L’Isle le 22 janvier: Récapitulatif de la situation visible à Fukushima(fukushima-blog)
Fukushima en janvier 2012
On naura jamais fini de parler de la catastrophe de Fukushima, car la diffusion des radionucléides dans lenvironnement est permanente, leur fixation dans les cellules vivantes est durable et la liste des victimes potentielles est longue. Bien sûr, les informations ponctuelles des médias traitent de préférence le premier point : eaux radioactives, terres contaminées, air pollué, alimentation contrôlée, mesures de taux de plutonium, de strontium, de césium, diode
Tout cela est visible, les sujets ne manquent pas.
Le deuxième point nest quasiment jamais traité car cest un mauvais sujet de médiatisation : ce processus de contamination interne est bel et bien invisible et nintéresse personne. Il nen est pas moins réel et concerne des millions de personnes en ce moment même, que ce soit autour de Tchernobyl ou au Japon. Et il est la cause du troisième point, le plus dramatique. Mais le sujet de la maladie est difficile, et cest ce qui fait la force des promoteurs de lénergie nucléaire car le mal survient rarement au moment de laccident, mais plutôt plusieurs années après.
Les radionucléides sinstallent insidieusement dans les organes : muscles, cur, foie, reins, ovaires, glande thyroïde, peau, poumon, rate… Ceci sexplique par le fait que lorganisme remplace les éléments nécessaires à sa physiologie par les produits radioactifs. Tout ceci pourrait être rendu visible par des spectrométries gamma régulières, associées à des études statistiques. Mais une société nucléarisée est-elle intéressée par ce genre de recherches coûteuses ? Pas vraiment. Pourtant, dans un pays démocratique, il ne serait pas anormal que la population exige de ses élus de telles enquêtes, afin de mesurer le risque quelle est censée accepter.
En attendant, voici un petit récapitulatif de la situation visible à Fukushima : létat du site nucléaire, lexposition des personnes et la poursuite du déni. Certains estimeront que ces informations sont pessimistes, dautres diront quelles sont réalistes. A vous de juger.
Létat du site
Réacteur 1
Il a subi un meltdown, c’est-à-dire le pire qui puisse arriver à un réacteur nucléaire. On ne sait pas où est le corium (69 tonnes maxi). Le bâtiment réacteur a été recouvert dune structure légère protectrice. Mais ce cache-ruine nenlève rien au danger. Le 17 janvier, une panne de transformateur a provoqué larrêt du refroidissement des piscines durant 3 heures Cela met tout bonnement en évidence quil ny a pas de système de secours. En fait, le système de refroidissement est fait de bric et de broc, avec des matériaux fragiles. Le moindre séisme engendre son lot de fuites. Et si les piscines ne sont plus refroidies, en 40 heures, tous les combustibles sont en fusion.
Réacteur 2
Il a subi un meltdown, c’est-à-dire le pire qui puisse arriver à un réacteur nucléaire. On ne sait pas où est le corium (94 tonnes maxi). Une opération dendoscopie a eu lieu le 19 janvier pour visionner lintérieur de lenceinte de confinement. Résultat pas fameux, car trop de radioactivité et dhumidité. Le niveau deau na pu être observé (estimé entre 2,8 et 4 m au lieu de 5 attendus), ce qui signifie clairement que lenceinte nest pas étanche puisque 10 m3/h deau sont injectés dans lenceinte. Lopération a en tout cas dégagé une masse importante de vapeur, ce qui contredit lidée dun « arrêt à froid » décrété par le gouvernement japonais en décembre 2011. Une hausse de la température dans ce réacteur avait dailleurs déjà été observée la semaine dernière.

Coupe de la cuve de confinement
et de lendoscope
dans le réacteur n°2
de Fukushima Daiichi
(source : The Yomiuri Shimbun)
Réacteur 3
Il a subi un meltdown, c’est-à-dire le pire qui puisse arriver à un réacteur nucléaire. On ne sait pas où est le corium (94 tonnes maxi). Pour trouver lemplacement de ces coriums perdus, des chercheurs vont tenter de faire une image à laide de muons. Le projet est à létude, mais aucune date nest encore fixée pour sa réalisation. En attendant, environ 300 tonnes d’eau très contaminée ‒ entre 49 000 et 69 000 Bq/l en césium ‒ ont été « découvertes » dans un tunnel situé à proximité du réacteur n°3.
