés qu’à hauteur de 1 à 90% et les noyaux lourds – a priori beaucoup moins volatils – ne se disperseront qu’à hauteur d’un maximum de 60% en cas d’incendie et de seulement 1% en cas d’explosion.
Lors d’une explosion, 100% des gaz rares et des Iodes sont généreusement dispersés (SCK-CEN)
Des éléments peu recherchés dans les estimations de terme-source (1) car « peu durables » et « peu dangereux »
Les autorités de contrôle communiquent généralement assez peu sur ces gaz nobles et préfèrent se concentrer sur la communication des mesures des termes-sources des radio-éléments « traditionnels » (Iodes, Césiums…). Pourquoi ?
Car ils seraient peu « durables » une fois rejetés dans l’atmosphère ? Voyons le tableau des périodes de ces gaz rares produits en réacteur :
Nous notons que si le Xénon-133 (6.7 EBq) est majoritaire et présente une demi-vie de 5 jours soit un peu moins que l’iode-131 si redouté (8 jours), le Krypton-85 est certes moins présent (24 PBq) mais présente une santé « insolente » de plus de 10 années de demi-vie, soit une activité absolue d’environ 100 ans. Les autres gaz nobles comme les Krypton-88 ou Xénon-135 affichent une période très brève, inférieure à 8 heures.
Autre argument : le manque de données sur la métabolisation des gaz rares « embarrassants » comme le Kr-85 sous prétexte qu’ils seraient « inertes » donc expirés en quasi-totalité juste après avoir été inspirés. Or, la CRIIRADdénonce cette approche qu’elle estime erronée et orientée. Le Kr-85 est actuellement classé au groupe n°. IV (faible) du tableau de radiotoxicité des éléments, tout comme le Xe-133.
Les gaz rares ne sont pas généralement pas surveillés par les balises de radioactivité
Une « balise » de radioactivité effectue généralement deux mesures différentes : le débit de dose ambiante dans l’air et la contamination par particules relevées au moyen d’un filtre et d’un système déchantillonnage de l’air. Or ni l’un ni l’autre de ces détecteurs ne sont capables de détecter facilement de faibles doses de Krypton 85, à moins de procéder à des analyses spécifiques. Le Krypton libéré, s’il ne s’associe pas à un autre élément ou structure, est en effet bien trop fin (2) pour être retenu aisément par un filtre même au tamis très fin et il est principalement émetteur Bêta – (0.687 MeV max), type de rayonnement qui n’est généralement pas détecté par les radiamètres d’ambiance.
Le Xénon-133 de Fukushima : un problème sanitaire majeur ou pas ?
Oui, et pour 2 raisons : son terme-source a été estimé de manière indépendante par le TBDT (3) et le NILU (4) à environ 1.6*10^19 Bq soit 16 EBq, ce qui est colossal : ce chiffre représente environ 3 fois les rejets de Xe-133 dégagés à la suite de l’accident de Tchernobyl (5.2 EBq) et le principal terme-source de ce gaz noble de tous les temps. Notons que ce chiffre élevé peut initialement sembler illogique car il semble supérieur à l’inventaire initial de l’ensemble des curs des réacteurs en Xe-133 mais il ne faut pas oublier qu’à l’inventaire initial de Xe-133 s’ajoutera un inventaire secondaire par la filiation radioactive de l’Iode-133 (20.8 h), un autre produit de fission nucléaire.
Secondement, même si ce radio-élément est classé comme « faiblement » radiotoxique, l’énormité de la dose distribuée suffit à faire craindre des retombées sanitaires majeures . Si l’on ajoute à cette donnée la volatilité et la mobilité exceptionnelles des gaz nobles, l’AIPRI a récemment estimé que 400 millions de doses létales potentielles (5) auraient été largement dispersées dans l’atmosphère. Et nous ajoutons : peut-être largement au-delà des frontières du Japon. Nous y reviendrons dans un prochain billet.
(1) Terme-source : estimation de l’ensemble des rejets de radio-éléments émanant d’une installation nucléaire
(2) Le Krypton est d’ailleurs l’un des gaz nobles les plus légers
(3) CBDT : Comprehensive Test Ban Treaty, l’organisation qui surveille les essais nucléaires
(4) NILU : Norvegian Institute for Air Research
(5) Dose létale : 5 Sv ; facteur de dose du Xe-133 : 1.2*10^-10 Sv/Bq ; activité spécifique : 6.92*10^15Bq/g ; inventaire estimé en masse : 2.4 K de Xe-133, source : AIPRI
Source : i-sis.org, 11 juin 2012
Lire également :
« Le Xénon-133 très faiblement radiotoxique de Fukushima », AIPRI, 4/11/2011
« Les rejets de gaz rares à Fessenheim », CRIIRAD, 12/10/10
Les barrières radiologiques, Université de Rouen, 2009 (très didactique, peu de charabia scientifique)
« Évaluation des risques de rejets radioactifs… », CEN, 2007
Fiche technique Krypton-85, IRSN, 2001
Press release, Tepco, 24/05/12

M. Kan, accablé par la commission d’enquête de Fukushima, contre-attaque en déclarant que le désastre de Fukushima-Daiichi a été « mal apprécié » par Tepco et la NISA
Très remonté, l’ancien Premier Japonais attaque violemment un rapport gouvernemental qui tente de l’accabler d’une bonne partie des maux de la crise nucléaire
M. Kan s’est farouchement défendu ce jour contre la position de la commission d’enquête gouvernementale chargée d’étudier la catastrophe nucléaire de Fukushima-Daiichi. Mis en cause par cette dernière pour avoir soi-disant déployé des « réactions excessives » lors de la phase aiguë de la crise, le Premier ministre à la tête du gouvernement Japonais à l’époque des faits évoque tout au contraire dans un billet publié sur son blog le 10 juin une mauvaise appréciation évidente de la catastrophe par l’opérateur à laquelle s’ajoutait l’inefficacité manifeste de la commission de contrôle nucléaire Japonaise (NISA).
« Un désastre bien plus sérieux que celui que l’opérateur et la NISA envisageait »
M. Kan a reproché à l’opérateur à et la commission de contrôle de ne pas avoir pris la mesure de la catastrophe en cours, ce qui l’aurait obligé a prendre de sa propre initiative les dispositions nécessaires afin de tenter de contrôler une situation critique et à « accomplir les tâches nécessaires ». Ce serait ainsi le Cabinet qui aurait ordonné à l’opérateur de commencer à injecter de l’eau [de mer] dans les unités en péril alors que Tepco ne voulait pas ou ne pouvait pas le faire.
Une commission de sécurité nucléaire inutile ?
M. Kan évoque en outre la passivité totale de la NISA [lors des premières heures de l’accident], cette absence de réactivité ayant été à la base de la réaction du cabinet de M. Kan. D’après le Sankei Shimbun du 24 avril 2012, il semblerait acquis que les personnels de la NISA auraient été les premiers à quitter le site accidenté dès la matinée du 14 mars.
L’affaire de l’abandon total du site par Tepco n’en finit pas de rebondir
C’est l’un des points « chauds » de cette confrontation entre l’ancien Cabinet d’un côté et un bloc apparemment formé par l’opérateur et le Cabinet de l’actuel Premier ministre M. Noda. Tepco assure, par la voix de son ancien PDG Masataka Shimizu qu’aucune opération d’abandon total du site n’a jamais été envisagée alors que M. Kan estime de son côté qu’elle était d’actualité le 15 mars 2011 (1) et qu’elle n’aurait été abandonnée que grâce à son intervention décisive. La commission d’enquête a déclaré de son côté qu’elle ne trouvait pas trace d’une quelconque décision d’évacuation, ce qui a apparemment provoqué la réaction irritée de M. Kan.
Les déclarations de Tepco apparemment contredites par celles des « 50 » de Fukushima
Plusieurs des 50 employés restés sur le site le 15 mars 2011, alors que les quelques 700 autres personnes présentes étaient évacuées, confirment cependant l’hypothèse d’une évacuation totale envisagée un moment par l’opérateur et abandonnée suite à une intervention directe de M. Kan ; le déroulement de cette curieuse valse et les témoignages des techniciens « sacrifiés » ont été rapportés dans un article du telegraph datant du 19/2/2012.
M. Kan n’aurait pas « mal compris la situation » comme le pense M. Shimizu
L’ancien Premier ministre réagit également de manière virulente aux propos tenus par M. Shimizu devant la commission d’enquête et qui évoquait un quiproquo entre Tepco et le gouvernement de M. Kan, estimant que ce dernier avait probablement mal interprété les consignes de l’opérateur sur l’évacuation du site.
Des vidéo-conférences enregistrées qui ne sont bizarrement pas communiquées
M. Kan évoque enfn un argument a priori imparable : les vidéo-conférences et notamment celle du 15 mars 2011 ayant mis en relation le Premier ministre se trouvant dans les locaux de Tepco à Tokyo et la salle de crise de Fukushima-Daiichi auraient été enregistrées ; il suffirait de retrouver les bandes et de les diffuser pour – peut-être enfin – lever le doute… Et rétablir l’honneur et la dignité d’un Premier ministre qui semble aujourdhui bien abandonné et blâmé par la majorité de la majorité Japonaise.
(1) Probablement suite à l’apparition de la célèbre « fumée grise » au-dessus de l’unité n°. 3, le 15 mars 2011 à 1600 locales sur laquelle nous reviendrons prochainement
Sources :
Mainichi Daily, 12 juin, anglais
PM Noda criticized by MR Kan for nuclear restatrting policy, financegreenwatch, 10 juin, anglais
Kan’s Blog, (le blog tenu par M. Kan lors de son mandat), anglais
Le blog actuel de M. Kan, Japonais
Lire également :
Comment la NISA a déserté le site dès le 14 mars 2011, gen4, 25/4/12