Réacteur 4
En mars 2011 le bâtiment a été déstabilisé par une ou plusieurs explosions et incendies dont on na aucune image pour linstant. Les inquiétudes portent sur la piscine : on ne sait pas si elle pourra résister à un nouveau séisme important. Après le tremblement de terre du 1er janvier, il se pourrait quune fuite ait eu lieu dans cette piscine 4 ‒ où se trouve 229 tonnes de combustible ‒ ce qui aurait fait descendre son niveau deau et augmenter sa température. Selon les propos dun ouvrier rapportés par une bloggeuse, leau serait même entrée à nouveau en ébullition. A la suite de cet évènement, uneaugmentation du césium a été remarquée.
Dans le pire des cas, c’est-à-dire leffondrement de la piscine 4, le gouvernement a déjà prévu dévacuer les habitants dans un rayon de 250 km, Tokyo inclus donc. Une épée de Damoclès est suspendue au dessus de larchipel. Mais si le Japon venait à être évacué, cest tout lhémisphère nord qui serait durablement contaminé, car il ne serait plus possible dintervenir sur le site à cause dune trop grande radioactivité, ce qui provoquerait labandon des systèmes de refroidissement des autres structures (curs et piscines), lensemble représentant plus de 2400 tonnes de combustible.
Sous-sols de la centrale
On a toujours la désagréable impression que Tepco nous mène en bateau. Lopérateur annonce « découvrir » des tunnels plein deau radioactive, plus de1000 tonnes ces derniers jours, alors quon sait très bien que tous les sous-sols sont pleins, vu que quand on pompe leau, ils se remplissent aussitôt (on soupçonne un flux de 200 à 500 tonnes deau par jour). Quand Tepco communique sur quelque chose, limportant est ailleurs probablement, et on ne lapprend que la semaine suivante, voire plusieurs mois après comme la fonte des curs.
Exposition des personnes au Japon
Nourriture
Certaines personnes averties font attention à ce quelles mangent. Les Français vivant au Japon sont en tout cas très bien informés. Mais il reste très difficile pour la majorité dêtre sûr de la nourriture. On la vu en 2011 avec le buf, le riz, et même avec le lait maternisé. Faire à manger est devenu une corvée pour beaucoup, la détection et les recherches prenant beaucoup de temps.
Décontamination
Les gens sont obligés de faire des décontaminations au risque de leur vie, sans contrepartie. Pour preuve, cet homme qui vient de décéder à Fukushima. Malgré létat actuel connu des régions contaminées par Tchernobyl il y a 25 ans, certains entretiennent le mythe que la décontamination rapide dune région serait possible. Pour ce faire, on creuse de grandes fosses, on les remplit de déchets radioactifs composés de végétaux, de terres de surfaces, dobjets divers, et on rebouche pour léternité. On nettoie au karcher les toits et les façades, leau sécoulant dans les caniveaux, puis dans les stations dépurations ou directement dans les ruisseaux et rivières. Et que fait-on des boues des stations dépuration ? Si on les enterre, on pollue les nappes phréatiques, si on les épand dans les champs, on pollue les terres, si on les incinère, on pollue latmosphère.

Fosse à 10 km au nord de la centrale (source photo)
Le gouvernement encourage ce type de « solutions ». Car il souhaite voir revenir les évacués là où ils habitaient. Mais il nest pas du tout sûr que la majorité revienne, car la confiance aux autorités publiques sest effritée durant toute la crise nucléaire. Selon un sondage du journal Nikkei du 26 décembre, 78 % des personnes interrogées ne croient pas ࠫ larrêt à froid » décrété par le gouvernement.
Conditions des travailleurs
Les employés de chez Tepco et les ouvriers embauchés par des entreprises intérimaires continuent dêtre exposés de manière importante. A loccasion du forage de lenceinte de confinement du réacteur 2 le 18 janvier, plusieurs équipes d’une dizaine de travailleurs ont été mobilisées ; la dose équivalente reçue par chaque personne employée à cette tâche ne devait pas dépasser 3 mSv en théorie, mais combien chacun a-t-il reçu en pratique ? Régulièrement, des décès douvriers sont annoncés, officiellement jamais à cause des radiations. Le dernier en date est mort le 9 janvier ; cest le 7ème décès officiel dun employé de la centrale en 10 mois.
Pollution
Pluie, neige, air, poussière, tous les éléments chargés de radionucléides qui se déplacent avec le vent se répandent irrémédiablement dans le pays ‒ et dans le monde ‒ aidés en cela par les communes qui ont accepté dincinérer sur leur sol des déchets contaminés du tsunami.
A Tokyo, on mesure encore du césium dans lair, et le sol peut être contaminé sous forme de hotspots, endroits où la radioactivité se concentre, comme devant cette porte décole (Minami Katsushika high school) où un citoyen a pu mesurer 2,35 µSv/h.
Conséquence sur la santé
Selon une étude médicale, la catastrophe de Fukushima aurait provoqué un surplus de 14 000 décès aux Etats-Unis durant les 14 semaines suivant le 11 mars 2011. Combien au Japon ? Combien en Europe ? Ces données ne semblent pas encore disponibles. Le seront-elles un jour en toute transparence ?
Fukushima folie : le déni du danger
Le Japon est souvent dans une attitude de déni vis-à-vis de la radioactivité. On a déjà parlé des Plutonium Brothers, du buveur deau de réacteur, de la dissémination des radionucléides par les incinérateurs, de lobligation pour certains enfants de boire du lait contaminé, du retour des habitants dans des zones contaminées, de larrosage à leau contaminée, de la décontamination à main nue, de la proposition denvoi de denrées contaminées dans le tiers-monde. Ce nest pas terminé, la liste des aberrations continue
Course radioactive pour adolescentes
La 27èmecourse de lEkiden a été organisée à Fukushima en novembre dernier : collégiennes et lycéennes ont couru sur un sol contaminé. Qui fera le suivi sanitaire de ces jeunes filles qui ont respiré la poussière des chemins de Fukushima ?

Les radionucléides nappartiennent pas à Tepco
La demande de décontamination dun terrain de golf adressée par son propriétaire à Tepco lui a été refusée sous prétexte que les particules radioactives, sétant mélangées au sol, « ne lui appartenaient plus », rapporte unarticle du Asahi Shimbun.
Gravier radioactif
Jusquà 16 000 tonnes de gravier peuvent avoir été distribuées à partir dun site contaminé à Namie. Cest le locataire dun appartement fraichement construit qui sen est rendu compte : 1,24 microsieverts/h chez lui, il valait mieux donner lalerte
Ski radioactif pour les enfants
10 écoles primaires de Edogawa-ku, à Tokyo, ont envoyé les enfants en »classe de neige » pour faire du ski dans la préfecture de Fukushima. Pourtant tout le monde sait que la neige, cest comme la pluie, elle filtre lair en se chargeant de particules radioactives.
Et pour finir, qui parle encore de Fukushima ?
Au Japon, tout le monde, tous les medias, toute la classe politique en parle. Le gouvernement envisage de nationaliser Tepco car lentreprise nest plus en mesure de payer les indemnités de dommages. Comme dhabitude en cas de défaillance du secteur privé, létat vient à la rescousse. Quand il y a des bénéfices, on privatise, quand le bateau prend leau, on nationalise. Avec lénergie nucléaire, étant donné les enjeux et les risques, ce secteur devrait être interdit au secteur privé.
Et puis, surtout, les Japonais se rendent compte quil est possible de se passer du nucléaire. Actuellement, il ne reste que 5 réacteurs en activité, et dici lété, ils devraient tous être arrêtés. Une sortie en un an serait-elle donc possible ?